Heinz Stahlschmidt, le soldat allemand qui a trahi Hitler pour sauver le port de Bordeaux de la destruction
Bien qu’il ait reçu l’ordre de faire sauter le port en faisant exploser des explosifs sur les deux rives du fleuve, Heinz Stahlschmidt choisit de détruire le blockhaus où était stocké le matériel, sauvant ainsi la vie de 3 000 Bordelais et préservant l’architecture unique de la ville.
Le Figaro Bordeaux
En trahissant sa patrie, il a sauvé Bordeaux du chaos et des flammes. Heinz Stahlschmidt (1919-2010) était un sous-officier de la marine allemande qui, face à un ordre indigne, a choisi l’honneur. En août 1944, alors que la ville de Bordeaux devait être évacuée, le soldat Stahlschmidt reçut l’ordre de préparer la destruction du port, en plaçant des mines tous les 50 mètres le long des quais, sur dix kilomètres de part et d’autre de la Garonne, entre l’actuel quartier de Bacalan et le quartier Sainte-Croix. Si cet ordre avait été exécuté, Bordeaux n’aurait plus jamais été la même. Pourtant, le soir du 22 août 1944, une explosion eut lieu : celle du blockhaus où était stocké tout le matériel nécessaire à la destruction du port.
Alors que la guerre touchait à sa fin, un message fatidique arriva de Berlin, ordonnant la destruction des installations portuaires françaises tandis que l’armée était évacuée. « Si les travaux d’extraction étaient déjà bien avancés, on lui confia à 24 ans la tâche de perfectionner le procédé de cuisson »affirme Erwan Langeo, historien spécialiste de l’occupation italo-allemande de Bordeaux et auteur d’un ouvrage intitulé L’Allemand qui refusa de détruire Bordeaux. « Toujours très consciencieux dans son travail, il saura remplir sa mission »tout en essayant de contacter la Résistance. Son objectif est de récupérer le bunker contenant le matériel nécessaire « être détruit »Pour « épargner au port une destruction qu’il juge inutile »Ses efforts auprès de la Résistance n’ayant pas abouti, il détruisit lui-même le blockhaus, puis dut se cacher pour échapper à ses compatriotes jusqu’à leur départ.
Le courage de transgresser
Heinz Stahlschmidt avait « le courage de faire sauter (le bunker) tout seul, après avoir attendu en vain l’aide qu’il demandait depuis plusieurs jours à la Résistance française pour réaliser ce coup d’État »corrobore Alain Ruiz, ancien professeur d’études germaniques à l’université Bordeaux-Montaigne, dans un texte sur la désobéissance « par devoir envers l’humanité » publié en 2015. L’historien rappelle que les soldats allemands accusés d’avoir commis des crimes de guerre invoquaient généralement la « Direction »le serment de loyauté fait à Adolf Hitler devant Dieu. « Peu d’Allemands, militaires, fonctionnaires et autres, en général, ont eu le courage de la transgresser. » Heinz Stahlschmidt fait partie de ce petit groupe. Cependant, il était un « soldat modèle »décoré de la Croix de Fer, haute distinction militaire.
« Cet acte a épargné à Bordeaux d’énormes dégâts matériels et des pertes en vies humaines, estimées à 3 000 personnes. »écrit l’historien Alain Ruiz. « Mais, du point de vue allemand, Stahlschmidt n’en était pas moins devenu un traître et fut considéré comme tel longtemps après la guerre, payant d’autant plus cher le prix de sa noble désobéissance que, resté de force à Bordeaux et ayant pris la nationalité française en 1947 en francisant son nom en Henri Salmide, il ne trouva pas plus dans sa nouvelle patrie qu’en Allemagne la reconnaissance qu’il méritait en tant que héros de la Résistance. »
Une vie bouleversée
« Il a beaucoup de mal à retrouver une vie normale », Erwan Langeo ajoute. « Il s’est d’abord caché derrière l’identité fournie par les autorités françaises »jusqu’à sa naturalisation en 1947. Ayant trahi sa patrie, Stahlschmidt vécut le reste de sa vie en France, à Bordeaux, devenant démineur puis pompier forestier. Son histoire sombra peu à peu dans l’oubli, malgré ce qu’il fit pour Bordeaux. « Son acte héroïque et désintéressé » n’a été reconnue qu’environ 50 ans après la fin de la guerre, grâce à une enquête menée par un journaliste de Sud-Ouest publié en 1993, révélant le véritable rôle joué par Henri Salmide dans le sauvetage du port de la Lune. Le maire de la ville de l’époque, Jacques Chaban-Delmas, lui décerne la médaille de la ville en 1995. Cinq ans plus tard, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.
Dans une interview accordée à Reuters en 1977, Stahlschmidt avait justifié cet acte de trahison envers son pays par sa conscience chrétienne, expliquant qu’il ne pouvait supporter de voir le port de Bordeaux détruit inutilement alors que la guerre était perdue. Un geste qui avait sauvé des vies mais brisé la sienne. Rayé de la liste des vétérans de la marine allemande éligibles à une pension, il avait dû attendre 61 ans pour revenir à Dortmund, sa ville natale, se recueillir sur la tombe de ses parents. À sa mort en 2010, il a été enterré au cimetière protestant de la rue Judaïque à Bordeaux, dans un cercueil drapé du drapeau bleu, blanc et rouge.