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Histoire : le déclin illusoire de la démocratie athénienne

Il s’agit d’une stèle de marbre un peu oubliée, entreposée parmi des dizaines d’autres au fond d’une salle obscure. Couverte de stries à la base, amputée de sa partie supérieure, une grande partie du texte manque. Pas de quoi, a priori, susciter l’intérêt du visiteur du Musée épigraphique d’Athènes. Le lieu est de toute façon désert, en ce mois de juin : situé à deux pas du grand Musée archéologique national, les touristes ignorent pour la plupart son existence.

Ce musée est pourtant unique en son genre et la stèle en question est un précieux témoin pour démystifier un cliché encore bien vivace. « Qu’il soit décidé qu’Oxythémis, fils d’Hippostrate, est lui-même citoyen athénien, ainsi que ses descendants », dit notamment ce décret, gravé dans les toutes dernières années du IVe siècleet siècle avant J.C.

Oxythémis est l’un des officiers des Antigonides, les « rois sauveurs » qui ont libéré Athènes du joug de Cassandre en 307 av. J.-C. Héroïsé par les Athéniens, ce membre de la famille princière de Larissa, en Thessalie, est fait citoyen, un honneur rare réservé aux étrangers ayant rendu de grands services à la cité. Citoyen ? L’aventure démocratique d’Athènes n’a-t-elle pas pris fin quelques années plus tôt, après sa capitulation retentissante face aux Macédoniens (322 av. J.-C.) ?

âge d’or

La fin du régime démocratique à Athènes fait toujours l’objet d’un malentendu persistant. Sur les frises chronologiques des manuels scolaires et dans les médias, il n’est pas rare de voir s’inscrire deux jalons, comme deux ruptures irrémédiables. D’abord, une date de naissance, avec les réformes politiques de Clisthène en 508-507 av. J.-C. Et, à l’autre extrémité, cette date de mort, 322 av. J.-C., qui a vu un général macédonien, Antiparos, imposer une réforme de la Constitution pour abolir les institutions athéniennes.

Entre les deux, un âge d’or, le Vet J.-C. – le « beau siècle de Périclès » – durant lequel la cité-État rayonne sur le monde grec. Et un premier coup dur avec la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) : exsangue après la défaite contre les Spartiates, Athènes aurait progressivement décliné sous la mauvaise influence des démagogues et d’une crise des valeurs.

La bataille de Chéronée (338 av. J.-C.) eut lieu, qui vit le royaume macédonien, désormais unifié, l’emporter face à une coalition menée par Athènes et Thèbes. La démocratie athénienne aurait déposé les armes seize ans plus tard, à l’issue de la guerre lamienne qui opposa plusieurs cités grecques aux Macédoniens. Après l’apogée de l’Athènes « classique », il y eut trois siècles de déclin, l’Athènes « hellénistique », durant lesquels la politeia, la citoyenneté, n’était plus en vigueur dans la cité vassalisée.

Un problème de sources

Les historiens savent désormais que ce n’est pas le cas. « Depuis le XIXe siècleet siècle, on trouve l’idée d’un apogée de la démocratie athénienne au Ve siècle.et « L’histoire de l’Athènes antique a commencé au 15e siècle avant notre ère, puis un déclin qui s’est finalement soldé par une défaite face aux Macédoniens. Mais ce n’était qu’une crise passagère », insiste Paulin Ismard, historien spécialiste de la Grèce antique et auteur avec Vincent Azoulay d’« Athènes 403. Une histoire chorale » (Flammarion, 2020).

Plongée dans l’ombre de la gloire de l’Athènes classique, l’Athènes hellénistique est en réalité une cité encore puissante, vivante, loin d’avoir abandonné son idéal démocratique. Puissance moyenne, elle ne règne plus sur le monde grec mais cherche habilement à peser de tout son poids dans un jeu diplomatique dominé par les royaumes nés du démembrement de l’empire d’Alexandre, auquel l’empire romain adhère à partir du IIIe siècle.et siècle avant J.-C. Elle réussit même à reconquérir son indépendance à deux reprises.

Cette malheureuse division historique, qui crée une rupture là où la continuité s’impose, est un problème de sources. Pendant longtemps, les historiens se sont appuyés exclusivement sur les grands écrits pour raconter le destin d’Athènes dans la Grèce antique. Or, ceux-ci doivent être replacés dans le contexte de la production de leur temps.

Les méchants »

Dans « La Guerre du Péloponnèse », Thucydide, par exemple, retrace une rupture fondamentale dans la vie politique athénienne avec la mort de Périclès, emporté par la peste en 429 av. J.-C. Avec le stratège et l’homme d’État, la cité disposait d’une élite vertueuse et éclairée.

Sa perte, au début du conflit qui opposa Athènes et Sparte pendant vingt-sept ans, aurait abandonné la cité aux mains des démagogues « malfaisants » Cléon, Cléophon ou Hyperbolos. Jouant sur les émotions du peuple, ces derniers l’auraient conduite à sa perte, notamment avec la folle et désastreuse conquête de la Sicile, en 415-413 av.

