« Gaston, le téléphone sonne et personne ne répond jamais. » Les jeunes – en plus de ne plus écouter Nino Ferrer – ne répondent également plus au téléphone. Une enquête d’Uswitch, un site anglais de comparaison de prix en ligne, révèle qu’un quart des jeunes interrogés ne répondent jamais au téléphone. Menée auprès de 2 000 personnes de 18 à 34 ans, l’étude précise que 60 % d’entre eux préfèrent recevoir un message (par SMS ou sur un service de messagerie) plutôt qu’un appel téléphonique.
Fini donc les disputes pour savoir qui a accès au seul téléphone de la maison, désormais chacun a le sien. Et comme le souligne la BBC, le prix des appels téléphoniques au début de l’ère du mobile était si élevé qu’il était souvent judicieux d’envoyer un SMS. Ainsi est née une génération de « texters », réservant les appels aux urgences.
Des appels réservés aux mauvaises nouvelles ?
Interrogée par les médias anglais, la psychothérapeute Eloise Skinner explique que recevoir un appel est devenu anxiogène car il est associé « à quelque chose de mauvais, un sentiment d’appréhension ou d’effroi ». L’enquête Uswitch révèle que plus de la moitié des jeunes (56 %) s’attendent à une mauvaise nouvelle lorsqu’ils reçoivent un appel inattendu. « Avec des vies de plus en plus chargées et des horaires de travail plus imprévisibles, nous avons de moins en moins de temps pour appeler un ami pour prendre de ses nouvelles », poursuit Eloise Skinner. « Les appels téléphoniques sont alors réservés aux nouvelles importantes de notre vie, qui peuvent souvent être compliquées et difficiles. »
Cela ne veut pas dire que les jeunes ne sont plus en contact avec leurs amis ou leur famille. La plupart des conversations se déroulent désormais sur des services de messagerie (Messenger, WhatsApp, etc.) ou sur les réseaux sociaux (Instagram, Snapchat, etc.), où il est plus facile de mélanger messages, mèmes, gifs et même audio.
En matière d’audio, c’est un peu comme la coriandre, on l’adore ou on la déteste. Pour certains, c’est une version améliorée du téléphone, sans la pression de devoir répondre immédiatement. Pour d’autres, un message vocal de 5 minutes, entrecoupé de nombreuses hésitations, qui aurait pu se résumer en deux SMS, est une perte de temps ennuyeuse. Selon l’étude d’Uswitch, 37 % des 18-34 ans déclarent que les notes vocales sont leur moyen de communication préféré. En comparaison, seuls 1 % des 35-54 ans préfèrent les messages vocaux à un appel.
Quels effets sur le monde du travail ?
Cette «téléphonophobie» se traduit également dans le monde du travail. «Les appels téléphoniques sont plus révélateurs et nécessitent un niveau d’intimité plus élevé, alors que les messages sont détachés et permettent de se connecter sans se sentir vulnérable ou exposé», explique la psychologue Elena Touroni, interrogée par la BBC. Eloise Skinner ajoute : «Nous avons de plus en plus le sentiment de devoir protéger notre temps et appeler quelqu’un nous oblige à interrompre notre journée et à consacrer notre attention à la conversation, ce qui est difficile à faire pour les personnes multitâches.» D’autant plus pour les jeunes dont la capacité d’attention est souvent plus courte que celle de leurs aînés.
Mais avec la préférence pour la communication non verbale et la tendance au télétravail, ne perdons-nous pas la possibilité d’avoir des conversations informelles et imprévues, se demande la BBC. Selon Eloise Skinner, si la tendance actuelle se poursuit, « nous pourrions perdre le sentiment de proximité ou de connexion. Lorsque nous communiquons verbalement, nous nous sentons plus en phase, que ce soit sur le plan émotionnel, professionnel ou personnel. Cette connexion peut conduire à un plus grand sentiment d’accomplissement, en particulier sur le lieu de travail. »
Les plus réticents verront dans cette nouvelle forme de communication une nouvelle preuve de la supposée fragilité émotionnelle de la nouvelle génération.
En savoir plus sur la génération Z
Il s’agit plutôt d’une question d’adaptation, suggère la BBC : « Il y a vingt-cinq ans, les gens hésitaient à passer du fax au courrier électronique, mais ce changement a rendu la communication plus efficace. Il est peut-être temps de reconnaître le pouvoir du texte et, tout comme nous avons abandonné le fax dans les années 1990, nous pourrons laisser derrière nous le redoutable appel téléphonique en 2024. »