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« Il n’avait jamais été constaté que les émissions de gaz à effet de serre pouvaient provoquer une pollution des océans » – Libération

« Il n’avait jamais été constaté que les émissions de gaz à effet de serre pouvaient provoquer une pollution des océans » – Libération
Dans un avis consultatif rendu ce mardi, le Tribunal international du droit de la mer considère que les gaz à effet de serre anthropiques absorbés par l’océan constituent une pollution marine, établissant un lien juridique entre océan et climat. La chercheuse en droit Sophie Gambardella décrypte les contours de cette décision inédite.

Bonne nouvelle sur le front de la protection du climat et des océans. Mardi 21 mai, le Tribunal international du droit de la mer a rendu un avis consultatif concluant que les États ont l’obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour protéger le milieu marin des effets du réchauffement climatique. UN « moment historique », » enthousiasment les petits États insulaires derrière cette demande. Avant la décision, l’avocat principal de la coalition des nations insulaires, Payam Akhavan, a présenté cette bataille juridique comme « une bataille épique entre David et Goliath » où « les plus petites nations de la Terre invoquent la puissance du droit international contre les plus grands pollueurs ».

La juridiction onusienne, basée à Hambourg (Allemagne), a donc conclu que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine constituent un « pollution » pour l’océan au regard de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite « Montego Bay », ratifiée par 157 nations et adoptée en 1982. Les États sont ainsi appelés à tout faire pour « réduire leurs émissions », « protéger et préserver le milieu marin des impacts du changement climatique et de l’acidification » l’eau et « restaurer » écosystèmes détruits. Pour l’avocate Sophie Gambardella, chargée de recherche au CNRS en droit international et spécialiste de la gestion et de la conservation des ressources biologiques marines, cette décision inédite – mais non contraignante – est « symboliquement très fort » et confirme un « une véritable dynamique au niveau international » concernant les conflits climatiques.

Quelle est la genèse de ce combat juridique entre David et Goliath version océan ?

Le lien entre océan et climat est rarement évoqué dans les négociations internationales, où les références aux océans sont peu nombreuses, malgré le rapport du GIEC sur le sujet publié en 2019. Au niveau du droit international, la compétence sur les émissions de gaz à effet de serre a par exemple été entièrement délégué à l’Organisation Maritime Internationale (OMI) (Organisme onusien relatif à la navigation maritime, ndlr). Cependant, entre acidification de l’eau, blanchissement des coraux et montée du niveau de la mer, c’est probablement sur le milieu marin que les effets du changement climatique sont les plus visibles.

Les petits pays insulaires qui vivent de la pêche subissent de plein fouet la baisse des ressources biologiques liée à l’état des océans. Dans le même temps, nous prenons conscience que ces dernières constituent notre plus grand puits de carbone – et non les forêts, comme on l’entend souvent. Donc s’il est mauvais, nous sommes mauvais. Le contexte international doit également être pris en compte : 2024 est « l’année de la mer » ; en 2025, la prochaine conférence des Nations Unies sur les océans se tiendra à Nice ; nous sommes aussi dans la décennie des sciences océaniques proclamée par l’ONU (2021-2030)… Tout cela a conduit à la création, en 2021, de la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (Cosis), composée de neuf États membres. Et, en décembre 2022, elle a saisi le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) pour une demande d’avis consultatif.

Dans quel but la Cosis, à l’initiative d’Antigua-et-Barbuda et de Tuvalu, a-t-elle formulé cette demande ?

Il n’y a pas de différends entre les États ; la Commission a simplement demandé au tribunal comment interpréter et appliquer la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans le contexte du changement climatique. Cette dernière renforce-t-elle les obligations des États ? Si oui, comment ? Cette demande a fait grand bruit : deux autres instances ont été saisies sur des sujets similaires en janvier et mars 2023. Les gouvernements de Gabriel Boric au Chili et de Gustavo Petro en Colombie ont d’abord adressé une requête à la Cour interaméricaine des droits de l’homme sur le lien entre le changement climatique et les droits de l’homme. Puis, à l’initiative du Vanuatu (pays situé dans la mer de Corail dans le Pacifique), l’Assemblée générale de l’ONU a décidé de consulter la Cour internationale de Justice sur ces questions liées au changement climatique mais sans lien particulier avec le droit de la mer. . Ces trois saisines donneront un aperçu assez général des obligations des États en matière de changement climatique relatives à l’interprétation et à l’application de la Convention dans le contexte du changement climatique.

