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Génocide à Gaza. La formation du consentement occidental

La question revient, lancinante, à chaque crise au Moyen-Orient, à chaque « escalade » contre les Palestiniens, à chaque meurtre à Gaza. Oui, bien sûr, mais… le Soudan ? Congo ? Afghanistan ? Au-delà de la diminution constante du nombre de morts palestiniens (grâce à cette précision magique : « selon le ministère de la Santé du Hamas »), le questionnement – ​​faussement naïf – gomme une distinction fondamentale entre la guerre contre Gaza et les autres conflits évoqués… Une distinction soulignée par Didier Fassin dans son dernier ouvrage :

Aucune de ces guerres et aucun de ces massacres n’a fait l’objet d’un soutien aussi indéfectible de la part des gouvernements occidentaux et d’une condamnation aussi systématique de ceux qui les dénoncent, même si l’ampleur des ravages et la volonté d’effacement sont sans mesure.

Dans un essai puissant, Une étrange défaite, En référence au célèbre témoignage de Marc Bloch, rédigé au lendemain de l’effondrement de la France en 1940 et qui tente d’en comprendre les raisons politiques, le professeur du Collège de France revient sur « Défaite morale » Les responsables occidentaux sont confrontés à l’écrasement de Gaza, qui présente toutes les caractéristiques d’un génocide. Même s’il faudra quelques années à la Cour internationale de Justice (CIJ) le marque légalement comme tel. Devons-nous, en attendant, nous laver les mains du sang qui coule en Palestine ?

Cependant, il suffit de prendre au mot les dirigeants israéliens. L’avocat irlandais Blinne Ní Ghrálaigh, qui a défendu la demande de l’Afrique du Sud en janvier 2024 devant le CIJsavait trouver les mots justes. Gaza représente « Le premier génocide de l’histoire au cours duquel les victimes ont diffusé leur propre destruction en temps réel dans l’espoir désespéré – et jusqu’ici vain – que le monde puisse faire quelque chose. » Comme indiqué dans le jugement du CIJ et l’historien israélien Raz Segal, qui parle de « un cas d’école de génocide » :

Les discours, jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, ont montré que l’intervention militaire israélienne à Gaza visait bien plus que la disparition du Hamas (…) : c’était sans discernement l’ensemble du territoire et ses habitants qui étaient la cible. La liste des citations documentées par l’Afrique du Sud est impressionnante : le Premier ministre demande aux soldats de « souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait », en référence à l’ennemi biblique dont Israël était, selon le texte sacré, indistinctement « tuer des hommes et des femmes, des nourrissons et des nouveau-nés » ; le président disant à propos des Palestiniens que « la nation entière est responsable » et doit être « s’est battu jusqu’à ce que son dos soit brisé » ; le ministre de la Défense indiquant qu’il n’y aurait plus « pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas d’essence », parce que c’est une guerre « contre les animaux humains » et il faut « agir en conséquence ».

Les erreurs des médias et du récit intellectuel

Un à un, Fassin déconstruit les sophismes du récit israélien et occidental, dont le plus pernicieux serait que l’histoire commence le 7 octobre 2023 : enterré le blocus de Gaza ; effacé l’expansion de la colonisation et les assassinats en Cisjordanie ; oublié la judaïsation de Jérusalem et les provocations contre la mosquée Al-Aqsa ; a ignoré les milliers de prisonniers dans les prisons israéliennes. Quant à « l’armée la plus morale du monde », elle ne ferait que « riposter » contre ce qui était, selon les mots du président Emmanuel Macron, « le plus grand massacre antisémite de notre siècle ».1 Cela a conduit à minimiser ou masquer les images venues de Gaza comme de Cisjordanie – dernier exemple en date, celui de soldats israéliens jetant trois Palestiniens depuis les toits de Qabatiy (Cisjordanie) en septembre 2024, rappelant ainsi les pratiques des membres de l’organisation de l’État islamique (OIE)2.

