Chaque jour, une personnalité s’invite dans l’univers d’Élodie Suigo. Mercredi 18 septembre 2024 : l’auteur de bande dessinée Jul. « Silex et la ville – La Clef » vient de paraître chez Dargaud, « Silex et la ville – le film » est à l’affiche sur grand écran depuis le 11 septembre et une exposition sur la série est à voir au Musée de l’Homme jusqu’au 29 décembre 2024.
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Jul est un dessinateur de presse et auteur de bandes dessinées indissociable des grottes et de la préhistoire. Sa préhistoire a commencé très tôt sur les bancs de l’école avec pour meilleur ami le crayon, véritable créateur d’imaginaire et témoin de la vie quotidienne et de notre passé. C’est à la sortie de l’École Normale Supérieure et après une agrégation d’histoire qu’il débute réellement comme dessinateur de presse et rencontre son public lorsqu’il reçoit le prix Goscinny pour son album Il faut tuer José Bové, en 2007. Deux ans plus tard, sa première série, Silex et la ville, est née. Une série qui est actuellement disponible en trois formats avec la sortie du 10ème tome de la bande dessinée, La cléchez Dargaud. Le film Silex et la ville est à l’affiche du cinéma depuis le 11 septembre et jusqu’au 29 décembre 2024, une exposition au Musée de l’Homme à Paris lui est consacrée.
franceinfo: La clé raconte pour la première fois dans cette série l’évolution, le progrès et la rencontre entre la préhistoire et le monde moderne, incarnés par un magasin qui pose souvent des problèmes lors de la construction de meubles. Finalement, avoir la clé ne suffit pas ?
Juillet: Non, il faut comprendre un petit peu pourquoi on fait les choses. En effet, cette famille d’Homo Sapiens, qui est projetée dans le futur par inadvertance, revient avec cette clé sans savoir ce que c’est et va tout déclencher. L’écriture, l’invention de la religion, le yoga, le nazisme, l’art contemporain comme un pêle-mêle. En fait, cette clé tordue est une sorte d’objet transitionnel, on projette n’importe quoi. Si on est spirituel, si on a soif de religion, on invente un nouveau dieu. Si on est libidineux, on le voit comme un objet de désir sexuel. Tous les cultes possibles nous ressemblent et donc cette clé tordue est un peu le miroir de nos passions et de tout ce qui est un peu absurde, donc c’est assez drôle de mettre tout ça en scène.
Silex et la villeC’est un peu une extension de qui tu es. On sent que tout t’intéresse. Tu as commencé très tôt sur les bancs de l’école, j’ai l’impression que tu avais déjà un regard d’adulte.
C’est vrai que mes premiers dessins étaient des blagues sur Raymond Barre, ministre de l’Economie, et j’étais tout petit. C’était tout ce qui arrivait un peu par hasard à la télévision et que je métabolisais et transformais en choses drôles. J’étais très angoissé. On parlait beaucoup de la rivalité entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest. Il y avait encore l’URSS. On pensait qu’il y aurait une guerre nucléaire. J’en faisais des cauchemars la nuit. Je dessinais des abris antiatomiques avec des plans, des centaines, que mes parents gardaient. J’étais quelqu’un d’angoissé. Aujourd’hui encore, le monde est extrêmement angoissant, à la fois cette espèce de fuite en avant vers l’abîme écologique et vers la folie guerrière. Le seul moyen, c’est de prendre de la distance avec le rire. J’ai trouvé le dessin.
« Ces BD, ce film, c’est aussi une manière de dire : ‘on continue à vivre et à rester digne malgré la catastrophe’ et c’est cool aussi. »
Il y a toujours eu de l’humour dans tout ce que vous avez fait. L’humour est-il aussi la clé de la transmission ?
L’humour, qui est l’apanage de gens souvent tourmentés, a une magie particulière. Tout ce qui est artistique, teinté d’humour, ne se contente pas d’une existence astrale, coupée des gens. Tout ce qui est dans le domaine de l’humour est relationnel car si on fait une blague, il faut que quelqu’un l’entende et la comprenne et en rigole. J’ai ce partage avec les bandes dessinées. C’est cette espèce de petite chaleur qui passe entre les gens, une petite étincelle comme quand deux silex se frottent. C’est à partager autour du bistrot, autour du comptoir, autour d’une table, sinon je dépéris. En classe, quand je dessinais, c’était pour attirer l’attention sur moi, pour faire rire les filles autour de moi. Ça a continué et je crois que ça n’a jamais cessé. C’est ce goût, cette excitation.
Vous êtes devenu un dessinateur incontournable, un dessinateur qui fait partie de nos vies. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est merveilleux d’avoir cette durée. Venant du dessin de presse, je pensais que ça allait être oublié. En fait non, ça reste, ça continue et parfois, c’est déprimant. Toutes les blagues sur le conflit israélo-palestinien, on aimerait qu’elles ne soient plus d’actualité aujourd’hui et pourtant, elles sont toujours tragiquement d’actualité. Il y a une fidélité et une idée de se dire qu’on a une histoire commune qui se construit et que ce n’est pas juste un coup d’un soir, mais une histoire d’amour.
Grb2