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« Ils veulent être vus comme des athlètes », affirment les réalisateurs de documentaires

La cycliste française Anne-Sophie Centis, le triathlète français Alexis Hanquinquant et le rugbyman français Cédric Nankin, mais aussi la cycliste américaine Oksana Masters, le nageur brésilien Gabriel Araujo et la taekwondoïste afghane Zakia Khudadadi… Ces six para-athlètes sont les acteurs du documentaire Corps et âmeréalisé par Thierry Demaizière et Alban Teurlai.

Diffusé le mardi 20 août à 21h10 sur France 2, le film suit la préparation de ces six compétiteurs, en quête de qualification pour les Jeux paralympiques de Paris 2024. Pour franceinfo, les deux réalisateurs reviennent sur la genèse de ce projet et le regard qu’ils portent sur le handisport, sur lequel les caméras seront braquées pendant deux semaines, du 28 août au 8 septembre.

Franceinfo : Quel a été le point de départ de ce documentaire ?

Thierry Demaizière : C’est nous qui l’avons proposé à France Télévisions. Nous trouvions que cela correspondait à notre travail de portraitistes, de travail sur le corps. Nous savions qu’avec les Jeux paralympiques, nous aurions à la fois des histoires incroyables et des choses inédites à filmer.

Alban Teurlai : Nous avions à cœur pour attirer les spectateurs vers ces athlètes et leurs exploits. Quand on regarde ces sportifs, à la lumière de leur histoire, on sent que leurs performances viennent de très loin. Nous voulions que ce film soit une vitrine pour ces sportifs d’exception, car souvent, le regard sur le handicap est très cru, très misérable. Nous voulions qu’il soit beau.

Parmi les six athlètes que vous avez filmés, lequel a eu le plus d’impact sur vous ?

TD: Difficile à dire, tant le destin de ces six athlètes est incroyable. Je dirais celui d’Oksana Masters, née lourdement handicapée en Ukraine, abandonnée par ses parents, violée dans son orphelinat entre 5 et 7 ans et heureusement adoptée par un Américain.

« Le parcours de Zakia Khudadadi est également très touchant puisqu’elle a réussi à fuir les talibans et l’Afghanistan, où elle était vouée à une mort certaine. »

Thierry Demaizière

à franceinfo

Mais en même temps, la cycliste aveugle Anne-Sophie Centis, qui est kinésithérapeute aux urgences d’un hôpital, est elle aussi bouleversante. Tout comme le nageur brésilien Gabriel Araujo, qui a une joie de vivre incroyable alors qu’il est le plus lourdement handicapé, puisqu’il n’a pas de bras et des jambes très courtes, sans chevilles. Tous, chacun à leur manière, sont exceptionnels.

À: Il est aussi important de souligner qu’Alexis Hanquinquant est la seule personne handicapée accidentellement que nous avons dans le film, contrairement aux autres qui sont nés avec un handicap. Pour nous, personnes valides, il est plus facile de se projeter sur lui.

Comment avez-vous choisi les athlètes que vous alliez filmer ?

TD: Au début, nous pensions que nous ne suivrions que des athlètes français. Puis nous nous sommes dit que nous ne pourrions pas couvrir les Jeux Paralympiques avec seulement une sélection française. Nous avons donc décidé de filmer trois athlètes étrangers et trois athlètes français.

À: La difficulté, c’est qu’il y a mille histoires à raconter sur le sport paralympique. Il fallait qu’il y ait un équilibre entre les hommes et les femmes, un équilibre entre les Français et les étrangers, que toutes les couleurs de peau soient représentées, et qu’il n’y ait pas de doublons dans les histoires ni dans les sports. C’était un tableau avec plusieurs entrées.

A-t-il été facile de les convaincre de participer à ce projet ?

TD: Oui, parce que ce sont des gens qui recherchent la visibilité. Ils souffrent d’être trop souvent dans l’ombre. Donc ils sont forcément très honorés quand une caméra s’intéresse à eux, c’est tellement rare.

À: Le triathlète français Alexis Hanquinquant, dont on parle beaucoup dans le documentaire, est six fois champion du monde, six fois champion d’Europe et médaillé d’or à Tokyo. Il a battu de nombreux records et pourtant très peu de gens le connaissent. Il commence à gagner en visibilité avec notre film, mais aussi parce qu’il a porté la flamme lors de la cérémonie d’ouverture et sera le porte-drapeau de la délégation française aux Jeux paralympiques, mais il reste encore très méconnu.

Quel message véhiculent-ils ?

