Demander à quelqu’un que l’on sait malade comment il va : l’exercice est délicat. Quand on pose la question à Florian Deygas, il éclate d’abord d’un petit rire nerveux. Suivi de : « Comment vas-tu. Nous dirons que tout va bien. » Puis une pause. « Non, mais quand même, j’ai tout ce dont j’ai besoin dans la vie. Alors oui, ça va ! Il y a toujours pire. » L’échange est assez représentatif du personnage. Gardez la tête haute malgré tous les pièges et pensez d’abord à ceux qui sont dans une situation plus difficile.
En février 2023, Florian Deygas voyageait en fauteuil roulant, handicapé par une poussée de sclérose en plaques, ces crises au cours desquelles les symptômes de la maladie se manifestent plus sévèrement. Comme il le fait depuis 2017, il a raconté ce parcours de douleur sur son compte X (anciennement Twitter). Suivi par 12 000 personnes, le jeune père de famille décrit son quotidien, ses combats ou victoires avec le Centre Départemental des Personnes Handicapées, relaie les dernières actualités de la recherche, interpelle les autorités…
Maladie du jeune adulte
Pour Florian Deygas, tout a commencé un jour de mars 2016, à 26 ans. Chauffeur de bus sur la ligne Dax-Bayonne, il conduisait quand des picotements au bras et un malaise l’ont conduit aux urgences. Sclérose en plaques. « La SEP est une maladie qui touche les jeunes adultes. Cela vous coupe la parole à un moment où votre vie personnelle et professionnelle se construit.confie Florian Deygas. C’est une maladie vicieuse, comme ses conséquences sur votre existence. »
Cela lui a valu d’être harcelé au travail. Alors qu’il vient d’être diagnostiqué, ses supérieurs lui refusent un hébergement ou l’utilisation d’un bus automatique et climatisé, alors même que le traitement médical provoque des bouffées de chaleur. En raison de ses origines algériennes, il a essuyé des propos racistes avant d’être licencié pour incapacité. C’est à ce moment-là, dit-il, qu’il a perdu son insouciance. « Même avec la SP, j’avançais, je planifiais. Le harcèlement m’a détruit. » L’entreprise a été condamnée en appel en 2023. Mais elle a fait appel devant la Cour de cassation. Il dort mal. « J’ai un enfant de 3 ans, un crédit. Et là, je prends le risque de devoir rembourser les dommages et intérêts que j’ai reçus. »
« Le handicap ne laisse aucun répit »
Il a dû se décider à lancer une collecte de fonds, via X (anciennement Twitter). Devant demander de l’aide, il a pleuré. Habituellement, c’est tout le contraire. L’ancien pompier, fils de pompier, l’avoue : il a toujours eu « le sens du service. » Conduire des bus, « Je l’ai aimé pour le rapport aux gens, le sentiment d’être utile ». Alors quand il tweete, il souhaite aussi que « sert à quelque chose ». Pour que les personnes handicapées comprennent qu’elles ne sont pas seules dans l’adversité et qu’elles ont des droits. « Le handicap ne laisse aucun répit, ni pour soi ni pour ses proches. »
La moindre victoire est un combat : réussir à scolariser un enfant, financer un transport médicalisé, obtenir des subventions pour équiper une voiture. Ses paroles sont empreintes de colère. « Je ne dirai pas que la France est en retard dans le domaine du handicap. Je dirais plutôt qu’elle s’en fiche. » Quand il apprend que le film Un petit quelque chose en plus (plus de 6 millions d’entrées) où les Jeux Paralympiques « Changer notre regard sur le handicap »En tant que représentant de l’association APF France handicap et ancien vice-président du Conseil consultatif national des personnes handicapées, Florian Deygas rit jaune. « Aller au Festival de Cannes, courir le marathon, oui, c’est génial. Mais si déjà, dans la vie de tous les jours, il était possible de ne pas être discriminé en entreprise… »
Il faut cependant bien s’adapter. « Face à une maladie chronique, vous avez deux choix : vous effondrer ou vivre avec. » Optez pour la deuxième solution ! Mais « Je n’accepte pas ma maladie, je la prends », nuance-t-il, nostalgique de son « la vie d’avant ». Tout en reconnaissant que la sclérose en plaques ne lui a pas apporté « seulement un malheur ». Il y a aussi ces avancées qu’il obtient pour les autres, cette communauté d’amis rencontrés dans les associations de patients. Et lui qui, bébé, a été abandonné en adoption par sa mère biologique ; lui qui avait du mal à se sentir chez lui dans le village de son enfance où il était le seul « avec un teint foncé et des cheveux bouclés » ; celui dont toute la vie « tournait autour de la notion d’abandon » il a l’impression d’avoir trouvé sa place.
—
Sa boussole. Sa femme Jennifer et son fils Mattéo
«Quand j’ai reçu le diagnostic, Jennifer, ma compagne, ne me connaissait que depuis un an. Elle aurait pu s’enfuir. La maladie l’a transformée en aide-soignante, mais elle ne peut pas bénéficier du congé d’aide-soignant mis en place par le gouvernement en 2017, car je ne suis pas « assez » handicapée. Il faut avoir un taux d’invalidité d’au moins 80 %, mais le mien est estimé entre 50 et 79 %. Les matins où la fatigue prend le dessus, où le handicap prend le dessus, elle m’aide à me laver, à attacher mes lacets. Sans elle, je pense que je ne te parlerais pas. Et mon fils ? L’année dernière, lorsque je ne pouvais plus marcher, il m’a mis des bandages sur les jambes pour me soigner. »