De retour du front en Ukraine, la ligne rouge imposée par les Occidentaux semble s’éloigner progressivement. Une enquête sur New York Times publié mercredi assure qu’au sein de la Maison Blanche, les discussions visant à autoriser Kiev à frapper le territoire russe avec des armes américaines sont bien avancées. Inquiet, le Kremlin a répondu jeudi qu’une telle décision constituerait une « escalade ». Son porte-parole, Dmitri Peskov, a accusé l’Occident d’être « irresponsable ».
Car le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, avait déjà estimé début mai que l’Ukraine avait « le droit » de frapper le territoire russe avec des armes britanniques. Furieuse, la Russie a alors menacé de frapper des cibles militaires britanniques « sur le territoire de l’Ukraine et au-delà ».
Une « grande réserve » qui s’effrite
Jusqu’à présent, « l’usage d’armes d’origine occidentale contre des cibles situées sur le territoire russe était considéré comme sortant du cadre de l’autodéfense de l’Ukraine » mais « rien dans le droit international n’interdit de frapper des cibles militaires sur le territoire de l’envahisseur, ce qui vous place dans une situation de risque ». état de légitime défense », note Cyrille Bret, chercheur à l’Institut Jacques-Delors.
Un principe dont semblent se souvenir les alliés de l’Ukraine alors que « le président américain Joe Biden avait toujours exprimé de grandes réserves à ce sujet », rappelle Carole Grimaud, experte à l’Observatoire géostratégique de Genève et fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est (Create).
Un « désavantage » pour Kiev dès le départ
Kiev a intensifié ses appels à plus de flexibilité dans ses frappes contre la Russie ces dernières semaines, alors que les forces russes ont lancé une offensive majeure sur la région de Kharkiv. Cette règle constitue « un désavantage pour l’Ukraine depuis le début de la guerre mais tant qu’elle n’entraîne pas une avancée dangereuse des Russes, on ne reviendra pas dessus », analyse Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut. des relations internationales et stratégiques (Iris).
« Si les Américains donnaient le feu vert, les Ukrainiens auraient beaucoup plus de marge de manœuvre », analyse Carole Grimaud. Car le front s’étend en réalité au-delà du seul territoire ukrainien. « Une grande partie de la logistique des forces armées russes se situe de l’autre côté de la frontière », ajoute Cyrille Bret. Cependant, alors que Kiev semble en mauvaise posture, même si l’avancée russe ne constitue pas non plus une percée du front, frappant l’arrière du front « où se trouvent toutes les capacités de renfort comme les stocks de munitions, d’armes et d’armes ». le carburant pourrait aider », estime Jean-Pierre Maulny.
Une autorisation qui ne se fera pas « sans modération »
S’il est « difficile de savoir comment la Russie va réagir », la réponse de Moscou « dépendra beaucoup des cibles que les Ukrainiens cibleront avec ces armes. S’ils continuent à frapper des régions frontalières comme Belgorod, cela n’aura peut-être pas de répercussions dramatiques », souligne Carole Grimaud. Et, de fait, les Ukrainiens auront « des contraintes sur le type de frappe qu’ils pourront mener », estime Jean-Pierre Maulny.
« Cela ne se fera pas sans modération. En termes qualitatifs, je suppose que nous n’allons pas frapper trop loin pour signifier que nous ne frappons pas la Russie mais le front en profondeur et, en termes quantitatifs, je pense que nous n’allons pas autoriser un déluge de frappes sur le territoire russe. », explique le directeur adjoint d’Iris. Comme à chaque signe de soutien occidental à l’Ukraine, « la réaction de Moscou sera de bombarder davantage les rampes de lancement de missiles et de drones en Ukraine », assure Cyrille Bret, qui estime toutefois que « l’escalade sera essentiellement verbale ».
La frappe nucléaire, une « boîte de Pandore politique »
La Russie risque d’affirmer « qu’il s’agit d’une déclaration de guerre de la part des États-Unis », poursuit Carole Grimaud, qui concède que cela pourrait rester au stade déclaratif. Mais « nous ne pouvons malheureusement pas exclure une frappe nucléaire sur l’Ukraine », glisse le chercheur alors que Moscou a entamé cette semaine des exercices militaires impliquant des armes nucléaires tactiques près du pays de Volodymyr Zelensky. Il est toutefois difficile d’imaginer le Kremlin procéder à des frappes nucléaires en Ukraine sans que cela ne perturbe complètement les contours du conflit.
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« Même s’ils utilisaient des armes nucléaires tactiques, les dégâts seraient énormes » et cela reviendrait à « ouvrir une boîte de Pandore politique », prévient Jean-Pierre Maulny qui croit davantage à l’hypothèse d’une multiplication des cyberattaques et des campagnes de désinformation. Reste qu’entre le feu vert britannique et les déclarations d’Emmanuel Macron sur un éventuel envoi de troupes en Ukraine, « de plus en plus d’Européens sont disposés à établir un rapport de force explicite avec la Russie », constate Cyrille Bret. Et les Américains pourraient bien suivre.