LA TRIBUNE DIMANCHE – Alors que vous célébrez le 5 juin prochain les 50 ans de votre partenariat avec le motoriste américain General Electric (GE), quelle est la suite de l’histoire ?
OLIVIER ANDRIÈS – Safran est une entreprise qui a un ADN transatlantique depuis très longtemps. (lire ci-dessous). Nous préparons ensemble l’avenir et nous avons annoncé la prolongation de ce partenariat jusqu’en 2050. En 2021, nous avons notamment décidé avec GE d’être à la pointe de la décarbonation en lançant le démonstrateur Rise. Un moteur qui sera une véritable révolution avec une architecture non rationalisée. D’ici 2035, il devrait réduire la consommation de carburant de 20 % par rapport à notre moteur actuel, Leap. C’est un message très fort envoyé à l’industrie. Et désormais, quand Airbus et Boeing parlent d’un nouvel avion, ils pensent à une entrée en service vers 2035.
Êtes-vous presque sûr d’atteindre une économie de carburant de 20 % ou avez-vous encore des doutes ?
Je n’aurai pas l’arrogance de dire que cela a déjà été fait. C’est notre objectif, nous sommes convaincus que nous l’atteindrons. L’intérêt de ce programme technologique est de démontrer aux avionneurs, d’ici la fin de la décennie, que nous sommes capables d’atteindre ces 20 %. Si Boeing semble se concentrer pour le moment sur d’autres sujets, à plus court terme, Airbus a de son côté annoncé un programme de démonstration sur un A380.
Considérez-vous la Chine capable de rivaliser avec Airbus et Boeing ? Où est la montée en puissance du C919 de l’avionneur chinois Comac, qui utilise votre moteur Leap-1C ?
Cette montée en puissance viendra. Comac a déjà livré cinq avions à China Eastern Airlines. L’entreprise semble très satisfaite de l’avion et plus encore des moteurs. Les avions volent cinq à six heures par jour, sans aucun problème. La cadence de production de Comac est de l’ordre d’un avion par mois, mais elle va monter en puissance très rapidement. Ils subissent une pression très forte de la part des autorités chinoises. Le C919 devient une véritable réalité industrielle et commerciale.
Peuvent-ils espérer obtenir rapidement la certification américaine et européenne ?
Comac espère une certification européenne rapide, mais c’est à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) qu’il faut poser la question. Tant qu’ils ne disposeront pas de cette certification européenne ou américaine, ils ne pourront pas vendre leur avion dans toutes les régions du monde. Uniquement dans les pays qui acceptent la certification chinoise.
Malgré une forte reprise du transport aérien et des perspectives pluriannuelles pour le secteur, la production ne semble toujours pas revenue à la normale. Avez-vous un horizon d’amélioration ?
Nous sommes dans une situation étonnante : la demande n’a jamais été aussi forte dans le secteur civil que dans le militaire, et l’offre n’a jamais été aussi fragile. Nous sommes dans une période de tension entre des clients qui exigent davantage de livraisons et une supply chain qui peine à y répondre. Mais l’industrie aéronautique a dû résister à des chocs successifs : le Covid, puis l’invasion de l’Ukraine, le choc énergétique, le choc inflationniste… Des chocs qui ont ébranlé toute l’industrie. Cela devrait s’améliorer courant 2025.
Compte tenu du contexte géopolitique tendu et des chaînes de sous-traitance perturbées, vous souhaitez délocaliser votre production en France afin de sécuriser vos approvisionnements ?
C’est un sujet stratégique ; nous avons un « plan de résilience pour le chaîne d’approvisionnement » pour tout le groupe. Il est inspiré de ce que nous avons fait pour le moteur Leap. C’est-à-dire éviter les points de défaillance uniques, grâce à des politiques d’approvisionnement à double source. De même, nous devons anticiper ce qui pourrait arriver au niveau géopolitique et nous préparer aux chocs futurs. Parce qu’il y aura encore des chocs. Même si cela coûte cher, nous devons construire cette résilience.
Pensez-vous à la Chine ?
Je ne cible aucun pays en particulier. C’est possible, nous ne savons pas ce qui pourrait arriver. Nous avons une politique globale de réduire les risques pour les pays qui, selon nous, peuvent présenter un risque à long terme. Nous sommes sur notre feuille de route, avec des objectifs fixés pour 2025, puis d’autres en 2027. Mais cela ne veut pas dire que nous allons quitter un pays. Nous nous mettons en mesure de poursuivre la production en cas de choc.
Avez-vous réduit les risques liés à vos fournitures ? Titane notamment, avec la Russie ?
Nous avons un système multi-sources et nous réduisons les risques petit à petit. Il est plus difficile pour certaines pièces que pour d’autres, en particulier pour les pièces forgées critiques, pour lesquelles il peut falloir deux ans et demi à trois ans pour qualifier des sources d’approvisionnement alternatives. Il y a un impact financier important. Je pense que nous aurons largement réduit nos risques sur le titane russe d’ici fin 2024.
Craignez-vous un éventuel retour de Donald Trump à la Maison Blanche ?
Un retour de Trump n’entraînera aucun changement fondamental à l’égard de la Chine, la politique américaine sur ce sujet faisant l’objet d’un consensus entre républicains et démocrates. Il s’agira plutôt d’un changement de forme et au vu de sa politique concernant l’Ukraine, c’est un point d’interrogation.
Avec l’acquisition d’Orolia, vous avez mis la main sur des technologies de brouillage et de leurre. Disposez-vous d’une arme anti-drone pour protéger les sites des Jeux Olympiques ?
Avec Orolia, Safran est en mesure de proposer aux avionneurs ou aux systémiers un système complet, totalement résilient au brouillage ou à la déception des systèmes de navigation, comme le GPS ou Galileo. Que se passe-t-il en ce moment sur le front ukrainien ou en mer Rouge ? Les drones, attaquant parfois en essaim, provoquent des dégâts ou nécessitent le déploiement de moyens de défense importants. Forts de ce constat, nous avons décidé de développer en six mois un système de combat anti-drone, le SkyJacker, qui connaît déjà un énorme succès. Il peut attirer un essaim de drones et les rediriger vers une zone sûre.
Ce système sécurisera-t-il les JOP ?
Il a été sélectionné pour les Jeux Olympiques. Et la marine est très intéressée par la lutte contre les drones houthis en mer Rouge.
En chiffres
23.2 milliard
Chiffre d’affaires en 2023
92 000 employés
réparti sur 276 sites dans 27 pays