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France Inter coupe le micro à l’écologie et aux luttes

France Inter coupe le micro à l’écologie et aux luttes

Il est 14 heures, le lundi 6 mai. Sur les ondes de France Inter, la voix de Jean, teintée de tristesse, crépite. Puis celui de Martine, «  scandalisé »ou encore Suzanne, «  étourdi ». «  Au moment même où les médias ont le devoir de parler mieux et davantage d’écologie, une émission phare sur le sujet est annulée. », déplore-t-elle. Un peu agacé, Dominique ponctue : «  Force à toi et longue vie ! »

Habituellement joyeux et mobilisateur, le répondeur «  Terre au carré » changé par rapport à votre lundi. Avant le début d’un nouvel épisode de l’éco-émission de France Inter – auquel participent chaque mois les participants Reporterre —, son présentateur Mathieu Vidard a déclaré : «  Au moment où je vous parle, il a été enregistré que « La Terre au carré » sous sa forme actuelle, il disparaîtrait à la rentrée. Ce n’est pas un choix de notre part. »

Trois jours plus tôt, le journal Le monde a révélé l’ambiance tumultueuse qui règne dans les couloirs de la Maison ronde de Radio France. Convoqués à leur tour, plusieurs journalistes de France Inter ont appris la réduction ou la suppression de leurs émissions ou chroniques, à partir de la saison prochaine. Et l’équipe de Mathieu Vidard n’a pas échappé au grand ménage orchestré par la directrice de la station, Adèle Van Reeth.

Si la tranche horaire de l’émission est maintenue, certaines voix disparaîtront des ondes. A commencer par Anaëlle Verzaux et sa chronique hebdomadaire «  Le jour où », et Giv Anquetil, dont les grands formats mensuels ont transporté les auditeurs aux quatre coins du monde. Plus surprenant encore, Camille Crosnier, en duo avec Mathieu Vidard, voit également son micro coupé. Jusqu’à présent, le journaliste intervenait à chaque épisode, confrontant dirigeants, patrons et élus à leurs contradictions sur l’écologie. Contacté par Reporterreles journalistes de l’émission n’ont pas souhaité s’exprimer.

France Inter au rythme de Bolloré

Le nom et le contenu éditorial de ce rendez-vous quotidien risquent également d’être perturbés. toujours Le mondeun porte-parole de France Inter assure que l’évolution du programme «  vers des histoires plus écologiques et scientifiques » C’est un souhait de Mathieu Vidard. Faux, l’intéressé a répondu en direct le 6 mai. S’il ne cache pas l’envie de l’équipe «  faire évoluer le spectacle en imaginant une nouvelle formule, (…) avec une structure et une narration différente »cela devrait inclure «  tous les ingrédients qui ont construit l’identité de « La Terre au carré » ».

Malheureusement, cette proposition n’a pas été acceptée. Du moins pour le moment : «  Nous n’avons pas parlé de vos luttes sur le terrain depuis cinq ans pour nous arrêter au premier obstacle qui se présente. », précise-t-il. Le producteur affirme son envie, plus forte que jamais, «  défendre le spectacle pour qu’il conserve sa colonne vertébrale, sa force, sa vitalité et surtout son engagement au cœur de la crise écologique que nous traversons ».

L’autre justification, évoquée par la direction, est la nécessité de rendre l’information «  moins anxiogène ». Un argument douteux quand on écoute les auditeurs témoigner du bonheur et de l’envie d’agir que leur procure l’émission : «  C’est ce dont nous avons besoin aujourd’huiassure Reporterre la militante Mathilde Caillard, connue pour ses techno-manifestations. Nous n’avons pas besoin que le service public adoucisse les nouvelles dramatiques pour préserver notre confort. Nous ne cherchons pas à nous sentir à l’aise face à la crise climatique. Ce que nous voulons, c’est agir. »

Aux yeux du militant de France Inter «  est en phase avec une nouvelle ère, dictée par un milliardaire avec un agenda politique clair » : «  Le service public ne doit pas suivre le rythme de l’extrême droite et de Bolloré », prévient-elle. Parce que bien au-delà «  Terre au carré », d’autres figures voient le clap de fin approcher à grands pas. Charlotte Perry, et ses portraits de héros du quotidien peints avec sensibilité dans «  vies françaises »ou encore Antoine Chao et son instantané sonore de 18 minutes à la découverte des luttes environnementales et sociales, intitulé «  C’est presque demain »sont sur le point de fermer leur micro.

«  Ces émissions ont bercé mon enfancepoursuit Mathilde Caillard. Je les écoutais avec ma mère, sur le chemin de l’école ou à la maison, sur son radio transistor. Pour beaucoup, ces voix sont comme des amies. Ils prolongent parfois la solitude, donnent de la force et offrent des élans d’espoir. D’autant que la direction tacle des émissions engagées, parlant de lutte et de résistance face à des projets destructeurs du climat. » Charlotte Perry, Antoine Chao, Anaëlle Verzaux et Giv Anquetil ont tous les quatre appris leurs gammes aux côtés de Daniel Mermet, dans l’émission emblématique – penchée à gauche – «  Là si je suis là » – qui a d’ailleurs été, en 2014, retiré de France Inter.

Mobilisation générale

L’écologie et les luttes ne sont pas les seules victimes de cette séquence : la satire politique, incarnée par Guillaume Meurice, prend également le dessus. Le 2 mai dernier, sur son compte X, l’humoriste révélait avoir été convoqué à «  un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire ». D’ici là, il lui est interdit de s’exprimer sur les ondes. La direction de Radio France reproche à l’éditorialiste de qualifier une nouvelle fois Benyamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, de «  une sorte de nazi sans prépuce »Le 28 avril dans l’émission «  Le grand dimanche soir ».

Une décision qui prête à confusion, puisque les plaintes déposées contre Guillaume Meurice pour cette condamnation avaient été rejetées par la justice. Dans l’émission du dimanche 5 mai, l’humoriste Djamil Le Shlag a démissionné en direct : «  Il y a plus de liberté sur CNews que sur France Interil a plaisanté. j’enverrai mon CV à Pascal Praud. » Entreprises productrices (SDPI) et les journalistes (SDJ) de la station entendent également la sonnerie de la rébellion : «  Nous refusons ce qui nous apparaît comme une atteinte grave au pluralisme de l’antenne »ont-ils déclaré dans un communiqué commun inédit, diffusé en interne le 3 mai.

Les prémices d’une mobilisation sans précédent à la Maison Ronde ? Une chose est sûre : les prochains jours seront décisifs. Le 6 mai, en fin de journée, le SDPI rencontré la direction pour dénoncer ces abus. Si le contenu des échanges n’a pas encore été dévoilé, un producteur de France Inter déplore Reporterre que les échanges ne se sont pas bien passés. Dans la soirée, un préavis de grève intersyndicale » a été déposée dimanche 12 mai par les syndicats de Radio France, «  en défense de la liberté d’expression ».

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