« Il ne faut pas regarder le patrimoine africain à travers le prisme des sociétés occidentales »
Depuis 2015, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, l’UNESCO, a fait du 5 mai la Journée du patrimoine mondial africain. Si ce coup de projecteur sur le continent vise à donner une plus grande visibilité à un patrimoine méconnu, il rappelle aussi que l’Afrique reste très sous-représentée dans la liste du patrimoine mondial établie depuis 1972, avec seulement 148 sites inscrits sur 1 199 dans le monde.
A la tête du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2021, le Camerounais Lazare Eloundou Assomo a pour mission de corriger ce déséquilibre. Architecte de formation et fin connaisseur des questions de patrimoine, il est le premier Africain à occuper ce poste.
L’UNESCO a fait de l’Afrique une priorité. Quelles sont les avancées ?
Lazare Eloundou Assomo En 2023, cinq nouveaux sites africains ont été inscrits sur la liste du patrimoine, dont deux pour le Rwanda, qui n’en possédait pas : le parc national de Nyungwe et les sites mémoriaux du génocide. Cela a permis de montrer aux Africains que cela est possible, de lever tout doute. Notre objectif est désormais d’accompagner les onze pays non représentés vers l’inscription d’ici 2027. Cela nécessite de renforcer les expertises locales pour leur permettre d’identifier les lieux culturels ou naturels éligibles à l’inscription. Dans certains cas, nous partons de zéro. Mais chaque inscription est une célébration, un motif de fierté nationale. Quel que soit le degré d’avancement, une dynamique existe partout sur le continent. Le patrimoine prend sa place dans les politiques culturelles.
Faut-il fixer un pourcentage pour donner à l’Afrique la place qu’elle mérite ?
Nous en discutons et un groupe de travail rendra ses conclusions fin mai. Pour ma part, je ne pense pas que la représentativité soit une question de nombre, mais il faut des moyens pour accompagner les pays. Pas seulement pour préparer les dossiers de candidature. Il faut alors pouvoir accompagner les États pour assurer la conservation des sites. Les moyens ne suffisent pas aujourd’hui.
La liste du patrimoine n’est-elle pas devenue une compétition déséquilibrée entre des pays qui ont plus ou moins de moyens pour inscrire leurs sites et obtenir ce label touristique au détriment des valeurs de partage et de diversité qu’elle est censée promouvoir ?
C’est l’image que nous ne voulons pas voir. Le patrimoine mondial n’est pas une compétition de trophées. C’est un idéal qui rassemble tous les pays pour protéger les sites les plus importants de la planète. Certes, une inscription génère du tourisme car elle signale au monde un lieu extraordinaire, mais ce n’est ni le premier ni le seul but de la liste du patrimoine.
Comment définiriez-vous l’apport, la singularité des sites du patrimoine africain ?
Il ne faut pas regarder le patrimoine africain à travers le prisme des sociétés occidentales. Par exemple, la glorification du génie créateur ne peut pas s’opérer ici tout le temps car, souvent, la disparition des matériaux physiques signifie qu’il n’existe plus. Il faut donc accepter que le patrimoine africain soit quelque chose qui se renouvelle comme par exemple l’architecture en terre, qui est détruite et réutilisée dans les mêmes lieux. Le patrimoine africain n’est pas nécessairement monumental. Ce qui compte c’est le sens du lieu, son usage social, sa force symbolique du point de vue des croyances et des traditions. Les forêts sacrées ou les villages greniers, par exemple, font partie de ce patrimoine.
Le plus souvent à cause des conflits, 40 % des sites menacés sont africains. Vous avez décidé de » sauvegarder « la moitié d’ici 2029. Est-ce réaliste quand on sait que certains, comme en République démocratique du Congo (RDC), sont considérés en danger depuis trente ans ?
Nous y travaillons. Les tombeaux des rois du Buganda en Ouganda détruits par un incendie ont été retirés de la liste du patrimoine en péril en 2023 après dix ans de travaux de restauration. Nous espérons que le parc du Niokolo-Koba au Sénégal suivra le même chemin. Même si les conditions de sécurité restent difficiles, comme au Mali, nous continuons à soutenir les défenseurs de l’environnement des sites à protéger, par exemple, les mausolées de Tombouctou ou la ville antique de Djenné.
Vous êtes un fervent partisan de la restitution du patrimoine africain, n’êtes-vous pas frustré par la lenteur des décisions ?
Cela n’arrive pas assez vite. Il existe une légitimité pour les pays africains de demander le retour de ces objets culturels. Personne ne le conteste. Notre rôle est d’aider à la médiation entre les pays afin qu’ils trouvent une solution satisfaisante. Mais le mouvement est en marche et nous assistons à des accords que nous n’aurions pas pu imaginer il y a seulement quelques années.