Même à Montbéliard, ville de Franche-Comté labellisée capitale française de la culture en 2024, il est un parfait inconnu. Et pourtant, la ville n’aurait pas le même visage sans Heinrich Schickhardt, génie du tournant du XVIIe siècle. Pour comprendre comment ce charpentier devenu architecte et urbaniste a pu à lui seul redessiner la ville, il faut se plonger dans la Renaissance allemande. Au XVIe siècle, Montbéliard venait d’intégrer un territoire germanique gouverné par une lignée de ducs et de comtes qui se qualifiaient de princes souverains : les Wurtemberg. La jeune principauté accueille alors avec ferveur l’arrivée du protestantisme. Les idées de la Réforme triomphant dans les pays germaniques, le duc Ulrich VI de Wurtemberg (1487-1550) fait venir des prédicateurs et des pasteurs. La foi catholique est abolie en 1538. Mais cela ne suffit pas à provoquer un véritable changement.
Bâtisseur insatiable, il réalise une série de grands projets : boulevards, temples, universités, etc.
En 1593, le duc Frédéric de Wurtemberg (1557-1608), prince humaniste, accède lui aussi au trône. Il souhaite entreprendre de grands travaux d’urbanisme à Montbéliard, sa ville natale, pour transformer la cité médiévale en une sublime cité princière de la Renaissance. C’est alors qu’un nom lui vient à l’esprit : Heinrich Schickhardt (1558-1635). Trois ans plus tôt, cet architecte allemand avait travaillé à Clerval, petite ville de la principauté, après qu’un terrible incendie eut ravagé la ville. Il y avait accompli un miracle urbain, et Clerval put renaître de ses cendres. Lorsque Frédéric le convoque, Schickhardt se trouve à la saline de Saulnot (Haute-Saône), où d’importants travaux de modernisation sont en cours. Le duc lui montre l' »art nouveau » de Montbéliard : le corps principal des Halles et l’hôtel de Franquemont à l’italienne, achevés en 1551 et 1559 (deux monuments encore visibles aujourd’hui). Schickhardt fut charmé et le duc Frédéric lui confia les clés de la ville.
Durant trois ans, l’architecte s’installe chaque année à Montbéliard, d’avril à novembre. Un jour, il travaille sur un projet d’usine à papier, le lendemain sur un projet de boulevard… Ce Léonard de Vinci germanique souhaite avant tout faire du château des ducs de Wurtemberg, situé sur un éperon rocheux, un exemple de modernité en l’alimentant en eau. Et doter toute la Principauté d’installations hydrauliques remarquables, à Montbéliard, mais aussi à Stuttgart et à Freudenstadt (Bade-Wurtemberg).
Après deux voyages en Italie, il s’installe définitivement à Montbéliard en 1600, pour devenir « bourgeois » et superviser ses grands travaux. La ville se transforme alors. Le château des ducs de Wurtemberg – superbe forteresse médiévale du XIIIe siècle qui semble sortie tout droit d’un conte pour enfants – voit ainsi la construction d’une « tour Frédéric » et d’une résidence pour gentilshommes, ainsi que d’une machine hydraulique. Un collège universitaire est construit sur le modèle du Collegium illustré de Tübingen (Bade-Wurtemberg), ainsi qu’une ferme souabe (ferme modèle tenue par des agriculteurs). Des monuments encore visibles aujourd’hui.
Architecte de talent, Heinrich Schickhardt a construit le temple Saint-Martin
Mais son chef-d’œuvre reste la construction du temple Saint-Martin. Construit entre 1601 et 1607, cet édifice monolithique de 37 mètres de long est aujourd’hui le plus ancien édifice construit pour le culte de la Réforme en France. « Après son voyage en Italie, Schickhardt, fervent protestant, s’est inspiré de l’architecture du Cinquecento pour concevoir ce temple, raconte Anaïs Baronnat, guide conférencière pour Pays de Montbéliard Tourisme. L’édifice a eu un tel impact sur la population qu’il est devenu le modèle de toutes les constructions protestantes de la Principauté. » En restauration depuis 2021, le lieu doit rouvrir ses portes prochainement, pour notamment dévoiler au public une collection de peintures des XVIIe et XVIIIe siècles.
Promu architecte ducal en 1608, Heinrich Schickhardt déploie une activité soutenue : il esquisse une carte de la Principauté, achevée en 1615, fait construire des moulins à Bavans, Seloncourt, des ponts, comme à Sochaux, des églises, et même un établissement thermal, à Lougres. Des réalisations dont il témoignera dans son œuvre InvatariumEn 1632, trois ans avant son assassinat à Stuttgart pendant la guerre de Trente Ans, conflit entre protestants et catholiques du Saint-Empire romain germanique. Une fin sombre après une vie lumineuse.
Veuillez noter: Capitale française de la culture en 2024, Montbéliard met son patrimoine à l’honneur. L’occasion de découvrir la « route Schickhardt » labellisée par le Conseil de l’Europe, entre la ville de Franche-Comté, où l’on peut suivre un sentier urbain de 3 km, et la ville allemande de Backnang (Bade-Wurtemberg).
➤ Article du magazine GEO Histoire n°77, Plongez dans le Japon d’hier pour comprendre celui d’aujourd’hui, de septembre-octobre 2024.
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