Flavien Berger : « J’ai accepté la place de l’inconscient »

La fin d’un cycle. En 2015, Flavien Berger a inauguré avec Léviathan ce qui allait devenir un triptyque majeur de l’électro-pop française. Dans cent ans termine avec brio cette plongée exploratoire dans les sons et les mots. Les opus précédents, tous signés avec le label navigateur Pan European Recording, avaient rencontré un succès à la fois populaire et critique, plaçant leur auteur dans la lignée d’Etienne Daho. Une musique léchée, où les harmonies vocales se mêlent aux sonorités synthétiques, et sa voix suave aux rythmes entêtants, pour un album où tout est affaire de regards, à fleur de peau, dansant et réfléchi, qui se veut aussi une méditation sur le pouvoir. musique.
Léviathan, décalé, Dans cent ans… Dans le jeu des consonances, les titres de vos albums s’efforcent d’évoquer le temps. Est-ce une façon de dater ?
Disons que je prends rendez-vous avec autre chose que moi, parce que dans cent ans je ne serai plus là… Mais oui, tout à fait, il y a un jeu de mots et c’est un peu ludique. J’ai fait une sorte de trilogie qui se veut une exploration de la pop. Avec des pièces aux formes reconnaissables, pas trop expérimentales, et des possibilités d’échappées. Et j’ai décidé de terminer ce cycle par une sorte de jet dans le futur. Je fais des disques, et les disques, ça tourne. J’aime l’idée d’en lancer un dans le futur et que, le jour où ça tombe, je ne sois plus là. C’est un peu de la vanité et je ne dis pas que ma musique sera écoutée dans cent ans. Je pense plus à ce disque, à cette matière plastique, à l’huile…
Nous observons une continuité dans votre travail, autour de concepts avec une exigence et une cohérence sonore…
Je prends un soin tout particulier à faire des albums, des cas qu’on écoute dans une sorte de continuité, de cohérence comme un livre ou un film. Avec des contraintes qui me permettent d’être libre, en inscrivant des zones d’expérimentation et d’exploration au sein de quelque chose qui est plutôt attendu. A terme, j’aimerais trouver des formats qui me sont propres. Pas pour surprendre ou être original, mais pour être naturel.
Vos paroles sont évocatrices, parfois surréalistes, évitant la linéarité d’une histoire. Comment définiriez-vous votre manière d’écrire ce qu’on appelle une chanson ?
Ce n’est pas un problème pour moi de parler d’une chanson, même si, finalement, dans l’imaginaire collectif, une chanson c’est autre chose. C’est vrai que je m’efforce de faire des choses qui peuvent être chantées. Et, effectivement, la linéarité de la fiction, il n’y en a pas trop. J’essaie de ne pas être très clair, de contourner l’évidence. J’aimerais qu’une personne, à différents moments de sa vie, se plonge dans une de mes chansons et y lise différentes choses. Parce qu’ils sont martelés d' »états », comme disait Brigitte Fontaine. Il y a ça avec Apichatpong Weerasethakul, un cinéaste thaï qui fait des films dans lesquels on ne sait jamais où la prochaine scène vous mènera. Je ne dis pas que je peux le faire, mais c’est une dynamique que je recherche. J’ai accepté la place de l’inconscient, presque de l’analyse dans le travail d’écriture. Il y a beaucoup de textes qui m’échappent…
Vous construisez des mélodies audacieuses, avec des décalages harmoniques et des renversements d’accords. Définiriez-vous votre musique comme complexe ?
Je ne le cherche pas, mais je comprends qu’elle puisse en avoir l’air. L’harmonie est quelque chose qui peut être très déroutant selon les cultures ou les éducations. Il y a des chansons dont l’enchaînement d’accords va être bizarre. Puis plus on les écoute, plus ils s’inscrivent dans une palette empirique et on est de moins en moins confus. La musique complexe est subjective. Il y a autant d’oreilles que de façons de juger la musique. Là où j’ai rendez-vous avec l’académisme, c’est dans ces morceaux éponymes d’un quart d’heure (dans chaque album – ndlr), comme ici avec Dans cent ans, où je me retrouve avec un instrumentarium, comme une énième tentative de m’accrocher au wagon de la musique dite classique. Plus je fais de la musique, plus j’apprends à en faire.
Votre musique est à la fois sobre et très pleine. Comment faites-vous?
J’ai plusieurs façons de travailler. L’un des moyens est ce que j’appelle « l’outil du temps ». C’est-à-dire que j’enregistre des cahiers de travail sur des cassettes audio que je classe et dans lesquelles je retourne fouiller des mois ou des années plus tard. Je travaille beaucoup avec les archives. Je viens d’une génération où le sample fait partie de la musique. Je prélève un moi du passé dont j’ai oublié les intentions mais dont je garde un substrat. Comme une sorte de ficelle, une réinvention d’intentions. L’autre façon de travailler est un processus d’avancées harmoniques où tout passe par la voix. Les mélodies, je les entends et je les chante ou les transcris. C’est un processus que je ne maîtrise pas vraiment. Je ne suis pas le seul dans ce cas. C’est Étienne Daho qui m’a dit que, pour lui, c’est carrément de l’ordre du mystique. Il entend des choses qui viennent d’en haut et il les transcrit. Je serais moins mystique, mais quand je n’entends plus la musique, le morceau est terminé.
Vous avez beaucoup composé pour le cinéma ou des installations d’art contemporain. Cela vous a-t-il aidé à redéfinir votre travail ?
Ce ne sont pas tant les terrains qui contribuent à redéfinir le travail que les collaborations, que ce soit pour faire une musique de film ou coproduire un disque. Faire de la musique de film m’intéresse moins, dans ce cas, que travailler avec Céline Devaux ou, dans l’autre cas, avec Apple. Ce sont les rencontres avec des trajectoires qui m’intéressent.
Grb2