« Il y a un prix à payer quand on soutient un génocide » : les Arabes-Américains démocrates face à la politique de Biden à Gaza
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« Il y a un prix à payer quand on soutient un génocide » : les Arabes-Américains démocrates face à la politique de Biden à Gaza

« Il y a un prix à payer quand on soutient un génocide » : les Arabes-Américains démocrates face à la politique de Biden à Gaza

Dearborn (Michigan, États-Unis), envoyé spécial.

Elle le dit d’une voix calme sans monter en décibels, ses yeux verts gagnant juste en intensité : elle ne votera pas pour Biden. « Il doit payer pour les 30 000 morts. Nous n’allons pas le récompenser par un second mandat”», explique-t-elle, attablée chez Haraz, un café situé au bord d’une de ces innombrables artères rectilignes. Elle l’assure, rien ne peut la faire changer d’avis : « Si j’étais la dernière personne à voter et à pouvoir faire la différence, je le perdrais. » La détermination de Saamra Luqman est l’une des raisons pour lesquelles la nervosité s’empare de plus en plus de l’équipe de campagne de Joe Biden.

Ce descendant d’immigrés yéménites dont les enfants ont des origines palestiniennes est un électeur démocrate de toujours, une tendance de Bernie Sanders depuis une décennie. Elle a été candidate aux primaires démocrates à deux reprises : au conseil municipal et à la Chambre des représentants locale.

Deux tentatives infructueuses mais qui ont contribué à faire de cet agent immobilier à la fois une personnalité publique à Dearborn, ville de 100 000 habitants à la périphérie de Détroit (Michigan) où une majorité des habitants sont arabo-américains, et une incarnation de la diversité de la Coalition démocrate dans le Michigan, un « swing state » remporté par Donald Trump en 2016 et Joe Biden en 2020.

Saamra n’a pas arrêté de faire campagne, elle a réorienté son énergie pour assurer la défaite du président sortant le 5 novembre. « Il n’est pas seulement complice, il commet lui-même un génocide. Quand vous livrez des bombes de 1 000 kilos qui vont tuer des enfants, comment appelle-t-on cela ? »

Dans le Michigan, 100 000 voix pour le mouvement « non engagé »

Lors de la campagne primaire, elle a participé au mouvement des « sans engagement », dont l’objectif était de montrer la puissance de la contestation face au soutien inconditionnel de Joe Biden à Benjamin Netanyahu. Le 27 février, plus de 100 000 voix ont été exprimées en ce sens. « Le mouvement concerne à la fois les Arabes-Américains et les jeunes. Les villes universitaires ont connu une forte concentration de votes non engagés. Le taux de participation, qui pourrait être un autre indicateur d’ambivalence à l’égard de M. Biden, était également très faible à Détroit, qui compte près de 80 % de Noirs. », décrypte Jeffrey Grynaviski, professeur de sciences politiques à la Wayne State University.

Sur une carte, deux densités de vote protestataire se détachent : les très libérales et académiques Ann Arbor et Dearborn. C’est sur cette dernière que s’est concentrée l’attention médiatique. La ville résume un siècle américain en trois cycles : lieu de naissance de Ford, qui y possède toujours son usine d’origine – The Rouge – et son siège mondial ; dirigé de 1942 à 1978 par Orville Hubbard, maire républicain ouvertement ségrégationniste, et pendant deux ans par Abdullah Hammoud, premier Arabo-Américain élu à ce poste ; aujourd’hui « capitale des Arabes-Américains ».

« C’est à Dearborn, dans le Michigan, que l’on retrouve la plus grande concentration d’Américains d’origine arabe du pays. L’immigration dans la région a commencé dans les années 1890 et s’est poursuivie jusqu’au début de la Première Guerre mondiale.situé pour Humanité Hani Bawardi, professeur d’histoire à l’Université du Michigan à Dearborn. Des milliers de Palestiniens déplacés sont arrivés après 1948 et 1967, lorsque toute la Palestine a été envahie par les sionistes. La majorité des Arabes américains sont arrivés après la guerre civile libanaise au milieu des années 1970. Lorsque les restrictions à l’immigration ont été levées en 1965, de nombreux étudiants sont également arrivés du monde arabe à la recherche d’une formation universitaire. Beaucoup sont restés. »

« Une leçon pour les autres présidents, il ne peut y avoir d’impunité »

Depuis 1984, cette puissante « communauté » dispose d’un journal : L’actualité arabo-américaine. Avant de rejoindre son fondateur au siège social situé au 5706 Chase Road, on récupère un exemplaire de l’édition de la semaine en accès gratuit auprès d’un distributeur. Titre : « Qui arrêtera le génocide ? » Au premier étage, Osama Siblani nous accueille dans un grand bureau dominé par le cuir et le bois et de subtiles touches orientales.