TD: Ce sont avant tout des compétiteurs, qui veulent être considérés comme des athlètes et qui doivent être traités comme tels. C’est aussi le but du film. Certains d’entre eux, bien qu’ayant un handicap, sont parfois meilleurs que des athlètes valides. C’est le cas d’Alexis Hanquinquant, qui a déjà concouru contre des athlètes valides et gagné.

« C’est leur grande revendication : ne pas être considérés comme des handicapés, mais comme de grands athlètes. »

Thierry Demaizière

à franceinfo

À: De plus, Alexis Hanquinquant nous dit que lorsqu’on le voit avec sa lame à la place de sa jambe amputée, on a pitié de lui. Par contre, lorsqu’il court avec des gens valides et les bat, ses concurrents croient que c’est grâce à sa lame qu’il a un avantage. Il a du mal à trouver sa place. Il y a quelques années, cette tendance s’est manifestée lorsque les para-athlètes ont commencé à être plus visibles aux Jeux de Rio et de Londres, où ils ont été transformés en super-héros. Cela les a énervés. Ils ne veulent pas de pitié, ils ne veulent pas être transformés en surhommes. Ils veulent être considérés comme des athlètes. Point final.

Ces champions parviennent-ils à vivre de leur sport ? ?

À: C’est un peu la même forme d’injustice qu’ils rencontrent dans le domaine de la notoriété, même si certains sponsors commencent à s’intéresser un peu à ceux qui gagnent beaucoup de médailles. Et je ne parle pas des bonus, qu’il faut souvent diviser par dix ou cent, je crois.

« Un joueur qui gagne en tennis fauteuil à Roland-Garros empoche la même somme qu’un joueur de tennis battu au premier tour du tournoi. L’écart est colossal. »

Alban Teurlai

à franceinfo

La plupart des sportifs sont obligés de travailler. Cédric Nankin, capitaine de l’équipe de France de rugby en fauteuil, travaille au service communication de la SNCF. Il habite à Château-Thierry (Aisne), à ​​1h30 de Paris. Il fait trois heures de route, deux fois par semaine, pour se rendre à ses entraînements. Il doit gérer tout le temps tout seul. Il installe par exemple tout seul son fauteuil roulant dans sa voiture, alors que son équipe fait partie des trois meilleures équipes du monde. Il faut vraiment le vouloir. Les rares personnes qui l’entourent sont essentiellement des bénévoles et des associations.

TD: Ce qui est aussi très révélateur, ce sont les prix des billets pour les Jeux paralympiques, comparés à ceux des Jeux olympiques. Les prix n’ont rien à voir avec ça. Les Jeux paralympiques sont quand même des « sous-Jeux » et les athlètes en souffrent. Si notre documentaire pouvait donner envie aux gens d’acheter des billets pour aller les voir, nous avons gagné. Il n’est pas possible qu’ils se produisent dans des stades vides, vu les efforts qu’ils font pour y aller.

« Il y a tellement de résilience, tellement de lutte pour arriver à ce niveau d’excellence. »

Thierry Demaizière

à franceinfo

Pensez-vous que le regard que nous portons sur le handicap va changer grâce à ces Jeux Paralympiques ?

À: Je crois que oui, et j’espère que le film et les Jeux y contribueront. Le handicap et l’inclusion ne sont pas perçus de la même manière par les gens de 20 ans et par ceux de 60 ans. Ce n’est pas vraiment un sujet qui concerne les jeunes d’aujourd’hui. Je pense que c’est très générationnel, la façon dont on regarde le handicap.

Cependant, la prise en compte des Jeux paralympiques reste un défi. Cette année, les compétitions coïncideront avec la rentrée scolaire. On peut craindre que les stades soient plutôt vides, puisque les gens seront au bureau ou à l’école.

TD: Chaque édition des Jeux paralympiques donne de plus en plus de visibilité aux athlètes. Et ce sera la première fois que les chaînes de télévision feront comme pour les Jeux olympiques, et diffuseront toutes les épreuves en intégralité. C’est une véritable victoire par rapport aux autres années.

Je pense que le problème principal est le regard que nous portons sur eux et le regard que la société porte sur eux. Ils s’en sortent plutôt bien. Certains ne veulent pas de prothèses. Ils ont une vie plutôt heureuse et certains pensent que ce qui leur est arrivé à la naissance les a finalement aidés, d’une certaine manière, et les a poussés à se dépasser.

Le documentaire Corps et âmeréalisé par Thierry Demaizière et Alban Teurlai, sera diffusé le 20 août à 21h10 sur France 2 et sur la plateforme france.tv.

Jeoffro René

I photograph general events and conferences and publish and report on these events at the European level.
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