Par exemple, il existe désormais des preuves de la façon dont, quelques jours après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, TikTok a isolé son service russe du reste du monde, laissant les utilisateurs russes dans la chambre d’écho de la propagande du Kremlin. Parallèlement, une autre enquête a montré comment TikTok amplifie largement les affrontements politiques sur un certain nombre de questions dans les pays occidentaux, tout en dévalorisant ou en censurant des sujets comme Hong Kong, le Tibet, le massacre de la place Tiananmen ou le génocide des musulmans ouïghours.
Il est incroyable que les pays européens, qui ont des règles strictes concernant la propriété des médias et les menaces de subversion étrangère lorsqu’il s’agit de presse ou de télévision traditionnelles, choisissent de rester muets lorsqu’une menace aussi évidente se manifeste en ligne. Imaginez que nous soyons au plus fort de la guerre froide et que Londres, Paris ou Washington décident d’autoriser la diffusion gratuite de la propagande soviétique dans chaque foyer familial.
Ce n’est pas quelque chose à prendre à la légère. TikTok est en train de devenir le lieu incontournable permettant aux adolescents et aux jeunes de s’informer et de forger leurs opinions. Et la « plateforme de vidéos de danse amusantes » compte déjà 150 millions d’utilisateurs actifs aux États-Unis et plus de 100 millions dans l’UE. Nous ne devrions pas permettre à une telle plateforme d’avoir un accès sans entrave à nos citoyens, alors qu’elle a des liens directs avec le Parti communiste chinois et qu’elle est tenue par la loi chinoise sur la sécurité nationale de coopérer avec l’État.
Il a fallu beaucoup de temps à l’UE pour se rendre compte des menaces sérieuses provenant du déploiement de l’infrastructure matérielle chinoise et de fournisseurs peu fiables comme Huawei ou ZTE. Et la décision hâtive d’interdire TikTok uniquement sur les appareils gouvernementaux n’était qu’une feuille de vigne. Les gouvernements européens admettent ouvertement qu’ils ont des préoccupations en matière de sécurité concernant cette application, mais ils ont peur de discuter de mesures supplémentaires en raison de réactions politiques ou de la colère de la Chine. Pendant ce temps, aux États-Unis, l’opposition à l’interdiction de TikTok vient même des rangs du Parti républicain, de la part de plusieurs législateurs parrainés par un milliardaire américain qui détient une part importante de l’application.
C’est une vision à courte vue. L’UE doit disposer d’un meilleur arsenal numérique offensif – pas seulement en ce qui concerne TikTok, mais aussi pour toutes les autres applications qui servent à des fins nuisibles ou agissent pour le compte d’un adversaire étranger. Et la Commission européenne doit avoir la possibilité de proposer une interdiction complète de certains logiciels ou applications à tous les pays membres de l’UE, une fois qu’elle aura réalisé une évaluation objective prouvant une intention malveillante.
Le marché chinois est complètement fermé aux médias occidentaux, aux applications Big Tech et à certains services logiciels européens. Pourtant, les démocraties occidentales donnent ouvertement à la Chine un accès direct au cœur et à l’esprit de sa jeunesse pour le plaisir d’opportunités publicitaires, d’accords de parrainage ou simplement par pure négligence. Ce n’est pas seulement politiquement irresponsable, c’est dangereux.