« Il suffit d’avoir le bon produit au bon prix pour que les Français nous soutiennent », selon le créateur de French Slip
Depuis sa création, le Slip français connaît des difficultés, avec une perte de 10 % d’activité chaque année. Malgré des sous-vêtements « made in France » de bonne qualité, les prix élevés de la marque restent un trop grand obstacle pour les Français. Pour autant, Guillaume Guibault, le créateur et président du Slip français, souhaite maintenir sa mission de fabrication 100% française.
franceinfo : Treize ans après la création du Slip français, vous avez baissé les prix de vos produits. Les slips coûtaient 40 euros. Vous avez décidé de réduire presque de moitié le prix, à 25 euros. Pourquoi cette décision ?
Guillaume Guibault : Parce que le contexte économique qui nous entoure est compliqué et qu’après treize ans, le made in France ne représente encore que 3% des achats de vêtements. Sur les 3 milliards de vêtements mis sur le marché en France, seuls 3 % sont réellement fabriqués en France. Il faut donc, comme un symbole, accepter cette réalité de pouvoir fabriquer en France là où plus personne ne le fait. Aujourd’hui, en 2024, les Français veulent acheter du « made in France », mais le véritable enjeu, c’est le prix. Et voilà, après treize ans, ces sous-vêtements achetés 40 euros, qui étaient les sous-vêtements de la fête des pères, de Noël, des cadeaux, notre défi est maintenant de créer une industrie qui a du volume, qui soit compétitive.
« Notre défi est de faire en sorte que ces sous-vêtements soient les sous-vêtements de tous les jours, pour tout le monde dans le tiroir, et pas seulement les sous-vêtements d’un cadeau de Noël. C’est le but de cette nouvelle gamme de prix plus accessible. «
Guillaume Guibaulten franciffo
Alors vos slips à 25 euros sont toujours fabriqués en France ?
Ce sera toute une vie. Tricot, tissage, confection. C’est un point d’honneur. Depuis treize ans, nous sommes une entreprise à mission au sens de la loi Pacte. Notre mission est de réinventer l’industrie textile française avec panache. Alors chaque matin, avant même de vendre un seul produit, on se demande comment grandir, relancer cette industrie textile française qui a perdu 90 % de ses emplois. Le textile fournissait 600 000 emplois dans les années 90, c’est 60 000 aujourd’hui.
Vous changez donc le modèle économique que vous aviez imaginé il y a treize ans.
Je ne suis pas issu de ce métier, j’ai tout appris sur le tas. Nous avons construit une base de fournisseurs de 80 partenaires industriels partout en France et nous nous sommes dit au bout de treize ans, si nous voulons faire un pas en avant, il faut chercher un produit plus accessible. Nous avions initialement engagé neuf partenaires dans toute la France pour commander 400 000 pièces, au lieu des 4 000 ou 5 000 habituels. Nous avons massifié tout ce que nous faisions. L’achat de matière est la même matière, en coton, nous avons consolidé la logistique, les stations de fabrication, l’achat d’élastiques et de fournitures. Et c’est la même qualité, je m’y engage.
« L’industrie manufacturière française restera plus chère qu’ailleurs, mais c’est notre modèle social que nous payons, à plus de 1 500 euros de Smic brut et tant mieux. »
Guillaume Guibaultsur franceinfo
Nous générons également moins de carbone. On sait que la fabrication française est jusqu’à 50% de CO2 en moins. Un t-shirt fabriqué ailleurs, c’est dix kilos de CO2, un t-shirt fabriqué en France coûte cinq kilos. Et voilà, plus d’emplois, plus de lien social et moins de CO2. Nous sommes tous d’accord. Nous devons maintenant trouver l’équation des prix.
Le modèle économique que vous avez imaginé ne fonctionne pas. Aujourd’hui, vous êtes obligé de faire du volume pour être rentable.
Après la période extraordinaire du Covid, nous avons perdu 10 % de chiffre d’affaires par an en 2022 et 2023. Nous avons un peu moins de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec quelques centaines de milliers d’euros de rentabilité. Mais c’est fragile.
Pour les textiles fabriqués en France, vous êtes les premiers.
Justement, nous sommes la plus grande entreprise à fabriquer 100% en France. Mais nous sommes une petite entreprise. Si nous voulons avoir de la pérennité et que dans 20 ans, une industrie française soit recréée, c’est un lourd fardeau sur nos épaules. Nous n’avons aucun soutien fiscal ou juridique, nous avons les mêmes règles que tout le monde.
Sur l’objectif de 400 000 produits, 120 000 ont déjà été vendus.
Oui, j’ai regardé hier, c’est la population de la ville de Besançon. Je me dis qu’on a réussi à convaincre tous les habitants de Besançon. Il y a 33 millions d’hommes en France. Je pense que nous pouvons tous nous dire que nous saurons soutenir une démarche comme la nôtre.
Comment faut-il procéder ?
Il vous faut un produit de qualité qui dure dans le temps. Un produit qui donne envie, un produit abordable et un produit bien distribué.
Mais après, auriez-vous besoin d’une aide fiscale de la part des pouvoirs publics ?
Le fait est que cela avance lentement. Nous étions encore à Bercy pour contribuer au plan mode. Peut-on bénéficier d’une TVA réduite sur les produits fabriqués en France ? Pourrait-il y avoir des liens privilégiés avec la grande distribution pour les inciter à acheter dans des coffrets fabriqués en France ? Peut-on faire quelque chose en matière de marchés publics ? Aujourd’hui, qu’il s’agisse de l’armée, de la gendarmerie, etc., il n’y a aucune indication de préférence nationale. Et dans le contexte européen, pour l’instant, on n’arrive pas à faire bouger les magasins. Alors aujourd’hui, en 2024, avec le contexte économique que vous connaissez, nous n’avons pas le temps d’attendre des solutions qui arriveront dans plusieurs années. Alors on est lucide et on passe à l’action, la situation est compliquée mais il y a des solutions.
Les solutions impliquent-elles également des mesures pour freiner la fast fashion ? ? C’est ce que prévoit un texte voté par l’Assemblée, qui prévoit un malus environnemental.
Bien sûr, la loi anti-fast-fashion sera quelque chose de positif pour nous. Mais encore une fois, on sait que les décrets d’application prendront du temps. Nous savons que ces concurrents chinois de la mode sont très forts et très efficaces. Donc en fait, depuis treize ans, j’ai plutôt pris le parti inverse. Comment mettre en œuvre des initiatives au niveau local, engagées, extrêmement populaires et allant dans le bon sens ? Et quand on voit des gens comme Duralex dans d’autres secteurs, on voit la ferveur qu’il peut y avoir, qu’il y a des gens qui veulent aider des entreprises comme ça, alors je me dis que c’est possible.
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