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« Frapper au visage des médecins généralistes ne sert à rien » : la colère d’un médecin narbonnais face aux propos du directeur général de la Sécurité sociale

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 sera l’un des premiers actes du gouvernement Barnier. Le 8 septembre, dans Les Echos, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), Thomas Fatôme, annonçait un déficit « plus élevé » que prévu pour 2024. Et a pointé l’augmentation des dépenses liées aux arrêts de travail, annonçant la nécessité d’un « nouveau système d’indemnisation » et des réunions à venir avec « 7 000 médecins généralistes pour discuter de leurs prescriptions ». Une position qui a le don d’irriter la profession : le Dr Audrey Borras, médecin généraliste de Narbonne et présidente du syndicat MG France Occitanie réagit aux propos.

Comment réagissez-vous aux propos de la DG de la Sécurité sociale qui, tout en assurant ne pas « jeter l’anathème sur les médecins, les assurés ou les entreprises », évoque l’objectif de « réduire de 2 % par an le volume des arrêts de travail », et cite un « arrêt de travail injustifié » dans 30 % des cas des 270 000 assurés en arrêt convoqués en 2023 ?

Cela veut simplement dire que nous allons être à nouveau contrôlés, et nous le savions. Sauf qu’en 2023, la Sécurité sociale avait déjà engagé des opérations de contrôle (après l’annonce d’un plan de lutte contre la fraude sociale par le gouvernement, en mai 2023, NDLR) : la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) dispose de chiffres pour chaque médecin, avec le nombre de jours d’arrêt de maladie prescrits. Des nuages ​​de points semblent situer les médecins sur un graphique, et s’ils sont au-dessus de la médiane nationale, ils sont susceptibles d’être ciblés : trois médecins généralistes de l’Aude, deux basés sur le littoral et un du Carcassonnais, avaient ainsi été convoqués par la municipalité locale. commission mixte. Ils ont dû défendre tous les arrêts de travail prescrits au cours des trois, voire six derniers mois. Il appartenait alors au directeur de la CPAM de l’Aude de décider s’il y avait lieu de poursuivre la procédure, avec des sanctions financières encourues. Il a fait preuve de bon sens et n’a pas signalé ces cas à la CNAM.

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Comment ces convocations ont-elles été perçues par les médecins concernés, et comment, en tant que responsable syndical, lisez-vous cette démarche ?

Ces convocations ont été très mal reçues, d’abord parce que la base d’analyse de la CNAM n’est pas médicale. Ces trois médecins avaient des profils différents, des populations de patients différentes et des âges relativement importants, plus de 50 ans pour deux, plus de 60 ans pour le troisième. Aucun médecin ne dispose d’une clientèle uniforme, et forcément un jeune qui s’installe aura une clientèle plus restreinte, avec moins de maladies chroniques qui nécessitent plus d’arrêts. C’est bêtement mathématique : plus on augmente le nombre de patients, plus on augmente le nombre d’arrêts potentiels. Je reviens au médecin généraliste de plus de 60 ans : il avait repris les patients de confrères retraités. Il a une charge de travail accrue, il continue de sauver la population, et on va le convoquer, presque comme devant un tribunal : si j’avais subi ça, je dévisserais mon assiette.

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C’est moche ce qu’ils ont fait, et j’avais le sentiment que les représentants de la section sociale de la CPAM avaient un peu honte d’être là. Je souligne aussi que les jugements de complaisance n’existent plus : compte tenu de la démographie médicale, nous n’avons plus le temps pour cela. Si l’on signe une suspension, c’est que le patient n’est pas prêt à reprendre, c’est bien simple : sans oublier les carences du système de santé qui retardent la possibilité de reprise, avec des examens complémentaires qui nécessitent d’allonger les délais. Dans l’Aude, nous n’avons pas assez de spécialistes, pas assez d’accès aux IRM : c’est le reflet de l’ensemble du système de santé.

Comment expliquer la réalité des dépenses liées aux indemnités journalières qui augmentent ?

Le directeur de la CNAM a bien vu l’année dernière que frapper au visage les médecins généralistes ne sert à rien, puisque les dépenses ont encore augmenté de 8 % au premier semestre 2024. Cette répression financière et morale ne fonctionne pas. Nous avons également écrit à la CNAM l’année dernière pour lui dire que nous refusions la mise sous objectif (MSO) : si nous ne la réalisons pas, nous risquons des sanctions. Au final, avec ce système, celui qui paiera, c’est le patient. Je pense que ce n’est pas pour ça qu’on se lance dans la médecine, et l’attractivité de ce métier va quand même s’en ressentir. M. Fatôme parle de contacter « tous les assurés en congé depuis plus de 18 mois pour voir si leur arrêt est justifié » : mais tout le monde est contrôlé, et pas après 18 mois. Les médecins-conseils de la Sécurité sociale travaillent dur, même s’ils ne sont pas nombreux. L’objectif, in fine, pour la CNAM, est de libérer les personnes en congé vers une autre caisse (une incapacité, déclarée par le médecin du travail, peut entraîner un licenciement, suivi d’une inscription à France Travail, NDLR).

Existe-t-il vraiment une solution pour réduire les arrêts de travail, alors qu’on observe une augmentation des congés de longue durée et que le problème de santé mentale s’aggrave ?

Les médecins, pas plus que les patients en longue maladie, ne sont pas responsables de l’augmentation des arrêts maladie qui, comme le dit le directeur de la caisse, est « multifactorielle ». Il faut repenser l’évolution des postes de travail dans une entreprise au fur et à mesure que l’âge des salariés avance. les salariés et leur état de santé. Ce n’est pas seulement une question médicale, c’est une question sociétale. Sur la question de la santé mentale, pour le bien de tous, certains ne doivent pas répéter : le patient va se tromper ou il fera du mal à quelqu’un. Si un salarié est en congé, c’est que son état de santé ne lui permet pas d’accomplir sa tâche ou que le poste ne lui convient pas, ou plus. Et si le poste n’est pas adaptable, la reprise n’est pas possible : mais là, on n’est plus dans le domaine médical. Le directeur de la Sécurité sociale aurait pu prendre la question à l’envers et se demander si, finalement, la population n’est pas simplement moins bien prise en charge au fil des années. Et il ne faut pas oublier la question des jours de carence, et ceux que piqueront, à la fin du mois, les trois jours non couverts : c’est un sujet épineux, qui fait que les salariés les plus modestes sont plus impactés que les salariés les plus riches. . Enfin, il y a ce dont on ne parle plus : les malades qui travaillent dur et qui ne demandent pas de congés et vont travailler « malades ». Ces gens qui y vont et à qui je dis qu’ils devraient arrêter mais qui ne le font pas, je ne les compte plus…

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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