« Hors-la-loi », le gouvernement impose sans débat le futur énergétique de la France
12 avril 2024 à 9h38
Mis à jour le 12 avril 2024 à 14h37
Temps de lecture : 5 minutes
Dans quelle mesure devrions-nous réduire notre consommation d’énergie d’ici 2050 ? ? Et comment ? Quelle part d’éolien, photovoltaïque ou nucléaire ? Autant de questions fondamentales pour notre avenir climatique, auxquelles le gouvernement français aurait dû répondre avant juillet 2023, via un « loi de programmation sur l’énergie et le climat ». Ce texte ne verra jamais le jour. Le ministre délégué à l’Industrie et à l’Energie Roland Lescure a annoncé dans le Figaro, mercredi 10 avril au soir, que ces objectifs seront inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie. Via un décret donc, plutôt que par un projet de loi débattu au Parlement. Un choix qui soulève des questions et des inquiétudes parmi ONG environnemental pour trois raisons.
1 – Une solution” hors la loi » et antidémocratique
En choisissant la voie réglementaire, le gouvernement « devient hors-la-loi »assure Anne Bringault, directrice de programme au Réseau Action Climat. « Le Code de l’énergie est très clair : il aurait dû y avoir une loi. » Un texte donc qui ne viendra pas. Il y a bien eu un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Il a été abandonné. Le gouvernement craignait de ne pas trouver une majorité pour l’adopter. « C’est une vision étrange de la démocratie que de n’accepter de débattre devant le Parlement que lorsqu’on est certain qu’il adoptera les mesures que l’on souhaite. »critique Nicolas Nace, chargé de campagne énergie à Greenpeace France.
« C’est une étrange vision de la démocratie »
Cependant, un débat parlementaire « est important pour construire une vision partagée », soutient Anne Bringault. Là-bas, le risque est que la trajectoire énergétique de la France soit perçue comme « imposé d’en haut, unilatéralement par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire »regrette Nicolas Nace. « Ce n’est pas ainsi que nous réussirons la transition. »
Le cabinet de Roland Lescure assure de son côté que son choix apportera « nécessaire solidité juridique ». Quant à la nécessité du débat démocratique, il entend l’assurer via une consultation organisée avec la Commission nationale du débat public. Le résultat serait connu à l’automne, et le décret de programmation pluriannuel de l’énergie serait publié à la fin de l’année.
2 – Un manque de vision à long terme
UN « solidité juridique » ce dont Nicolas Nace doute. « N’importe quel futur président, n’importe quel gouvernement pourra, dans le cadre d’un simple décret, modifier complètement la stratégie française en matière d’énergie et de climat. », il a dit. Inclure de tels objectifs dans un décret est « opposé à l’idée de planification, qui suppose de regarder dans le long terme et de sécuriser les acteurs ». Ceci est notamment nécessaire pour inciter les entreprises à investir dans les énergies renouvelables ou la rénovation des logements. Une loi aurait donné « un signal politique beaucoup plus fort », ajoute Anne Bringault. Au contraire, le gouvernement prétend offrir « visibilité et efficacité »a insisté le cabinet du ministre Roland Lescure.
3 – Des objectifs peu ambitieux
Sur le fond, le texte suscite également le doute. Le cabinet de Roland Lescure a fixé une série d’objectifs qu’il entend inscrire dans ce programme énergétique pluriannuel. Notamment réduire de moitié notre consommation d’énergie, et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour cela, nous devons réduire la consommation d’énergies fossiles. « Cela signifie que nous produirons plus d’énergie électrique »a détaillé le bureau de M. Lescure. « Augmentez donc notre production nucléaire et augmentez notre production d’énergies renouvelables. Il y a une opposition entre les deux. Nous voulons surmonter ces divisions. »
L’idée est d’augmenter la capacité nucléaire « avec une production d’environ 400 TWh, lancer la construction de six EPR2 pour une entrée en production entre 2035 et 2042 »précisait Roland Lescure à Figaro. Côté énergies renouvelables, l’ambition est de multiplier par cinq la production de gaz renouvelable (méthanisation) d’ici 2035, par cinq également celle du photovoltaïque, par deux celle de l’éolien terrestre et de la chaleur renouvelable.
Pas de quoi impressionner Nicolas Nace, qui constate que le gouvernement « se contente d’aller au minimum de ce qui doit être fait au niveau européen et même alors, sur les énergies renouvelables, cela ne suffira probablement pas ».
« La France n’est pas un pays leader dans le domaine solaire »
La production d’énergie photovoltaïque multipliée par cinq ? « Quand on regarde ce qui se passe dans les pays voisins, y compris les moins ensoleillés comme les Pays-Bas, on se rend compte que cela ne fera pas de la France un pays leader dans cette énergie. »il a dit.
Multiplier l’énergie éolienne par deux ? « Cela continue comme nous l’avons fait les années précédentes », constate Anne Bringault. Surtout, pour l’instant, il ne trouve aucune trace de l’objectif de réduire de 30 % notre consommation d’énergie. % d’ici 2030, comme le prévoit le projet de loi abandonné. « C’est important car nous sommes sur un horizon assez court »insiste-t-elle. « Si cette mesure n’est pas retenue, ce sera un grave échec. » L’or, la sobriété énergétique et les énergies renouvelables « sont les deux seuls leviers que nous pourrons actionner rapidement, puisque les nouveaux réacteurs nucléaires n’entreront pas en service avant 2035 et plus certainement 2040 ».