C’est ainsi que, avec l’aide active des médias grand public, Les dirigeants occidentaux ont forgé un « consentement » au génocide, un consentement qui, écrit Fassin :

a deux dimensions distinctes. Le premier est passif. C’est le fait de ne pas s’opposer à un projet. Nous permettons donc que cela se réalise. Le second est actif. C’est le fait d’approuver ce projet. Nous vous assistons ensuite dans sa réalisation. Dans le cas de la guerre à Gaza, les deux dimensions se combinent.

Certes, les responsabilités sont différentes selon les pays et au sein de chacun d’eux. Dans le monde occidental, ce sont les États-Unis qui portent la première responsabilité, mais les pays européens, en fournissant des armes, comme l’Allemagne et la France, ou en proclamant « Le droit d’Israël à se défendre », a couvert Israël politiquement et diplomatiquement.

Discréditer toute voix critique

Ce qui frappe aussi, note l’auteur, c’est la volonté de discréditer toute voix critique, y compris par la force de la police ou de la justice, sous l’accusation d’« apologie du terrorisme ». En ajoutant l’accusation d’antisémitisme pour compléter la manifestation. Depuis le début de la deuxième Intifada en 2000, quelques intellectuels avaient été accusés, voire poursuivis, pour antisémitisme, qu’il s’agisse d’Edgar Morin ou du résistant Stéphane Hessel. Mais la chasse aux sorcières a atteint un niveau inédit après le 7 octobre 2023, avec la dénonciation nominative de journalistes – sans que la profession ne s’émeuve -, d’universitaires et de simples citoyens. Si nombre de ces attaques émanent d’agences plus ou moins financées par Israël, elles sont orchestrées par l’État et relayées par de « bons citoyens » désireux de dénoncer ceux qui ne pensent pas correctement.

Didier Fassin lui-même a ainsi été accusé, dans une tribune de certains confrères universitaires3 adopter un « grille de lecture qui ne cesse de nous dire qu’une vie juive vaut bien moins qu’une autre » — s’il fallait ouvrir des comptes, on pourrait rappeler que depuis le 7 octobre environ 2 000 Israéliens et plus de 41 000 Palestiniens ont été tués, dans une proportion de 1 à 20, clairement au détriment des « La vie palestinienne ». Fassin « relativiserait » aussi la Shoah, s’inscrirait dans la lignée de Roger Garaudy4 qui a sombré dans le négationnisme à la fin de sa vie. L’auteur serait un antisémite, un anathème qui permet de clore le débat avant même qu’il ne commence.

Pour ses détracteurs, il serait inacceptable de proclamer le caractère colonial du mouvement sioniste, qui a pourtant été souligné il y a près de soixante ans par Maxime Rodinson, et qui mérite, même s’il est contesté, au moins une discussion approfondie. Il est vrai que le débat à l’université est devenu dangereux depuis qu’une centaine de professeurs ont appelé les autorités politiques, en octobre 2020, à surveiller les personnes soupçonnées d’« islamogauchisme » ou de « wokisme » – une atteinte aux libertés académiques que personne n’avait osé faire. demande depuis la fin de la guerre d’Algérie5.

Récemment, les noms de 11 000 enfants palestiniens tués à Gaza ont été publiés, dont 700 nourrissons de moins d’un an. Marc Bloch pensait déjà aux très jeunes victimes de la guerre :

Il y a une de ces peintures à laquelle je sens que je ne m’habituerai jamais : celle de la terreur sur les visages d’enfants fuyant les chutes des bombes, dans un village survolé. Cette vision, je prie le ciel de ne plus jamais la ramener sous mes yeux, en réalité, et le moins possible dans mes rêves. Il est atroce que les guerres ne puissent pas épargner l’enfance, non seulement parce qu’elle est l’avenir, mais surtout parce que sa tendre faiblesse et son irresponsabilité appellent avec tant d’assurance à notre protection. A Hérode, la légende chrétienne6 n’aurait probablement pas été aussi grave si elle avait seulement eu à blâmer la mort du Précurseur. Le crime inexpiable fut le massacre des Innocents.7

Quatre-vingts ans plus tard, ce « massacre des Innocents » continue. Et nombre de ceux qui, dans les universités françaises ou ailleurs, se réclament de l’héritage de Marc Bloch l’acceptent sans état d’âme.

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