Ils détectent les cancers, les brûlures : comment les médecins généralistes compensent le manque de dermatologues en Charente
« La dermatologie n’est pas un gros module dans les études de médecine générale. J’avais déjà le matériel pour diagnostiquer la tavelure mais pour les grains…
« La dermatologie n’est pas un gros module dans les études de médecine générale. J’avais déjà le matériel pour diagnostiquer la gale mais pour les grains de beauté, j’ai dû m’entraîner à être plus précis lorsque j’oriente mes patients vers le dermatologue », décrit le Dr Isabelle Ploquin, du centre de santé. luxe. « On voit des grains de beauté tous les jours même s’ils sont rarement un motif de consultation. » Un enjeu de santé publique cependant puisqu’il s’agit de détecter le plus tôt possible les cancers de la peau, alors qu’il n’y a que sept dermatologues en Charente.
« C’est un premier tri drastique et pour nous, c’est enrichissant et stimulant »
« C’est en fait le cœur de notre activité. Voyons ce que nous pouvons faire nous-mêmes pour éviter d’emboler les plannings des spécialistes », estime le Dr Delarue, dont le cabinet a investi 3 000 € pour deux dermatoscopes. En cas de doute, il envoie des photos au Dr Auzerie, dermatologue à Angoulême, qui rappelle le patient sous quinze jours, en cas d’urgence. « C’est un premier tri drastique et c’est stimulant pour nous », ajoute ce médecin.
«On se rend compte qu’on peut gérer les trois quarts des choses», apprécie le Dr Etienne Michaud, à Roumazières. « Parfois, à l’œil nu, on trouve un grain de beauté étrange et finalement, quand on regarde avec le dermatoscope, c’est normal. Cela évite d’aller chez le dermatologue pour rien et nous apportons une réponse immédiate au patient. »
«Je demande en moyenne quatre avis par semaine, le reste je gère moi-même», explique la Dre Élise Dupuis-Dusseau, basée au centre de santé de Dignac. « Avant, je prenais une photo avec mon portable et j’envoyais tout parce que je ne savais pas. Désormais, nous guidons mieux. On peut poser des diagnostics de certitude, pour la gale par exemple, car on voit le parasite sur la peau. Cela réduit les temps de traitement et améliore le parcours du patient. Les lésions que l’on voit le plus sont les carcinomes basocellulaires, le cancer de la peau le plus fréquent mais qui n’est pas métastatique.
Prochainement, le Dr Delarue suivra une formation complémentaire pour maîtriser des gestes techniques comme les biopsies, apprendre à manier l’électrocautère ou encore utiliser la cryothérapie. « Cela fait quinze ans que je retire des lésions mais il y a d’autres gestes que je n’ai pas fait par manque d’expérience, comme brûler certaines lésions. Récemment, j’ai demandé un avis pour un grain de beauté sur lequel j’avais des doutes. Le dermatologue aussi. Elle a pris la décision de le faire retirer et c’était un mélanome qui aurait pu s’aggraver. » Un geste qu’il pourra désormais faire lui-même.
« Nous sommes acteurs du traitement »
A Montbron, le Dr Jean-Rémi Cubaud vient de terminer ce nouveau module. Il assure déjà une consultation « plaies et cicatrisation » à l’hôpital de La Rochefoucauld, ce qui l’amène à soigner des patients atteints de cancer. « Les deux sont complémentaires. L’autre jour, j’ai vu un patient venu pour quelque chose de complètement différent et chez qui j’ai détecté un carcinome. Avant, je l’aurais orientée vers un chirurgien. Maintenant, comme au Canada et aux États-Unis, je peux retirer la lésion moi-même. » Il a aménagé une salle d’urgence, comme une petite unité, dans laquelle il opère avec un assistant médical. Bien sûr, il faut « aimer bricoler », sourit-il. « Mais c’est intéressant que les médecins généralistes montent en compétences, en gynécologie, en dermatologie, en plaies. Plutôt que de nous limiter à envoyer les patients chez un confrère, nous nous impliquons dans le traitement. On a l’impression d’avoir fait les choses jusqu’au bout. »
Qu’en pensent les dermatologues ?
Valérie Auzerie est dermatologue à Angoulême depuis 21 ans. C’est elle qui assure la formation des médecins généralistes et qui leur apporte des conseils via télé-expertise en cas de doute. « Compte tenu du manque de spécialistes et des délais de rendez-vous déraisonnables (si on le voulait, on pouvait prendre rendez-vous deux ans à l’avance), nous avons besoin de médecins généralistes pour faire un premier dépistage. C’est à nous de les former. Le but est qu’ils viennent me voir uniquement avec des choses qu’ils ne peuvent pas gérer seuls. Je remarque que les avis qu’ils me demandent sont plus documentés et intéressants. A la sortie de l’école, ils ne sont pas suffisamment formés mais en faisant régulièrement des journées de formation, ils apprendront également à gérer certains gestes techniques et à être de plus en plus autonomes. »
« L’objectif est de leur donner les bases d’un tri efficace, pour ne pas rater les petites lésions et détecter les mélanomes précoces », apprécie le Dr Jean-Charles Martin, dermatologue à Cognac, qui a mis la téléexpertise cet été. « Dans la région, nous avons de très bons médecins généralistes en triage dermatologique. Au bureau, nous disposons de 70 créneaux d’urgence chaque semaine. A chaque fois, j’ai une quinzaine de consultations pour des verrues séborrhéiques, des lésions bénignes mais qui peuvent être confondues avec des mélanomes. C’est généralement le genre de problème qui pourrait être éliminé par un médecin généraliste qualifié. »
« En revanche, prévient ce dermatologue expérimenté, ce serait les mettre en danger que de leur demander, avec seulement trente ou quarante heures de formation, de poser des diagnostics définitifs pendant que les internes font quatre à cinq ans de formation ». Il insiste également sur « la qualité du dermatoscope » et une bonne formation à la prise d’images.
Et sur l’importance « qu’il n’y ait pas d’enjeu économique derrière cela car les vendeurs de dermatoscopes ont compris l’idée. Comme il existe une notation spécifique pour l’usage du dermatoscope, ils sont allés démarcher des médecins et la CPAM commence à être vigilante car dans certaines régions, les médecins envoyaient des dizaines de demandes d’avis dermoscopiques aux dermatologues. »
Mais bien menée, cette collaboration entre médecins « permet d’éviter les retards diagnostiques et thérapeutiques », poursuit le Dr Auzerie qui a diagnostiqué l’an dernier 53 mélanomes, un par semaine. Surtout chez les jeunes patients. « Un mélanome peut apparaître vers deux ou trois mois. Certains partent au bout de six mois», souligne le Dr Martin. « L’avenir est donc de travailler en réseau pour que le filtre soit de plus en plus efficace. »