Divertissement

« Il y a des moments où je touche à vif ma douleur, et d’autres où les morts sont comme des présences bienveillantes »

L’actrice est présente au Festival de Cannes en Ma vie, mon visagele dernier film de Sophie Fillières, décédée en juillet 2023. Et garde en lui la présence, et le regard de la réalisatrice.

« S’habituer à soi » : tel est, comme le décrit Agnès Jaoui, le défi quotidien de Barberie Bichette, le personnage qu’elle incarne Ma vie, mon visage, présenté en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes du 77ème Festival de Cannes. Une femme de 55 ans traversée de poèmes, d’ombres et de touches d’humour, qui s’efforce de traverser le quotidien, son travail, ses relations avec ses enfants, ses amis ou des inconnus (dont une certaine « Katerine Philippe ») sans s’effondrer.

Ma vie, mon visage est le dernier film de Sophie Fillières, décédée en juillet 2023, juste après le tournage du film. Ce sont ses enfants (Adam et Agathe Bonitzer) et son éditeur, François Quiqueré, qui l’ont réalisé. Agnès Jaoui lui prête ses traits, sa profondeur et son humour. Sans oublier une certaine mélancolie. Rencontre.

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Madame Figaro.- Pourriez-vous nous décrire l’héroïne dans laquelle vous incarnez Ma vie, mon visage ?
Agnès Jaoui.- J’incarne un personnage appelé Barberie Bichette, connue sous le nom de Barbie. C’est une création de Sophie Fillières, c’est beaucoup d’elle, un peu de moi, un mélange des deux. Une femme qui ne va pas toujours très bien mais qui veut aller mieux.

Qu’est-ce qu’il y a de toi en elle ?
L’âge, le corps, le visage, et puis peut-être une manière d’affronter la mélancolie, l’état dépressif, et justement, une envie d’être bien.

En parlant de corps, le vôtre est très présent dans le film. On vous voit apparaître torse nu devant un miroir.
Dans cette scène, Barbie se drape joliment dans une serviette de bain et s’imagine sortir ainsi. Cette scène m’a tout de suite séduit car nous avons tous fait cela devant nos miroirs, avec nos corps et nos visages : se regarder sous le meilleur jour, essayer de nous « flouter », de nous habituer. Cela me rappelle une bande dessinée de Cacahuètes : une petite fille se regarde dans un miroir, et quand Snoopy lui demande si ça lui plaît, elle répond « Non, je m’y habitue. » Dans cette scène du film, quand je dis « Il faut que je fasse des abdos, mais d’abord il faut que je reprenne goût à la vie », ça dit tout : tout le film, et tout le plaisir de Sophie. C’est peut-être aussi ce que j’ai en commun avec Barberie : être très frontal. C’est quelqu’un qui se regarde en face, qui est très honnête, très honnête avec elle-même.

Philippe Katerine et Agnès Jaoui dans Ma vie, mon visagede Sophie Fillières
RD

Quelle résonance a ici le nom « Barbie », que l’on entend beaucoup ces derniers mois ?
Le personnage ici est à peu près l’antithèse de la poupée Barbie, elle est moins plastique. Là aussi, il révèle toute la profondeur et la beauté de Sophie : ce nom et ce prénom ne sont pas choisis au hasard.

À propos Barbie as-tu vu le film de Greta Gerwigprésident du jury cette année ?
Oui, et j’ai bien aimé. J’ai aimé toute une partie du film, très inventive, très drôle, je l’ai trouvé intelligent dans beaucoup de scènes. Je trouvais ça un peu fort de faire de la poupée Barbie une icône féministe, ce n’est pas tout à fait comme ça que je la voyais. Mais ce qu’elle en a fait est très intéressant.

Votre personnage sait voir de la poésie partout. Est-ce une faculté que vous partagez avec elle ?
Pour moi, la caractéristique d’un artiste est de pouvoir montrer la beauté, ou la poésie, d’êtres, de choses, de paysages, d’objets qu’on n’aurait jamais regardés autrement. C’est le contraire de la publicité, ou du cliché. C’est exactement le travail de Sophie : sa grande capacité à trouver la beauté, la profondeur, la grandeur dans les moindres détails. C’est ce qui m’a touché à la lecture du scénario : il y a par exemple une scène où je suis en Ecosse, je mange du fish and chips et j’échange un regard avec une dame âgée. Quand je l’ai lu, je l’ai trouvé très beau. Lorsqu’elle me sourit, beaucoup de choses se disent : deux femmes seules, l’une souriant à l’autre… Dans un échange de regards, toute une humanité se décrit.

Ma vie, mon visage est le dernier film de Sophie Fillières, décédée cet été. Comment vivez-vous sa présentation à Cannes ?
Nous avons tous travaillé ensemble pour y parvenir, de la productrice à ses enfants qui ont terminé le montage, en passant par son équipe, son directeur photo, tous ses amis. Sophie était très aimée, très estimée. Pour l’instant, je suis dans une sorte de déni : j’ai l’impression que Sophie est là, qu’elle sera là. Que tout va bien.

C’est mot pour mot ce que vous nous avez dit sur Jean-Pierre Bacriet l’hommage qui vous a été rendu à tous deux lors la dernière cérémonie des César
Oui, c’est drôle. Les morts nous accompagnent. C’est le cas, je crois, de toutes les personnes en deuil. En tout cas, pour moi, c’est comme ça que ça se passe : il y a des moments d’abîme, des moments où je touche à vif mes douleurs, et d’autres où elles sont comme des présences bienveillantes. Mais il en était tout autrement avec Sophie, que je n’avais connue que récemment : même si nous avons eu une rencontre bouleversante, un véritable coup de cœur amical, elle n’a pas accompagné ma vie. Pour l’instant, oui, sa présence est peut-être une protection. Je vais peut-être m’effondrer, mais je veux juste profiter de la projection de son film, à laquelle elle a droit. Parce qu’en plus, j’ai découvert qu’elle n’avait jamais eu de film sélectionné à Cannes, ce qui me paraît fou étant donné la cinéaste qu’elle était.

On parle beaucoup du pouvoir des femmes cette année à Cannes, qu’elles soient créatrices, activistes, ou souvent les deux à la fois. Que souhaitez-vous à ceux qui feront ce 77ème festival ?
Les choses changent pour les femmes. En tout cas, il y a une vraie prise de conscience, même s’il y a aussi de vraies résistances : cette année encore, il n’y a que 4 films féminins en sélection officielle. Même si en le soulignant, je dis exactement le contraire, j’aimerais qu’elles s’expriment non seulement comme des victimes mais aussi comme des femmes qui s’affirment, qui font les choses quoi qu’il arrive. Je leur souhaite d’être heureux, de trouver leur place, de profiter de tous les moyens d’exister, d’être entendus, reconnus, vus. Avec des hommes. Pas à leur place.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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