François façonne l’Église de demain
François s’impatiente. Un membre de son proche service attrape son fauteuil roulant et l’aide à traverser l’aula magna de la salle Paul VI où se terminent les débats synodaux sur la synodalité à Rome. Le pape, âgé de 87 ans, s’adresse au dominicain Timothy Radcliffe, dont les méditations et l’humour britannique ont accompagné ce mois de débats. Le 6 octobre, François annonce qu’il le crée cardinal. Salle Paul-VI, il est venu lui dire de garder son style. L’ancien maître de l’ordre des prédicateurs est dispensé du port de l’habit cardinalice, et pourra conserver le « trois pièces » blanc des dominicains comme on pouvait le faire au XIXe siècle. L’acquisition d’une casquette rouge sera suffisante, lui a dit le pape.
Cette scène résume bien ce que François a voulu faire en convoquant ce Synode de trois ans : montrer une Église moins rigide, plus diversifiée et détendue. Le thème choisi, la « synodalité », a pu paraître obscur. Mais à la lecture des 51 pages de son document final, on comprend qu’il s’agit avant tout d’un mode de gouvernance. Attention, il ne s’agit pas d’une révolution dans l’Église, et encore moins d’une rupture : la primauté du successeur de Pierre, celle du pape sur les autres évêques, demeure. Mais il faut désormais l’exprimer d’une autre manière : moins monarchique, moins pyramidale et moins autoritaire.
Samedi 26 octobre, en conclusion du Synode, François a également lu quelques vers de Madeleine Delbrêl, « mysticisme (Français) des périphéries qui ont exhorté à ne pas être raides» : « Je pense que vous en avez peut-être assez que les gens parlent de vous comme de capitaines…»
cheval de Troie
Semblant autocritique sa manière parfois verticale de gouverner, François a annoncé qu’il ne publierait pas d’exhortation apostolique post-synodale. « Le document que nous avons approuvé contient déjà suffisamment d’informations qui peuvent servir de guide»dit-il. « S’il est expressément approuvé par le Pontife Romain, le Document Final (extrait d’un synode) participe au Magistère ordinaire du Successeur de Pierre », précise la constitution apostolique Communion épiscopalequi régit les règles de ces assemblées. Bref : les 155 articles adoptés samedi 26 octobre par les 356 membres du Synode ont la même valeur que s’ils émanaient du Pape lui-même.
C’est important. Le 20 mai 2024, François a répondu » Non » à un journaliste américain de CBS qui lui demandait si les femmes pourraient un jour être diacres. Interrogé lors d’une conférence de presse le 26 octobre sur une éventuelle contradiction avec le document final du Synode – qui considère la question « ouverte » – le cardinal luxembourgeois Jean-Claude Hollerich a répondu avec le sourire : « Le pape a approuvé le texte. Ce passage (à l’ouverture) est donc aussi le sien. Qui suis-je pour contredire le Saint-Père ? »
La question de la place des femmes dans l’Église a symbolisé ces dernières semaines la montée en puissance de l’assemblée synodale face à la Curie romaine. Mais aussi la persistance de divergences en son sein : « Comme les Allemands (jugé progressif, NDLR) n’ayant pas réussi à diriger l’Église selon leurs vues, ils ont trouvé cette année un cheval de Troie : l’autonomie des conférences épiscopales », analyse un évêque au Synode. La capacité de ces assemblées d’évêques à prendre des décisions pour leur territoire a été l’un des points les plus débattus de ce mois d’octobre.
Le projet du document final, présenté lundi 21 octobre dans la salle Paul-VI, et qui La Croix a pu consulter, envisageait « que toutes les décisions prises ensemble (lors des réunions de ces conférences, NDLR) sont imposées aux évêques dans leurs diocèses ». De nombreux amendements (le document en a reçu 1 135 au total) ont obligé les quatre théologiens qui ont rédigé le document – deux italiens et deux anglophones – à réviser leur copie. Ce passage, entre autres, a été supprimé et la question a fait l’objet d’un complément d’étude.