Après le maire, il est sans doute la personnalité la plus influente de la ville. Arrivé en 1976 du Liban en pleine guerre civile, il fonde ce titre huit ans plus tard. De la part d’un notable, on s’attendrait à un verbe de politesse. Encore : « Joe Biden est un criminel de guerre comme Netanyahu. Je dirais même qu’il est d’autant plus responsable que c’est lui qui a la possibilité d’arrêter cette guerre. Nous ferons tout pour le faire tomber. »

La charge puissante est suivie d’une précaution : « Dans l’état actuel des choses. » Acte d’accusation soutenu par Abed Hammoud, ancien procureur fédéral et fondateur du Comité d’action politique arabo-américain (AAPAC), présent également : « Nous ne sommes pas peu ou beaucoup responsables d’un crime. Nous le sommes ou nous ne le sommes pas. Il doit apprendre qu’il y a un prix à payer lorsque l’on soutient le génocide et ce sera une leçon pour les autres présidents qu’il ne peut y avoir d’impunité. »

C’est le même argument qui circule dans les bureaux du Cair, l’organisation musulmane de défense des droits civiques. « Il faut envoyer un message »insiste son directeur exécutif pour le Michigan, Dawud Walid, afro-américain et imam qui « personnellement voté « non engagé » ». « Comme 80 % des musulmans (ils sont originaires d’Asie du Sud-Est, arabo-américains ou afro-américains – NDLR) qui ont voté ce jour-là « , il dit. La députée d’origine palestinienne Rashida Tlaib, membre du DSA (Socialistes démocrates d’Amérique), a elle-même voté « sans engagement » mais n’a pas encore révélé son choix pour les élections législatives.

Projet de port de Gaza et non-opposition au veto d’une résolution de l’ONU : depuis le 27 février, l’administration Biden tente de donner le sentiment d’avoir entendu les protestations exprimées, le Minnesota et le Wisconsin ayant suivi la démarche du Michigan.

« Ces gestes semblent calculés pour plaire à une partie de la base du Parti démocrate : les Arabes américains, les musulmans, les noirs, les hispaniques, les juifs progressistes et les syndicats, qui ont exprimé leur forte opposition aux politiques perçues comme génocidaires et exigent des actions concrètes plutôt que de vagues promesses de la part de l’administration. (Biden – NDLR) »estime Jamal Bittar, professeur à l’Université de Tolède, dans la dernière édition de L’actualité arabo-américaine. Toujours assis sur sa chaise, Osama Siblani utilise moins de mots : « Je pense que Biden essaie de nous vendre ces absurdités.. Ce qu’il faut, c’est un cessez-le-feu durable. »

La directrice de campagne du président sortant, Julie Chavez Rodriguez, petite-fille du syndicaliste agricole Cesar Chavez, a récemment visité Dearborn. Abdallah Hammoud a refusé de la recevoir 1. Pas Oussama Siblani. « Nous avons discuté pendant deux heures ici même. Parfois, j’avais l’impression qu’elle était d’accord avec moi mais je ne pouvais pas le dire. »il glisse.

« Nous prions pour que cela cesse mais surtout nous nous mobilisons pour que Biden change de politique »

Un activiste de Nouvelle Génération pour la Palestine

Le directeur de campagne de Donald Trump s’est également rendu dans ce même bureau. « Et il y en aura d’autres », précise-t-il. Est-ce pour accroître un peu plus la pression sur l’establishment démocrate, habitué à ce que ses électeurs cèdent au « moindre de deux maux », ou qui pourrait faire le pari risqué de l’oubli progressif ?

Pendant ce temps, dans les conversations nocturnes au café Qahwah du centre-ville de Dearborn, après avoir rompu le jeûne ou quitté la Grande Mosquée de Détroit le jour de la grande prière, deux mots reviennent : Gaza et Biden. « Nous prions pour que cela cesse mais surtout nous nous mobilisons pour que Biden change de politique »» déclare un jeune activiste de Nouvelle Génération pour la Palestine qui a requis l’anonymat.

Une volte-face du président sortant ferait-elle changer d’avis une frange de personnes « non engagées » ? « Je ne commente que l’état actuel des choses »répète Oussama Siblani. « Je ne céderai pas au chantage : je voterai pour Cornel West (philosophe afro-américain proche de Bernie Sanders) »répond Daoud Walid.  » Jamais, Saamra Luqman tranche. Trump ne s’améliorera pas, mais le génocide ne peut rester impuni. »


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