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« Il faut écouter les catholiques déconcertés par les positions du pape »

La Croix : Vous vous dites assez éloignés culturellement et intellectuellement des chrétiens opposés à l’accueil des migrants, mais vous vouliez les comprendre. Pourquoi cette approche ?

Jacques-Benoît Rauscher : La théologie ne se fait pas à la surface, elle se nourrit aussi d’expériences pastorales. Au cours de conférences et de nombreux échanges, j’ai pu constater que les chrétiens sont profondément divisés sur la question de l’accueil des migrants. Il me semble important d’entendre tous les arguments, y compris ceux des chrétiens déconcertés par les positions du Pape. Il y a un enjeu pastoral de les accompagner, il ne faut pas stigmatiser ces personnes qui ont des peurs et les expriment.

Dans votre livre, vous approfondissez les différentes figures de l’étranger dans les textes et la tradition chrétienne, et vous insistez sur celle de « l’icône-étrangère ».

J.-BR : A vrai dire, ce n’est pas moi qui m’y attarde, mais plutôt les papes successifs ! Certes, la Bible et une longue tradition chrétienne conservent des figures positives de l’accueil de l’étranger. J’ai regroupé ces figures autour de trois types : l’étranger pauvre, à qui tout manque ; le riche étranger, porteur de sagesse pour le peuple de Dieu ; l’icône-étranger, signe d’une réalité élevée. Mais la Bible retient aussi une figure moins positive : celle de l’étranger menaçant, qui met en danger la foi et la stabilité du peuple.

Les papes ont tendance à laisser de côté cette dernière figure biblique et à retenir majoritairement la figure de l’icône-étrangère. Cette focalisation sur cette dimension est importante, mais elle tend aussi à éloigner la réflexion du terrain, des recherches pratiques et politiques auxquelles la Bible apparaît plus ouverte.

Cet éloignement du terrain est un reproche régulièrement adressé à l’Église, au-delà de cette question.

J.-BR : On rencontre sur cette question de l’accueil des étrangers le même écueil que celui signalé depuis longtemps dans le discours de l’Église sur la morale sexuelle. On a souvent dit que c’était soit très normatif, soit excessivement spirituel. La question se pose de la même manière pour l’accueil des étrangers.

Le risque est de finir par adopter une logique assez libérale où l’on sépare les sphères de l’existence : le discours religieux appartiendrait à une sphère spirituelle pure et déconnectée de la sphère pratique. Cependant, le christianisme doit prendre en compte le caractère « gris » des situations. En tant que chrétien, nous devons accepter le malaise entre l’idéal d’accueil et la réalité pratique. L’Église doit réfléchir à la manière dont elle accueille les personnes qui tâtonnent, sans penser que sa mission est de leur donner une liste de prescriptions ou de leur offrir quelques heures de bonheur spirituel un peu éthéré.

Pour comprendre ce qui « ne passe pas » dans les discours des papes sur l’accueil des étrangers, vous avez décidé de vous plonger dans les textes de doctrine sociale. Pourquoi cette méthode ?

J.-BR : Au-delà de ces sujets, j’étudie la doctrine sociale de l’Église et sa réception, et je me rends compte que sa transmission n’est pas évidente. S’il nourrit un certain nombre de personnes, il faut être clair : une majorité de catholiques l’ignore, et quasiment personne en dehors de l’Église n’est au courant de son existence.

La question de l’accueil des migrants est un bon domaine pour comprendre ces difficultés. Au XIXe siècle, l’Église s’intéresse aux migrations pour des raisons pastorales (aider les catholiques migrants) : elle ne s’adresse qu’aux catholiques. Puis, au milieu du XXe siècle, elle porte ce sujet auprès des organisations internationales ; elle s’adressait à des hommes « de bonne volonté », en grande partie grâce aux organisations internationales. Aujourd’hui, elle tient un discours très théologique sur ce sujet mais qui trouve beaucoup moins de soutien dans la sphère politique nationale et internationale. De ce fait, son discours n’appartient plus au registre des pratiques.

Quand François vient à Marseille, face à la Méditerranée, il se confronte aux réalités du terrain, non ?

J.-BR : Oui, mais le terrain n’est pas ce qu’on peut appeler un « discours pratique ». Dans son discours sur les migrants, François est soit très proche du terrain, soit dans des attitudes très prophétiques. Il manque ce niveau pratique qui offre des critères de discernement pour gérer des situations complexes. Sans ce niveau, nous enfermerons le chrétien dans le rôle de celui qui distribue des repas aux plus démunis ou qui donne un sens mystique aux évolutions de notre monde. Si ces deux attitudes sont très importantes, il en manque une troisième qui consiste à se demander : quelle aide peut-on apporter au discernement des dirigeants politiques et des citoyens ?

L’Église devrait prendre cette terre. Elle aurait beaucoup à apporter à la sphère politique, qui manque de cette combinaison entre une conception de qui est l’homme et un véritable horizon dans sa pratique. La doctrine sociale pourrait offrir cette perspective car elle porte une tradition séculaire qui permet de prendre du recul par rapport à la gestion quotidienne, tout en restant ancrée dans des réalités humaines complexes. Aujourd’hui, l’Église proclame l’origine et la fin, et la politique s’en tient à une pratique très managériale. Si l’Église aidait à mieux construire un pont vers la pratique, tous deux pourraient sortir enrichis de ce dialogue.

Vous soulignez également que l’Église a du mal à penser au niveau national, d’où vient cette difficulté ?

J.-BR : Nous touchons ici à quelque chose d’impensé du catholicisme. Il connaît le très local, la paroisse, et Rome, l’Église universelle, mais il se méfie beaucoup du niveau national. Il est révélateur que les conférences épiscopales n’aient pas un pouvoir très important. Les pôles qui structurent la vie catholique sont : ma paroisse et le Pape.

Le catholicisme a du mal à concevoir qu’une identité particulière, notamment nationale, puisse être pensée comme un lieu qui n’est pas nécessairement fermé. Il y a un champ à explorer : rester dans une perspective catholique d’une véritable ouverture mais qui n’est pas fermée à l’exploration d’une identité sectaire nationale qui n’est pas nécessairement nationaliste. Soyons clairs : nous ne pouvons pas être catholiques et adopter une posture de clôture nationaliste. Mais développer un bon amour de notre culture appartient aussi à notre humanité.

Jacques-Benoît Rauscher sera le jeudi 11 juin au café Le Dorothy (85 bis rue de Ménilmontant, 75020 Paris) pour une soirée autour du travail et de la doctrine sociale.

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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.

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