L’opposition conservatrice s’est aussi particulièrement exprimée sur la question toujours délicate de l’adaptation de la liturgie. C’est nécessaire «faire plus, les célébrations liturgiques, expression de la synodalité»indique néanmoins le document sur ce point déjà commenté aux Etats-Unis. Le plan n’est pas de « remplacez les prêtres par des laïcs, voulait déminer le cardinal Jean-Claude Hollerich le 26 octobre. (La question) est : comment pouvons-nous en faire quelque chose d’un peu plus participatif ? « .
Opposition résiduelle
Le fait que les opinions divergent sur ces questions n’est pas une surprise. Ce qui est clair cependant, c’est que loin d’être dénué de toute orientation, le document présenté le 26 octobre est relativement unanime. Certes, il ne demande plus, comme l’envisageait son projet du 21 octobre, que des synodes diocésains se tiennent tous les trois à cinq ans (le document final parle de » régulièrement « ). Certes, l’idée selon laquelle les conseils, y compris les conseils économiques – qui deviennent obligatoires dans les paroisses et les diocèses – sont composés d’une majorité de membres laïcs n’est plus clairement exprimée. « anonyme » par le prêtre ou l’évêque. Mais pour de nombreux participants, l’essentiel est dans le document.
Parmi les conservateurs interrogés, on salue un texte « attentif aux contextes sans nuire à l’unité de l’Église »comme le dit un évêque. Parmi les progressistes, nous soulignons son « ouverture » même si on regrette que les personnes LGBTQI+ n’apparaissent pas, par exemple. « L’indication selon laquelle les voix des victimes et des survivants de violences sexuelles doivent être écoutées n’est pas anodine»a déclaré un laïc présent au Synode.
Surtout, certains points semblent converger. Le concept anglo-saxon deresponsabilité (« responsabilisation » en français) est par exemple cité 19 fois. Et les passages du texte demandant aux autorités de l’Église – le prêtre, l’évêque mais aussi le nonce et le chef du dicastère au Vatican – de consulter davantage et de faire régulièrement rapport, par exemple sur les questions financières et de protection des mineurs, ont suscité seule opposition résiduelle lors du vote du 26 octobre.
Plus largement, de nombreux participants à ce Synode parlent d’un changement de culture. « Nous sommes à un tournant, pratiquement similaire pour moi à celui initié au moment de la Réforme grégorienne et qui s’est étalé sur près de deux siècles pour porter tous ses fruits dans la vie de l’Église »s’enthousiasme le théologien belge Alphonse Borras, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain et consultant auprès du secrétariat général du Synode. Là où l’Église avait tendance à insister sur son unité, son « universalité »cette fois, elle a laissé s’exprimer les différences de contexte. Avec cette conviction : la décentralisation et la démocratisation de ses autorités ne se feront pas sans solidarité. Sans un profond renouveau « relations ».
À la lecture du document final, nous ressentons cette question, comme un fil conducteur, adressée en premier lieu aux communautés locales les plus en difficulté, touchées par la guerre ou la pauvreté : comment les autres corps de l’Église, à commencer par Rome, peuvent-ils mieux vous aider ?
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Synode, et maintenant ?
Samedi 26 octobre, François a immédiatement déclaré qu’il approuvait « expressément » le document final voté par l’Assemblée, et qu’il ne produirait pas d’exhortation apostolique post-synodale. Le texte entre donc immédiatement dans le magistère du Pape. Ce dernier a cependant pris la peine de préciser qu’il ne s’agissait pas d’une mesure normative, mais « un guide ».
Désormais, la phase de mise en œuvre du document final peut être lancée dans les différentes réalités ecclésiales, a souligné le pape. Il appartient donc aux Églises locales de travailler sur les pistes évoquées.
D’ici juin prochain, les différents groupes de travail, à qui le Pape avait demandé de travailler sur des questions précises (pauvreté, univers numérique, nouveaux ministères, etc.) en marge de l’Assemblée synodale, devraient rendre leurs conclusions.