La justice a tranché. Christophe K., enseignant depuis les années 1980 dans diverses écoles primaires de la capitale, a été reconnu coupable le 25 juin d’agressions sexuelles sur mineures par la 15e chambre du tribunal correctionnel de Paris.
En rendant son verdict, la présidente du tribunal, Alice Perego, lui a reproché d’avoir « un comportement inapproprié envers vos élèves susceptible de choquer les enfants que vous étiez chargé d’éduquer. Vous avez causé des ennuis ». Or, pour sept des parties civiles dans cette affaire qui comptait dix plaignants, ces gestes « ne constituait pas une infraction pénale ».
Soulignant l’absence de pédophilie et « des gestes de faible intensité »le tribunal a en revanche retenu « les déclarations notées, détaillées et précises des plaignants » considérer qu’il y a bien eu infraction, jugeant en outre que « le contexte de confusion entretenu ajoute à la crédibilité de leurs propos ». Le coupable devra verser 1 000 euros à chacun d’entre eux ainsi que leurs frais de justice. Il est également interdit à l’enseignant à la retraite d’exercer toute activité en contact avec des mineurs.
« Le sentiment d’être privilégié, d’être celui qu’il avait choisi »
Christophe K. n’a cependant pas semblé comprendre de quoi on lui reprochait la veille à l’audience. Très grand, de larges épaules sur un corps élancé, l’ancien professeur passait son temps à osciller entre négation et relativisation. » J’ai eu un problème de positionnement », répète-t-il à la barre pour expliquer son comportement. S’il admet qu’il était « un peu trop près » de ses élèves, c’est parce que qu’il les « a pris pour (ses) enfants ».
Mais il n’a jamais cessé de nier les baisers sur la bouche. « Ce n’est pas possible, quand tu embrasses quelqu’un sur la bouche, c’est qu’il y a de l’amour » il s’est justifié. A l’avocat des parties civiles, Maître Florence Loty-Porzier, qui lui rappelle que lors de la confrontation avec un de ses anciens élèves, à l’issue de sa garde à vue, il a reconnu les faits, il répond : « Entre-temps, je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça. »
A la barre, les plaignants sont cependant venus réitérer leurs témoignages. « Il a posé ses deux mains sur mes joues et m’a embrassé sur la bouche »raconte aux juges Ophélie V. Elle « se souvient de l’odeur de son parfum lorsqu’il nous prenait à genoux », mais aussi de son » fierté « face à ce traitement particulier, « le sentiment d’être privilégié, d’être celui qu’il avait choisie « .
Ariane B. se souvient aussi de baisers sur la bouche le matin, dans le renfoncement du mur où il posait son manteau. « Je n’ai jamais été contraint physiquement, mais psychologiquement » explique celle qui est désormais une jeune femme. L’histoire remonte au milieu des années 90, mais ses souvenirs sont « photographique ». » Je suis un peu en colère. Je ne pense pas qu’il soit juste que les gens disent que ce que je dis n’est pas vrai. » s’exclame-t-elle face aux démentis de Christophe K..
D’autres témoins ont également raconté comment ces événements enfouis, presque banalisés, leur sont revenus à l’esprit lorsque leurs propres enfants sont entrés à l’école. C’est dans la perspective de voir la même chose leur arriver qu’ils ont fait le point sur ce qu’ils avaient eux-mêmes subi.
La « prescription mobile » pour permettre cet essai
Si ces gestes qu’ils avaient quelque peu enfouis ont pu être jugés, c’est grâce au « prescription glissante ». Votée en 2021, cette disposition permet, lorsqu’il existe un cas non prescrit de violences sexuelles sur mineurs, d’intégrer également les faits normalement prescrits dans la procédure. « Ce mécanisme a été prévu par le législateur car il a estimé qu’il fallait prendre en compte la réitération des faits et éviter qu’ils ne disparaissent »a rappelé la procureure au début de sa plaidoirie.
En l’occurrence, c’est la plainte de Cindy A., sur des faits datant du début des années 2000, qui a permis de remonter le temps. Au bar, la jeune fille en robe fleurie est encore venue raconter comment l’homme qui était alors un collègue de sa mère, au sein de l’inspection académique, l’a forcée à l’embrasser : «J’avais 7 ou 8 ans quand c’est arrivé. Il m’a demandé un baiser. J’ai dit non. Il a dit s’il vous plaît. J’ai encore dit non, mais il m’a embrassé et m’a dit : « Tu vois, ce n’est rien, mais ne le dis pas à ta mère..
Au-delà des baisers sur les lèvres, l’audience a été l’occasion de rappeler le contexte. « Ce qui ressort des témoignages, ce sont vos qualités de pédagogue, le souvenir de quelqu’un de très charismatique. Mais ils ont tous également évoqué des comportements anormaux et inappropriés. », a souligné le président du tribunal en relatant les éléments de l’enquête, menée par la brigade de justice des mineurs. Ce qui ressort de ces descriptions est l’image d’un professeur très populaire, que ses élèves admirent, au point que certains évoquent « une sorte de fascination ».
Mais Christophe K. est aussi très tactile, et ne met aucune limite à l’adoration de ses élèves. Il embrasse souvent la joue, a l’habitude de prendre les enfants sur ses genoux et parmi les filles, il a ses préférées, flatté comme on peut l’être à dix ans par cette attention extraordinaire d’un adulte. Lors des nombreux cours verts qu’il organise, il photographie ses élèves sous la douche et vérifie que tout le monde est savonné.
L’objectif, explique-t-il, est d’avoir des images de tous les moments de la vie pour le diaporama destiné aux parents. Mais les filles, dont certaines dans ces classes de CM2 commencent à être formées, décrivent toutes leur gêne et leur mal-être face à cette atteinte à leur vie privée.
De Christophe K., on apprendra aussi qu’il a eu une enfance difficile, avec les parents » arrivé sans le sou de Pologne en 1957 ». Après avoir perdu deux enfants, sa mère se concentre sur le plus jeune et néglige l’aîné, qui se retrouve privé d’amour et d’attention. Le psychiatre qui l’a examiné pour l’intervention évoque un « personnalité très verrouillée, pas très authentique » et souligne qu’il » semble tout prendre à la légère, sans se remettre en question ».
Surtout, il a fait l’objet de deux précédentes procédures pour des faits de même nature, la première classée sans suite et la seconde classée sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Autant de signaux faibles qui n’ont entraîné aucune réaction de la part de l’Education Nationale, et ne l’ont pas empêché d’y poursuivre sereinement une carrière brillante et plébiscitée.