Humiliations, injustices et mépris : ce qu’il faut retenir du rapport d’ATD Quart Monde sur la maltraitance institutionnelle
« La CAF a mis deux mois à répondre à l’urgence de ma situation »Laetitia Ghanai se souvient avec douleur. En 2022, cette mère handicapée de Roubaix s’est retrouvée seule, sans ressources, avec ses quatre enfants. À la CAF où elle espérait trouver de l’aide, elle est restée devant des ordinateurs qu’elle ne savait pas utiliser.
Aidée d’un conseiller, elle ne peut que déposer une demande de rendez-vous… Quand celui-ci est finalement confirmé, il est fixé trois semaines plus tard. Et ce n’est que le début d’un parcours du combattant. « On me demandait sans cesse les mêmes papiers. Et c’était comme si on me reprochait de ne pas savoir rendre les documents au bon format. Et ce n’est pas facile quand on n’a pas d’ordinateur ou d’imprimante à la maison… Je comprends pourquoi beaucoup de gens abandonnent. C’est épuisant et humiliant. »
Une litanie d’humiliations
Loin d’être isolé, le cas de cette femme reflète une réalité qui constitue un véritable phénomène de société. Mais invisible. Comment oser se plaindre quand on survit grâce au RSA et que plane la menace terrifiante de voir ses enfants placés par les services de l’ASE ? « Dans les maisons France Services, on se retrouve dans une salle informatique avec des gens pour nous aider, mais ce n’est pas facile de devoir déballer sa vie et ses problèmes quand tout le monde peut entendre… » complète Joseph Grosos.
Cet habitant de Flers, dans l’Orne, âgé de cinquante ans, regrette également le climat de suspicion qui règne à l’égard des bénéficiaires du RSA, qui peuvent se retrouver arbitrairement privés de toute subvention. « Il faut parfois des mois pour que le versement de l’allocation soit rétabli. A l’inverse, en cas de trop-perçu, nous devons rembourser immédiatement »Il témoigne. Toutes ces humiliations constituent des obstacles à l’accès aux droits et expliquent en grande partie les taux de non-recours, qui atteignent 34% pour le RSA, 30% pour l’assurance chômage et 50% pour le minimum vieillesse.
La souffrance décrite ici ne se cantonne pas à un seul côté du comptoir (quand elle existe encore). Ces familles en situation de pauvreté ne supportent plus les relations humiliantes avec les institutions censées les aider, et les professionnels débordés, soumis à des injonctions absurdes, vivent souvent très mal leur impuissance face à un système défaillant qui leur fait perdre le sens de leur mission. Il ne s’agit donc pas de les attaquer.
« Une spirale vicieuse »
D’autre part, le rapport d’ATD Quart Monde a identifié « les mécanismes qui expliquent cette spirale infernale ». Sous-dotation en ressources humaines des services publics ; droits abusivement conditionnés comme le RSA qui, au lieu d’un revenu minimum, devient un revenu maximum puisque, au moindre revenu, ses bénéficiaires le voient diminuer ou supprimé ; sur-contrôle des demandeurs avec des algorithmes discriminatoires, etc.
Et la dématérialisation forcée a laissé sur le bord de la route tous ceux qui ne maîtrisent pas le maniement d’un ordinateur. Un autre facteur important de maltraitance institutionnelle est celui des préjugés négatifs à l’égard des personnes en grande précarité.
« L’idée fausse selon laquelle les pauvres sont des gens qui ne veulent pas travailler, qui sont des profiteurs et qui ne savent pas gérer un budget est très répandue et imprègne la société. »note Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde. « Nous n’accepterons jamais que près de 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté soient également pointées du doigt »prévient Marie-Aleth Grard, la présidente du mouvement.
C’est pourquoi ATD Quart Monde propose plusieurs recommandations. « Ces mesures sont indissociables »insiste le président. C’est notamment l’instauration d’un revenu minimum inconditionnellement insaisissable, équivalent à la moitié du revenu médian, qui permettrait aux personnes vivant dans la pauvreté de ne pas se retrouver sans ressources. Cela passe aussi par le retour des êtres humains dans les institutions, en facilitant les recours juridiques et administratifs, et en construisant des politiques publiques qui prennent en compte les avis et l’expertise des plus pauvres.
Enfin, les auteurs du rapport précisent : « La lutte contre la pauvreté doit être la priorité du prochain gouvernement et doit s’accompagner d’un dialogue permanent entre les personnes en situation de pauvreté, les acteurs de la solidarité et les professionnels. » Oserez-vous ?
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