« La Constitution des Athéniens », écrite à la fin du IVe siècleet siècle avant J.-C. et attribuée à Aristote et à ses disciples, ne dit pas autre chose. « A la mort de Périclès, à la tête du peuple éminent se trouvait Nicias, qui mourut en Sicile, et à celle du peuple, Cléon, fils de Cléainetus, qui passe pour avoir particulièrement corrompu le peuple par ses impulsions violentes et qui fut le premier, à la tribune, à crier, à insulter et à s’adresser au peuple avec son vêtement autour de la taille, tandis que les autres parlaient en grande tenue », affirme cette diatribe contre la démocratie athénienne.

les erreurs

Pendant longtemps, ces récits ont été considérés comme exacts, les historiens se contentant d’ajouter ici et là quelques détails chronologiques. Thucydide ne se présente-t-il pas comme neutre, lui qui est issu de l’aristocratie athénienne mais qui a pu s’échapper de son camp avec son exil en Thrace ? N’est-il pas, avec « La Guerre du Péloponnèse », œuvre colossale de huit volumes, le père de la méthode historique moderne, impartiale, précise, critique ?

La confrontation avec d’autres sources – archéologiques, épigraphiques – a permis peu à peu de pointer des erreurs factuelles et de mettre en perspective la véracité de ces écrits. Depuis les années 1930, le rapport de Thucydide à la vérité a été questionné et recontextualisé : il ne s’agirait pas pour lui de raconter l’histoire exactement telle qu’elle s’est déroulée, mais plutôt de raconter, et de faire raconter par ceux qu’il cite, une histoire correspondant à sa vision des événements.

Le démagogue Cléon est donc beaucoup plus vertueux que Thucydide ne nous l’a fait croire et fut même un stratège remarquable, qui permit aux Athéniens de vaincre les Spartiates à Pylos. La mort de Périclès ne provoqua cependant pas en réalité un changement de conduite dans la cité athénienne.

Trou noir

De même, la décadence d’Athènes tout au long du IVe siècleet J.-C., racontée par les très critiques Platon et Aristote, est une vision subjective. La démocratie, régime vaincu par Sparte, est certes remise en cause ; mais cette époque de grands bouleversements socio-économiques est aussi marquée par la résilience des institutions, que les Athéniens remodèlent pour ne pas revivre les erreurs du passé.

La période voit ainsi l’émergence de plusieurs innovations institutionnelles, comme la rémunération de la participation à l’assemblée ou le rétablissement de la procédure d’eisangélie, l’accusation de haute trahison, qui permet un plus grand contrôle des élites. « L’Athènes du IVe siècleet siècle est plus démocratique que celui du 5eet siècle », souligne Paulin Ismard.

Décadent

Il y a enfin et surtout une vie politique, culturelle et religieuse à Athènes après 322 av. J.-C. « La cité grecque n’est pas morte à Chéronée », répétait tout au long de sa vie le célèbre épigraphiste Louis Robert. Depuis le tournant du XXe siècleet siècle, l’épigraphie, étude scientifique des inscriptions gravées dans des matériaux non périssables (comme les stèles de marbre) a levé de nombreux voiles sur cette période longtemps considérée comme décadente.

C’est que, contrairement aux grands écrits, la documentation épigraphique de la Grèce antique (décrets, lois) ne souffre pas d’interruption et est relativement abondante, bien que dispersée. Que dit-elle ? Que malgré les nombreuses occupations étrangères, les périodes d’oligarchie où la démocratie n’est plus qu’une façade, l’Athènes du IIIeet J.-C. ne peut être comparée à une cité en déclin. Portée par son passé glorieux, elle incarne encore aujourd’hui un phare culturel et intellectuel et navigue entre les puissances.

Autonome

De 287 à 262 av. J.-C., soutenue par le roi Ptolémée, Athènes s’affranchit de l’emprise du roi de Macédoine, Démétrios Poliorcète. Elle jouit alors d’une totale liberté politique, reprend possession du port du Pirée vers 280 av. J.-C. et participe même à la coalition militaire grecque contre les Galates, signe d’une cité autonome qui peut dépouiller temporairement ses défenses.

De 229 à 200 av. J.-C., les Athéniens s’affranchissent à nouveau du pouvoir royal macédonien grâce à un souverain de la dynastie lagide, Ptolémée III. Ils entreprennent alors une foule de réformes, preuve de vitalité démocratique. En signe de reconnaissance envers leur protecteur, une nouvelle tribu est créée, qui modifie profondément le cadre des institutions politiques (Conseil, collège de magistrats). Les décrets accordant la politeia reprennent.

Oligarchisation

Le déclin, tardif et progressif, n’intervient donc pas avant le courant du IIet siècle avant J.-C. « On voit alors les mêmes familles revenir fréquemment au pouvoir, les mécanismes de contrôle des magistrats par le peuple, notamment au niveau financier, devenant de moins en moins rigoureux. Un processus d’oligarchisation se met en place », décrit Paulin Ismard.

Parallèlement, la cité doit faire face à la présence de plus en plus encombrante de l’Empire romain. Précieux alliés contre la Macédoine, protecteurs respectueux qui lui restituent ses anciennes possessions et lui confèrent le statut de « cité libre », les Romains deviennent envahisseurs après le retournement athénien de la première guerre mithridatique. La prise de la cité en mars 86 av. J.-C. par le général Sylla, qui commande les légions romaines, marque la fin d’une époque. Une date peut-être plus appropriée pour marquer la fin de la démocratie athénienne.

Eleon Lass

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