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Folie mathématique | Culture française

Alain Finkielkraut reçoit Olivier Rey Et Étienne Klein – le premier, mathématicien et philosophe, le second, physicien – pour nous parler du roman de Benjamin Labatut, récemment paru chez Grasset, MANIAQUEnotamment autour de la figure de John von NeumannMathématicien et physicien hongro-américain, né en 1903, qui a posé les bases mathématiques de la mécanique quantique, inventé la théorie des jeux, créé le premier ordinateur moderne et joué un rôle clé dans le projet Manhattan ou la construction de la bombe atomique américaine.

Magnifiquement traduit de l’anglais (Chili) par David Fauquemberg, le roman est composé de trois parties. Le premier raconte la vie et la mort tragique du physicien autrichien, Paul Ehrenfest. La seconde, la plus longue, est consacrée à la figure du mathématicien John von Neumann, né en Hongrie en 1903 et mort aux États-Unis en 1957. La troisième partie raconte un jeu de Go qui, en 2016, s’opposait à l’intelligence artificielle appartenant à AlphaGo. par la société DeepMind, désormais propriété de Google, au champion du monde de la discipline, le Coréen, Lee Sedol. Ces histoires nous rapprochent de la folie et du génie mathématique. qui ont profondément transformé nos vies. Commençons par parler de John von Neumann. Qui était-il et qu’est-ce qu’il y avait de si fascinant chez lui ?

Un homme au carrefour de toutes les révolutions techniques et scientifiques du XXème siècle : physique quantique, bombe atomique, informatique, théorie de l’ADN, Intelligence Artificielle

Étienne Klein évoque l’éducation de John von Neumann, Hongrois né à Budapest en 1903, dans une famille aisée. On remarque vite que son cerveau est « une sorte de miracle profane ». « Il savait lire à deux ans, il parlait grec ancien avec son père à six ans, il était capable de diviser mentalement des nombres à huit chiffres. Un jour, il met le feu aux cheveux de son professeur d’escrime et, pour le punir, son père l’enferme pendant plusieurs jours dans la bibliothèque. Et là, il réinvente le calcul infinitésimal et lit les 30 volumes d’une sorte d’encyclopédie historique. C’est quelqu’un qui va vite se passionner pour la logique. Il pense que tout est logique, la pensée elle-même, la vie elle-même.

La logique avant tout, selon John von Neumann. « Il apprend à faire du vélo et il demande comment il a pu apprendre à faire du vélo sans raisonner »

« Il apprend à faire du vélo et il se demande comment il a pu apprendre à faire du vélo sans passer par des raisonnements, comme si le corps était capable de penser par lui-même. Assez vite il s’intéressera, lors d’un séjour en Allemagne, à la physique quantique qui était en train de naître, et comme il se souciait de clarté mathématique, il essaya de voir comment on pourrait formaliser cette physique de la manière la plus précise possible. En 1932, il publia un livre qui fera autorité, Les fondements mathématiques de la physique quantique« . Étienne Klein

John von Neumann part aux États-Unis, notamment en raison de la montée de l’antisémitisme, où il travaille activement sur le projet Manhattan, puis sur la bombe H. Il s’est intéressé aux ordinateurs, machines auto-réplicatrices. Bref, il va devenir un personnage très puissant, il va être un théoricien très zélé de la guerre froide. Einstein, qui l’a rencontré à Princeton, a dit de lui qu’il s’était transformé en une arme mathématique.. Étienne Klein

C’est lui, lit-on dans MANIAC, qui a persuadé les militaires que les bombes ne devaient pas être déclenchées au niveau du sol, mais plus haut dans l’atmosphère, car l’onde de choc causerait alors de nombreux dégâts. plus considérable. Il a même calculé l’altitude optimale, 600 mètres, et c’est exactement la hauteur à laquelle se trouvaient les bombes lorsqu’elles ont explosé au-dessus des toits de ces pittoresques maisons en bois d’Hiroshima et de Nagasaki.

