Il s’agit du plus grand événement de prédation jamais observé dans l’océan
Le capelan, petit poisson arctique essentiel aux écosystèmes marins, se rassemble chaque année pour se reproduire, attirant des milliers de prédateurs, dont la morue franche. Cette année, des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de l’Institut norvégien de recherche marine ont observé l’un de ces événements de prédation à une échelle sans précédent.
Observer l’invisible
L’étude de tels phénomènes dans un océan vaste et en mouvement constant constitue un défi majeur pour les océanographes. Comment observer des millions de poissons en interaction à des dizaines de kilomètres ? Pour fonctionner, les chercheurs ont utilisé une technologie de pointe, appelée Télédétection par guide d’ondes acoustiques océaniques (OAWRS), capable de cartographier de grandes populations de poissons à l’aide d’ondes sonores. En envoyant des ondes acoustiques depuis un bateau, le système capte les échos renvoyés par les bancs de poissons, un peu à la manière d’un radar. Ce système d’imagerie, conçu pour fonctionner sur des centaines de kilomètres carrés, permet de suivre en temps réel les déplacements des poissons et de comprendre comment ils se regroupent.
Pour capturer avec précision les interactions entre les espèces, les chercheurs de l’équipe du MIT ont également utilisé une technique multispectral qui analyse les sons en fonction des fréquences spécifiques aux espèces. Grâce à cela, ils ont pu distinguer le capelan, doté de petites vessies natatoires résonantes (organes internes remplis de gaz qui contrôlent leur flottabilité dans l’eau), de la morue, dotée de vessies plus grosses qui vibrent à basses fréquences.
Un affrontement massif
Lors de cette observation unique en pleine mer de Barents, au large des côtes norvégiennesle comportement des capelans prend rapidement une ampleur exceptionnelle. En début de journée, ces petits poissons étaient dispersés en petits groupes à la recherche d’un endroit pour pondre leurs œufs. Cependant, à mesure qu’ils se déplaçaient, ils commencèrent à se rassembler pour former un gigantesque banc. Les chercheurs estiment qu’environ vingt-trois millions de capelans ont formé un hotspot d’environ dix kilomètres de long et se déplaçait comme une vague cohérente.
Ce rassemblement, bien que défensif, a rapidement attiré l’attention des morues qui se sont également regroupées pour former un banc massif afin de se nourrir. En quelques heures, presque 2,5 millions de morues s’étaient donc regroupés pour attaquer le capelan. L’événement de prédation qui a suivi a été à la fois spectaculaire et dévastateur : plus de dix millions d’individus ont été consommés en quelques heuresce qui représente plus de la moitié de la banque initiale. Jamais auparavant un tel événement n’avait été observé ou documenté dans l’océan.
Un équilibre fragile
Le capelan joue un rôle crucial dans les écosystèmes marins en tant que proie pour de nombreuses espèces comme la morue, les phoques et divers oiseaux marins. Sa disparition ou une réduction de sa population pourrait donc affecter l’ensemble de l’écosystème et provoquer un effet domino qui affecterait les espèces dépendant directement ou indirectement de ce petit poisson pour survivre. Bien que ce banc de capelan ne représente qu’une infime partie de la population totale, les chercheurs estiment que le réchauffement climatique pourrait aggraver ce type de phénomène.
Avec la fonte des glaces arctiques, ces poissons doivent nager de plus en plus loin pour trouver des lieux de reproduction appropriés, ce qui les rend plus vulnérables aux prédateurs. Les chercheurs soulignent que ce type de prédation à grande échelle pourrait augmenter avec l’évolution des conditions climatiques, ce qui poserait un risque pour la stabilité des populations de capelan et, par extension, pour l’équilibre marin en général.
L’équipe de recherche prévoit d’utiliser la technologie OAWRS pour étudier d’autres espèces dans les années à venir. Grâce à ces travaux, ils espèrent fournir des informations clés aux organismes de conservation marine pour prévenir l’effondrement de certaines populations de poissons, en détectant les points chauds où la prédation est la plus intense et les pressions écologiques les plus fortes. À l’avenir, ces efforts pourraient s’avérer cruciaux pour préserver non seulement le capelan, mais aussi la santé de l’écosystème marin dans son ensemble.