« Il faut changer ce ton péremptoire ! : Bruno Le Maire passe sous le grill de la Commission des Finances – 30/05/2024 à 17h15
Le ministre de l’Economie a répondu pendant trois heures aux questions des sénateurs de la commission des Finances, qui ont lancé fin mars une mission sur la dégradation du déficit public et le « manque d’information du Parlement » sur la situation.
Bruno Le Maire, le 7 mai 2024, à l’Assemblée nationale (AFP / LUDOVIC MARIN)
« Il faut changer ce ton péremptoire ! L’audition de Bruno Le Maire par la commission des Finances du Sénat, jeudi 30 mai, a été le théâtre d’une
remontrances marquées émises par le président de la commission, Claude Raynal, envers le patron de Bercy,
écorché pour son manque de « précautions oratoires » dans ses déclarations sur la dérive du déficit public, plus fort qu’initialement anticipé.
En préambule de son audition, le ministre de l’Économie a affiché sa volonté de prendre le temps de répondre aux accusations « graves » et « infondées » portées contre lui.
« Sur ces questions, on ne peut pas être péremptoire »
« Vous voulez recadrer les choses (…). Cela change terriblement du ton très péremptoire que l’on utilise habituellement dans une situation !
a répondu Claude Raynal, président de la commission, avant de développer en citant des déclarations passées du ministre.
« Je vous raconte vos phrases : ‘Ce projet de loi de finances garantit un déficit de 4,4% pour 2024 et nous le maintiendrons’, ‘Nous avons toujours maintenu nos objectifs’, etc… C’est extrêmement péremptoire ! , a-t-il dit au ministre.
« Et il faut changer de ton péremptoire, car vous nous avez donné toutes les raisons de montrer que justement, sur ces questions, on ne peut pas être péremptoire ! »
« Ce n’est pas la France seule qui décide de sa croissance !
Le sénateur de Haute-Garonne pointe la confiance excessive dans les affirmations de Bercy, dans un environnement économique aux multiples variables.
« Il y a trop de choses qui échappent au ministre des Finances. Ce n’est pas la France seule qui décide de sa croissance !
(…) Ce que nous souhaiterions, c’est que déjà, lors de la présentation du budget, ces précautions oratoires puissent être prises.
Et derrière les précautions oratoires, quelques précautions sur les résultats »
Il suggère.
Dans cette perspective, le sénateur de Haute-Garonne propose donc de
préférez les « intervalles de confiance » aux valeurs absolues lorsqu’il s’agit de prévisions économiques.
Ce faisant, « nous saurions où nous allons, que nous naviguons entre telle et telle valeur ». Ce serait plus simple ! », argumente-t-il. Le président de la commission exprime même des « encouragements » au ministre : choisir une trajectoire qui permette éventuellement une bonne surprise. Il est toujours préférable d’avoir à la fin « de l’année 0,2 de plus, ce qui permet d’améliorer le bilan, plutôt que d’avoir 0,2 ou 0,3 de moins ».
Dette et déficit publics de la France en % du PIB depuis 1990 (AFP / Bertille LAGORCE)
« Les prévisions de déficit ne sont pas une science exacte », a répondu Bruno Le Maire, évoquant les « aléas conjoncturels très forts » qui pourraient faire varier l’évaluation des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) et la trajectoire de la croissance économique.
S’il n’a pas dévoilé les prévisions d’une note de ses services du 7 décembre 2023 avertissant d’un risque de déficit à 5,2% du PIB, alors que l’examen du projet de loi de finances pour 2024 était en cours au Parlement, c’est qu’ils étaient « incomplet » concernant la SI ou « inexact » sur les dépenses de l’Etat, a-t-il détaillé. « Si je les avais diffusés, j’aurais donc semé le doute et l’inquiétude inutilement », a-t-il argumenté, avec le risque de voir l’écart de taux d’intérêt des emprunteurs de la France se creuser par rapport à l’Allemagne (« spread »).
« Une erreur comme celle-là ne peut pas se produire deux fois », reconnaît Le Maire
Ce n’est qu’en février 2024 que diverses données concernant la fiscalité, les dépenses des collectivités locales ou la situation économique se sont précisées, selon M. Le Maire. Peu après, début mars, il avait prévenu que le déficit dépasserait « sensiblement » l’objectif de 4,9 %.
Bruno Le Maire a cependant reconnu
« une erreur dans l’évaluation des déclarations fiscales »
, notamment l’IS en raison des montants provisionnés par les entreprises : « J’ai contacté toutes les administrations concernées de mon ministère à ce sujet. Une telle erreur ne peut se répéter deux fois. » Il s’est également dit favorable à une communication « plus régulière » et « plus transparente » entre le gouvernement et le Parlement en matière de finances publiques.
Face aux sénateurs, Bruno Le Maire s’est également défendu d’avoir caché au Parlement une information sur le dérapage du déficit public en 2023, qui s’est élevé « brutalement » à 5,5% du PIB contre 4,9% initialement anticipé. Critiqué par les oppositions pour le dérapage du déficit public, le gouvernement l’attribue à des recettes fiscales de 21 milliards d’euros inférieures aux prévisions de l’an dernier.
« Toutes les informations ont été données en temps utile au Parlement et aux Français,
et toutes les décisions nécessaires ont été prises à temps pour corriger les conséquences de recettes fiscales inférieures aux prévisions», a affirmé M. Le Maire.
« J’ai toujours fait preuve, au cours des sept années où j’ai été ministre de l’Économie et des Finances, de sincérité, d’honnêteté et d’un sens de la vérité »,
il s’est défendu. « Toutes les accusations (…) selon lesquelles j’ai délibérément caché au Parlement les informations dont je disposais sont graves et infondées. »