En février 2022, les fantassins russes avançaient sereinement vers Kiev. Les autorités de Moscou avaient des raisons d’être confiantes : avec une population cinq fois supérieure à celle de l’Ukraine et des réserves de matières premières et d’armes nettement supérieures à celles de l’Europe, la Russie se dirigeait vers le sol ukrainien pour une « guerre éclair ». Deux ans et demi plus tard, force est de constater que le pari de la vitesse a été un échec cuisant. La Russie, qui avance lentement, très lentement, dans l’est et le nord de l’Ukraine, a réalisé des percées millimétriques depuis le début de son offensive près de Kharkiv en mai, et la ville d’Avdiivka, dans l’oblast de Donetsk, reste sa dernière prise d’ampleur.
Pour Moscou, la guerre d’usure qui brouille les lignes ukrainiennes est un défi majeur : imprévue, elle ronge lentement mais sûrement ses stocks gargantuesques d’armes datant de l’ère soviétique.
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Le conflit a ainsi révélé au monde l’étendue de l’arsenal russe, dépoussiéré au fur et à mesure de sa sortie des entrepôts qui parsemaient le territoire.Il y a des stocks partout dans le pays, y compris une partie qui a été repoussée derrière l’Oural après le traité sur les forces conventionnelles dans les années 1990.expliquait en avril à GEO Léo Péria-Peigner, chercheur en industrie d’armement et de défense au Centre d’études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Il existe des bases assez bien entretenues pour les équipements complexes (…) mais beaucoup sont des casses à ciel ouvert. »
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D’énormes stocks d’armes russes…
Des entrepôts qui, en deux ans, ont régurgité un flux quasi continu de chars, d’artillerie et autres équipements, que l’industrie russe s’est ensuite chargée de moderniser, ou pas. L’Ukraine est vite devenue un vaste champ d’exposition de matériels anciens, inadaptés, voire complètement obsolètes. « Littéralement, tous les chars présents sur le terrain en Ukraine datent de la période soviétique »résume Léo Péria-Peigner. « Le T-90, le char le plus moderne en service en Ukraine, date de 1992, mais il s’agit d’une version modernisée du T-72. Un constat similaire peut être fait du côté de l’artillerie : beaucoup de systèmes anciens rénovés, très peu de systèmes véritablement modernes produits en nombre. »
En 2023, note The Economist, le ministre de la Défense de l’époque, Sergueï Choïgou, a annoncé que 1 530 chars avaient été livrés. C’est vrai, mais près de 85 % d’entre eux, selon une évaluation de l’Institut international d’études stratégiques, étaient des véhicules anciens (principalement des T-72, mais aussi des T-62 et même quelques T-55 d’après-guerre).
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Le 1430e régiment de fusiliers motorisés russes est vu en train de s’entraîner avec des chars T-55.#OSINT #GuerreUkraineRussie️ #GuerreUkraine #Ukraine #Contre-offensive #PoutineN’EstPasLaRussie pic.twitter.com/xL38YIikNc
— OSINT (Uri Kikaski) 🇺🇸 🇨🇦 🇬🇧 🇺🇦 🇮🇱 (@UKikaski) 11 septembre 2023
Il en va de même pour l’aviation, qui comprend presque exclusivement des versions soviétiques modernisées, comme les SU-35, 34 et 30, dérivés du Su-27 (entré en service en 1985), et la marine. Selon l’expert, les Russes réutilisent de vieilles coques soviétiques, sur lesquelles il est difficile d’adapter une quelconque électronique moderne.
Les navires logistiques Ropucha ciblés par les Ukrainiens ont presque tous été construits pendant la guerre froide.
Vidéo d’un drone de surveillance russe d’une frappe en grappe d’Iskander sur la base aérienne de l’AFU à #MyrhorodRégion de Poltava.
