Grèves chez Chronopost et DPD : « Tant qu’on n’a pas de papiers, on continue »

Habituellement, c’est plutôt devant les préfectures de Créteil et d’Évry ou autour des ministères du travail et de l’intérieur que les travailleurs sans papiers des centres de tri de Chronopost à Alfortville (Val-de-Marne) et DPD à Coudray-Montceaux (Essonne ) rassembler. Depuis plus d’un an que leur grève a commencé, ils manifestent presque chaque semaine, plus d’une centaine de fois au total, dans l’espoir d’obtenir la régularisation de leur situation. Ce jeudi, le décor a changé : c’est à la Fontaine des Innocents, dans le cœur historique et touristique de Paris, que les organisateurs, accompagnés dans leur combat par le syndicat Solidaires et le Collectif des sans-papiers de Vitry-sur-Seine (CTSPV94), prendre rendez-vous.
« Nous voulons montrer aux gens que si tout le monde reçoit des cadeaux à Noël, c’est grâce aux sans-papiers qui travaillent dur chaque jour », explique Aboubacar Dembelé, porte-parole des grévistes d’Alfortville, veste en cuir et casquette noire sur la tête. Chez Chronopost, comme chez DPD, deux filiales de La Poste, la plupart des travailleurs des centres de tri sont en situation irrégulière, indique le trentenaire malien arrivé en Europe en 2018. Assuré par des intérimaires employés par des entreprises sous-traitantes, le travail consiste à charger et décharger des colis parfois extrêmement lourds dans des camions. Une tâche répétitive, qui épuise celui qui l’accomplit et abîme son dos et ses mains. D’autant que les travaux se font souvent de nuit, dans des conditions dantesques, notamment sur le site du Coudray-Montceaux, loin du réseau de transports en commun.
« Ce sont des conditions de travail inhumaines »
« Parfois, nous terminons le travail à minuit, mais il n’y a plus de bus après 22h30. Nous devons marcher une heure et demie pour prendre le bus de nuit et nous arrivons à la maison à l’aube. Trois ou quatre heures plus tard, il faut se relever pour aller travailler », raconte El Hadji Dioum. Le représentant des grévistes du DPD déplore également les salaires « de la misère », souvent payés en retard aux intérimaires. « Ce sont des conditions de travail inhumaines. Il n’y a que les immigrés sans papiers pour accepter ça », souligne le Sénégalais. A plusieurs reprises, la direction de La Poste s’est entretenue avec des représentants des manifestants, mais elle renvoie la responsabilité à ses sous-traitants et assure ne pas être au courant de l’emploi de travailleurs en situation irrégulière. « C’est de l’hypocrisie »dénonce Eddy Talbot, secrétaire fédéral de l’organisation SUD-PTT, affiliée à Solidaires. « La Poste a construit un système d’exploitation pour maintenir les coûts de production au plus bas. Il y a forcément des sans-papiers en bout de chaîne et ils le savent très bien. »
Quant au gouvernement, il refuse pour l’instant d’entendre les revendications des manutentionnaires. Alors que Gérald Darmanin a accepté fin septembre d’accorder des autorisations de travail à 83 grévistes d’une entreprise du BTP également défendue par la CTSPV 94, le ministre de l’Intérieur n’a toujours pas reçu les intérimaires de Chronopost et DPD, malgré les manifestations et les courriers de élus à cet effet. Pour Cybèle David, secrétaire nationale de Solidaires, « l’Etat refuse de prendre ses responsabilités », alors qu’il est lui-même actionnaire stratégique de la société, qu’il contrôle à 34 %, la Caisse des dépôts et consignations étant le principal actionnaire. Et le syndicaliste de pointer à son tour « hypocrisie » du gouvernement, qui promet la création d’un titre de séjour « des métiers en tension » dans une nouvelle loi sur l’immigration, mais ignore la situation de ses propres sans-papiers.
Nombreux sont les curieux qui s’arrêtent au niveau de la fontaine des Innocents, intrigués par la musique ou séduits par le badinage contagieux de la centaine de manifestants qui ont répondu à l’appel. Ces derniers ont formé un cercle et ils dansent au rythme des tam-tams. Les enfants et adolescents qui passent les rejoignent, entrent dans le cercle et reprennent en chœur les slogans de la grève. « Je suis là, je reste là-bas, je ne partirai pas ! », « Sans papiers, sans droits, écrasés par la loi », scandent-ils. A quelques mètres de là, à côté du camion blanc de Solidaires où des militants proposent du thé, du pain et du fromage en guise de ravitaillement, Moussa concède que « la situation est difficile », mais jure qu’il n’est pas prêt d’abandonner. « Nous sommes ici depuis treize mois, insiste ce jeune malien du piquet de grève Coudray-Montceaux. On ne lâchera rien, jamais de la vie. Tant qu’on n’a pas de papiers, on continue. »
Grb2