Ce mardi, le Tribunal international du droit de la mer a donné raison aux petits États insulaires. Concrètement, que préconise cette juridiction internationale dans son avis ?

Plusieurs questions très précises ont été posées par Cosis concernant les obligations des États parties à la convention de « Montego Bay » en matière de protection et de contrôle de la pollution des milieux marins au regard des effets du réchauffement climatique. La question principale était la suivante : les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) doivent-elles être considérées comme une pollution du milieu marin au sens de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ? Ce à quoi le tribunal a répondu oui, sur la base des rapports du GIEC qui font consensus au niveau international. Les juges ont également interprété la convention à la lumière de la « loi pertinente » et donc du seuil de 1,5°C fixé par l’Accord de Paris et d’autres obligations internationales, notamment le cadre juridique de l’OMI sur les émissions. des émissions de GES des navires ou celui de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pour les émissions de GES des avions. Par la suite, l’organisme ne s’est pas prononcé sur l’aspect concernant la responsabilité des Etats au regard de cette pollution car la demande du Cosis ne l’y invitait pas.

En quoi est-ce une décision sans précédent ?

Le fait que les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin n’a jamais été constaté par un tribunal international. Elle est symboliquement très forte car elle établit juridiquement le lien entre océan et climat. Par la suite, celui-ci reste un avis consultatif et non contraignant malgré sa force interprétative.

S’il n’oblige pas les États à respecter leurs obligations, à quoi sert-il ?

Cela contribue à clarifier le droit international dans ce domaine. Toute nouvelle interprétation de cette convention se fera à la lumière de cet avis de la Cour qui établit un pont entre le régime juridique du climat et celui relatif aux océans, (la Cour se réfère également à deux reprises au récent accord BBNJ sur la protection des océans). haute mer). Ce n’est pas rien car c’est le début d’une défragmentation du droit international de l’environnement qui souffrait jusqu’ici de la construction de silos. Et puis, la participation des États a été énorme sur cette question, ce qui est rare – 31 États, 8 organisations internationales et une dizaine d’ONG ont soumis des mémoires écrits. Cela montre clairement l’intérêt que suscite ce sujet.

Cet avis sera probablement contesté par les Etats producteurs de pétrole, dont certains ne font pas partie de la convention, comme les Etats-Unis, mais son poids reste très important car l’instance jouit d’une forte légitimité. Après, il est dommage que la cour n’ait consacré aucune discussion sur les rôles des savoirs traditionnels dans la définition des mesures d’atténuation alors même qu’elle a pris le temps de répondre brièvement aux arguments relatifs aux techniques de géo-ingénierie (stockage de carbone et fertilisation des océans)…

Les conflits climatiques dans le monde, pour la plupart nationaux, ont plus que doublé en quelques années (884 en 2017 contre 2 180 en 2022 selon l’ONU). Les citoyens sont-ils obligés de recourir aux voies légales pour forcer les décideurs politiques à prendre des décisions qui répondent à la crise du climat et de la biodiversité ?

Il s’agit clairement d’un levier puissant. Le fait que des citoyens attaquent leur État est un nouveau mécanisme qui permet de rendre contraignantes sur la scène internationale des obligations quelque peu souples. Cela commence aussi à effrayer un peu les Etats. À l’avenir, ces derniers devront probablement se montrer prudents lors de l’élaboration de nouveaux traités afin d’éviter que des dispositions ne soient utilisées au niveau national pour d’éventuels recours. Il faudra y être attentif. Ensuite, même si le nombre de litiges a explosé, des obstacles procéduraux importants subsistent dans certaines régions du monde. Ce que nous savons au niveau européen n’est malheureusement pas représentatif de ce qui se passe à l’échelle mondiale. Cependant, il existe actuellement une réelle dynamique au niveau international. Et même s’il ne s’agit que d’avis consultatifs, il s’agit d’une avancée significative.

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