D’après ce que je peux dire, l’AFU a perdu un Su-27 (ou un leurre Su-27) et peut-être du matériel de soutien au sol.#OSINT #GuerreUkraine #UkraineKrieg #Ukraine #Russie #OPANO… pic.twitter.com/Ix7v5Mh4tq
— OSINT (Uri Kikaski) 🇺🇸 🇨🇦 🇬🇧 🇺🇦 🇮🇱 (@UKikaski) 2 juillet 2024
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Pourtant, les « vieux » russes continuent de porter l’envahisseur, deux ans après son offensive initiale. « Une guerre moderne est une guerre de flux (de matériel, ndlr), et dans le cas de la Russiele stock est un flux car leur industrie de défense est basée sur un stock très important, et conçu pour être « facilement » reconditionné »rappelle Léo Péria-Peigner. Là où les armées européennes adoptèrent des modèles de chars très différents les uns des autres, les Soviétiques préférèrent les innovations progressives, qu’ils produisirent en quantités disproportionnées.
Aleksandr Golts, analyste au Centre d’études est-européennes de Stockholm cité par The Economist, explique que les dirigeants soviétiques, conscients que les équipements militaires occidentaux étaient bien plus avancés que les leurs, ont misé sur la production de masse, même en temps de paix (relative). Le pari a été tenu : avant sa disparition, l’Union soviétique possédait autant de véhicules blindés que le reste du monde réuni.
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…Mais pas illimité
Mais les chiffres des pertes actuelles font sourciller : selon le décompte du site de renseignement en ligne Oryx, Moscou a perdu 16 906 équipements et véhicules depuis le début de la guerre, dont 3 235 chars. Et ces chiffres ne compilent que les destructions dont les observateurs disposent de preuves photographiques ou vidéo.
« Nous avons récemment vu des attaques menées avec des dispositifs de plus en plus inadaptés. Cela peut signifier que la Russie commence à manquer de stock de certains systèmes plus adaptés », analysait Léo Péria-Peigné en avril. « Et en même temps, nous voyons de plus en plus de fantassins russes entassés dans des chars, ce qui suggère peut-être qu’ils manquent de véhicules de transport. »
Mais Moscou n’est pas en mesure de produire de nouveaux équipements en grande quantité. Selon Pavel Louzine, expert des capacités militaires russes au Centre d’analyse des politiques européennes, interrogé par The Economist, la Russie ne peut construire que 30 nouveaux chars par an.
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Le spécialiste explique que la chaîne de production est bloquée depuis le début : il manque les composants nécessaires à la construction de nouveaux chars ou véhicules de combat d’infanterie. Des équipements indispensables, « tels que les réchauffeurs de carburant pour moteurs diesel, les systèmes électriques à haute tension et l’imagerie thermique infrarouge pour identifier les cibles » tous sont venus d’Europe avant la guerre et sont, clairement, soumis à des sanctions.
Paradoxalement, c’est à Kharkiv que la plupart des tourelles des chars T-72 ont été produites à l’époque soviétique. Selon Pavel Louzine, le nombre de travailleurs du complexe militaro-industriel a également chuté de façon spectaculaire depuis cette époque, passant d’environ 10 millions à 2 millions, sans que l’automatisation ne progresse en conséquence.
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L’usure des barriques constituera également un défi majeur pour la Russie : le pays ne dispose que de deux usines équipées de machines de forge rotatives sophistiquées de fabrication autrichienne (la dernière a été importée en 2017) nécessaires à la fabrication des barriques. Chacune produit une centaine de barriques par an… et il en faut des milliers.
La Russie n’a jamais fabriqué ses propres machines à forger, note The Economist ; elle les a importées d’Amérique dans les années 1930 et les a pillées en Allemagne après la guerre. L’arsenal russe fond donc comme neige au soleil, et l’Ukraine ayant récemment bénéficié d’un regain de soutien de l’Occident, la question n’est plus de savoir si Kiev peut rester à flot mais si la Russie peut maintenir le rythme nécessaire pour gagner.