Fini le télétravail chez Amazon… Et bientôt plus pour les salariés français ?
Driiiing. Il est 8h59, c’est vendredi. Il est temps de se réveiller vite pour commencer le télétravail avec le rendez-vous à… 9 heures, les paupières mi-closes. Que l’exécutif en France qui n’a jamais utilisé cette technique nous jette la première pierre. Mais ce mini sleep-in sera-t-il bientôt interdit ? La semaine dernière, Amazon a pris la décision d’interdire totalement le travail à distance. A partir du 2 janvier 2025, les 300 000 salariés du géant du commerce en ligne seront à 100 % en présentiel, contre trois jours obligatoires par semaine jusque-là.
De quoi provoquer une litanie de commentaires, d’éditoriaux et d’articles de notre côté de l’Atlantique, qui a vu le (maudit) retour de la permanence au bureau. Certes, l’idée fait son chemin : 83 % des managers français envisagent désormais un retour complet au bureau d’ici trois ans, contre 60 % en 2023, selon une étude de KPMG.
Une culture du télétravail très implantée en France
Mais ce type d’annonce n’a rien de bien nouveau, rappelle Caroline Diard, professeure agrégée au département droit des affaires et RH de TBS Education et membre de l’Observatoire du télétravail. Le même buzz s’est produit l’année dernière lorsque Zoom, entreprise emblématique d’enseignement à distance, a contraint au retour des salariés résidant à moins de 80 kilomètres d’un de ses quatre sites.
Le télétravail est-il donc voué à disparaître en France ? L’expert n’y croit pas vraiment : « Il existe désormais une culture du télétravail très forte, à laquelle il semble difficile de revenir. L’absence de travail 100 % en présentiel est un critère déterminant, voire essentiel, pour de nombreux travailleurs CSP. » Une analyse partagée par Mélia Arras-Djabi, maître de conférences et accompagnement des entreprises dans les démarches d’innovation managériale : « Dans un contexte de guerre des talents, je ne vois pas les entreprises perdre cet atout. La plupart des salariés à distance estiment avoir une bien meilleure qualité de vie au travail qu’avant le Covid-19, un thème devenu de plus en plus important. »
Le retour impossible
Agnès Duroni, spécialiste des questions sociales, illustre : « Aujourd’hui, il est difficile pour un manager – même s’il en a le droit – de revenir ne serait-ce qu’une journée de TT d’un membre de son équipe dans la semaine. Cela provoque une très forte résistance de la part des salariés. Alors supprimez complètement le télétravail… »
Une étude de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) en avril dernier montrait que plus de la moitié des cadres déclaraient qu’ils ne postuleraient pas à une offre en cas d’absence totale de télétravail. C’est notamment le cas de Léo, 36 ans, dans l’assurance : « Si mon patron me disait « à partir de maintenant, c’est fini le télétravail », c’est comme me dire « à partir de maintenant, il ne le fera plus ». congé par an. Cela me semble impensable et je démissionnerai immédiatement. On ne revient pas à une telle réussite sociale. »
Une réussite sociale ? Au-delà d’être une nouvelle culture de travail, travailler depuis son canapé fait désormais partie d’un cadre légal – oui ! – suite aux accords nationaux interprofessionnels sur le télétravail en 2021, sans compter les accords au sein des entreprises. De quoi le graver encore plus profondément, estime Caroline Diard : « Les différents partenaires sociaux se sont réunis autour de la table pour trouver un compromis, ce n’est pas tout rejeter quelques années plus tard. »
Autre problème : le choix de nombreuses entreprises d’opter pour des locaux plus petits et des bureaux flexibles – avec moins de places disponibles que de salariés – rend le retour au présentiel complet impossible sur le plan logistique. D’autant que « l’expérience bureautique s’est souvent dégradée avec le flex office » et son aspect impersonnel, poursuit Caroline Diard. Quant aux patrons insoumis qui veulent mettre fin au désordre chez eux, « ceux qui l’annoncent sont surtout les managers de la « vieille école », attachés aux vieux modes de management – excès de contrôle, habitudes, refus du changement », fustige Agnès Duroni. .
À la recherche du juste milieu
Alors pourquoi ce choix d’Amazon ? Simple tendance à la surenchère chez les Américains, selon l’expert : « Ils ont tendance à aller droit aux extrêmes. L’entreprise a autorisé le 100 % à distance, et a imposé le 100 % en présentiel. » Comme souvent, la solution se situe entre les deux.
« Si le télétravail n’est pas menacé, le 100 % télétravail pourrait effectivement disparaître », poursuit Mélia Arras-Djabi. L’idée selon laquelle quelqu’un peut être aussi efficace n’importe où dans le monde, sans jamais venir dans une entreprise, a montré des limites évidentes. Manque de créativité, d’émulation collective, d’esprit de groupe… La liste est longue.
La fin du mythe du nomade numérique
Ça tombe bien, les salariés ne sont pas non plus adeptes du télétravail à 100 %. Une étude Ifop de janvier 2022 montrait que 34 % des salariés en télétravail au moins trois jours par semaine souffrent de solitude, soit 13 points de plus que la moyenne nationale. « Une entreprise qui fait du « TT » cinq jours sur cinq est aussi rédhibitoire qu’une entreprise qui fait du 100 % en présentiel. Ou peut-être même pire, cela veut dire quelque chose ! », témoigne Julie, conseillère bancaire de 27 ans.
Selon l’étude annuelle de l’Observatoire du télétravail, le « mix » parfait serait « 2 jours de TT + 3 jours sur site = salarié heureux », indique Caroline Diard. Agnès Duroni nous rassure sur nos habitudes : « L’hybridation est la meilleure solution, la France la met déjà très souvent en place et la plupart des entreprises semblent avoir trouvé leur équilibre, plus ou moins marqué selon les secteurs d’activité et les métiers. . Il n’y a donc aucune raison pour que cela change. » Ouf, nos vendredis sur le canapé – ordinateur – étendre le linge – suivi d’un mail – faire un footing à midi sont sauvés.