Olivier Rey revient sur les débuts de l’informatique et de la bombe atomique et précise que «La première utilisation des ordinateurs fut pour développer les premières bombes nucléaires. Les premiers ordinateurs physiquement construits se trouvaient à Los Alamos, là où la bombe atomique a été développée. Puisque les bombes atomiques n’avaient jamais explosé, la seule façon d’anticiper ce qui allait se passer était précisément de faire des calculs qui dépassaient les capacités humaines. Et c’est pourquoi nous avons fait appel aux premiers calculateurs qui, certes, par rapport aux moyens dont nous disposons aujourd’hui, peuvent nous paraître bien anodins. Mais c’était leur première utilisation. »

Concordance des temps

58 minutes

MANIAC : titre d’un roman et acronyme de « Analyseur mathématique, intégrateur numérique et ordinateur »

Olivier Rey rappelle l’importance et la tendance des « acronymes accrocheurs » : «Dans la recherche par projet, les chercheurs doivent d’abord développer des projets qu’ils soumettent ensuite aux autorités pour obtenir un financement. Et une activité importante dans la recherche aujourd’hui consiste à trouver des acronymes accrocheurs pour décrire ces projets. On peut dire que MANIAC*, de ce point de vue, préfigure une activité à part entière des chercheurs d’aujourd’hui. »*

Pourquoi étions-nous si intéressés par ces fondements axiomatiques des mathématiques à cette époque, fin du 19e, début du 20e siècle ?

En fait, précis Olivier Rey, pendant très longtemps, on ne s’est pas posé la question des fondements des mathématiques car fondamentalement, les mathématiques reposaient sur des idées claires et distinctes. « Et puis, au fil des évolutions mathématiques au XIXe siècle, apparaissent en mathématiques des objets qui s’éloignent de plus en plus de l’intuition commune, voire qui s’opposent à l’intuition, et là se pose la question : mais finalement, ce bâtiment, qu’est-ce que ça tient dessus ? Sur quels sont ses fondements, puisque nous ne parvenons plus à le relier à notre intuition ?

À un moment donné, il cite Chantre, qui a fait une démonstration, et il a dit : « Je le vois, mais je n’y crois pas. » C’est-à-dire qu’il ne peut pas croire la vérité de ce qu’il a démontré. Et c’est là qu’on va commencer à chercher un fondement axiomatique, c’est-à-dire en fait un ensemble d’axiomes qui ne sont pas démontrés, que l’on choisit comme point de départ du raisonnement, et ensuite on va essayer de reconstruire toutes les mathématiques à partir de ces axiomes. . Mais ce qu’il faut aussi comprendre, c’est que l’immense majorité des mathématiciens ne se préoccupe absolument jamais, au cours de leur vie, de la question des fondements des mathématiques. C’est quelque chose pour un logicien, un philosophe, mais pas du tout pour un mathématicien en pratique.

« À partir du moment où on ne trouvait plus les fondements des mathématiques dans la logique, on allait le prouver dans la performance technologique » (O.Rey)

Et nous ne comprenons pas comment les mathématiques, justement, pourraient s’effondrer alors qu’elles ont obtenu tant de succès dans les sciences mathématiques de la nature et aujourd’hui dans la technologie. Et là, c’est là que ça donne enfin une grande cohérence à ce parcours de John Von Neumann qui finit par créer une bombe. Si on voulait, on pourrait dire qu’il cherchait toujours les fondements des mathématiques, mais à partir du moment où on ne les trouvait plus en logique, on allait le prouver dans la performance technologique. Olivier Rey

Sources bibliographiques

  • Benjamin Labatut, MANIAQUE Grasset, 2024
  • Benjamin Labatut, Lumières aveugles, Seuil 2020
  • Martin Heidegger, Questions III et IV, coll. tel, Gallimard 1990
  • Louis Aragon, Blanche ou l’oubli, Gallimard1967

Les Nuits de France Culture

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La conversation scientifique

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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