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« Fellini ne voulait pas d’un séducteur pour La Dolce Vita, c’est pour cela qu’il l’a choisi »


Né en 1924, la légende du cinéma italien Marcello Mastroïanni aurait eu 100 ans cette année. La Cinémathèque française lui rend hommage avec une très belle rétrospective. Entretien avec Jean Antoine Gili, fin connaisseur de l’acteur et spécialiste du cinéma italien.

France Télévisions – Culture Edito

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Portrait de Marcello Mastroïanni, affiche du Festival de Cannes 2014 (VALERY HACHE / AFP)

Emblème du cinéma italien ayant travaillé avec les plus grands réalisateurs de son temps, Marcello Mastroïanni fait l’objet d’une très belle rétrospective à la cinémathèque. Acteur fétiche de Fellini dans des films restés mythiques comme La Dolce Vita Ou Huit et demiL’acteur a cherché à briser cette image de séducteur tout au long de sa carrière. Jean Antoine Gili, spécialiste du cinéma italien, nous explique comment. La rétrospective Marcello Mastroïanni est à voir en 25 films à la Cinémathèque française jusqu’au 29 septembre 2024.

France Info Culture : Marcello Mastroïanni reste aujourd’hui l’emblème des grandes années du cinéma italien. Depuis La Dolce VitaEn 1960, il incarne le « Latin lover », une image qu’il déteste et contre laquelle il va lutter tout au long de sa carrière. Comment tout a-t-il commencé ?

Jean Antoine Gili: La Dolce Vita C’est le tournant de la carrière cinématographique de Marcello Mastroianni, déjà longue. Il avait déjà beaucoup joué au théâtre dans l’immédiat après-guerre, sous la direction de Luchino Visconti. Chaque fois qu’il le pouvait, il voulait le rappeler : c’est Visconti qui l’avait formé, qui lui avait donné ce style de jeu très détaché. Et il le rappelait pour une raison simple : il voulait échapper à cette image de « Latin lover » qui lui collait à la peau. Dans les années 1950, il jouait surtout des personnages modestes dans des comédies. Son film le plus célèbre à l’époque était Le Pigeonoù il joue le rôle d’un père qui s’occupe de son bébé, car la femme est en prison pour trafic de cigarettes. Il a l’air un peu ridicule avec son béret en train de préparer du porridge… Mais nous sommes en 1958, deux ans avant La Dolce Vitaoù il jouera un rôle qui dépasse tout ce que Fellini aurait pu imaginer.

France Info Culture : Est-ce que ce « Latin lover » de La Dolce Vitac’est une créature qui a échappé à son créateur ?

Fellini voulait trouver un personnage relativement modeste pour incarner ce protagoniste de La Dolce VitaIl ne voulait pas d’un séducteur. Il ne voulait pas de Paul Newman, ni de Gérard Philippe, c’est-à-dire du summum de la séduction à l’époque. Non, il voulait un personnage relativement ordinaire. C’est un échec complet ! D’une certaine manière, la créature échappe à son créateur, et il va se retrouver dépassé par la fascination que Mastroïanni exerce sur le public.

France Info Culture : C’est là que Mastroïanni devient essentiel ?

Fellini est complètement dépassé et d’ailleurs, quand il reprend Mastroianni pour Huit et demic’est un peu sous la contrainte de la production. On veut d’une certaine manière prolonger le succès de La Dolce Vita et Mastroianni à cette époque maîtrisait totalement son talent, sans toutefois en faire trop, car il ne se voyait pas du tout comme un latin lover. Cette expression avait le don de le mettre de mauvaise humeur car il ne s’est jamais pris pour un « sex-symbol ». On se souvient de ces images où il est sur la terrasse de la magnifique maison où il vivait à la périphérie de Rome, et il y a un carrosse de touristes qui arrive, et qui s’évanouissent presque en le voyant. On le voit s’amuser avec, c’est vrai, mais cela ne lui procure aucun plaisir.

France Info Culture : Cette image qui lui colle à la peau, comment va-t-il s’en débarrasser ? Y parviendra-t-il ?

Ce n’était pas quelqu’un qui recherchait le succès en tant que séducteur. Au contraire, il recherchait des rôles exigeants, importants, des personnages dans lesquels il pouvait exprimer tout son talent (qui était considérable). Il était vraiment capable de se glisser dans n’importe quel rôle. Mais il a indéniablement un charme, une séduction exceptionnelle. Il ne veut pas le jouer, mais c’est dans sa nature, même s’il ne cherche pas à le cultiver, non. La base de son jeu est d’être le plus naturel possible, et le problème c’est que son naturel était ce charme, il n’y pouvait rien. Il essaie d’échapper à cette charge de séduction qu’il porte… Mais il la porte ! Et donc d’une certaine manière il a dû faire avec. Il doit faire avec cette possibilité qu’il a et c’est un don d’être aussi séducteur, de porter admirablement des costumes, des cravates, des chemises, des chapeaux, des lunettes… On se souvient de ces fameuses photos où il lève ses lunettes pour regarder par-dessus. Le moindre accessoire dans ses mains devient un faire-valoir, c’est comme ça. On pourrait aussi imaginer quelqu’un de très sophistiqué, qui joue avec, mais c’est le contraire : Mastroïanni était très simple dans la vie.

France Info Culture : En quoi les rôles qu’il a choisis étaient-ils l’antithèse du latin lover ?

Il essaie de se débarrasser de cette image en jouant avec des réalisateurs qui ne la mettent pas en avant. Avec Angelopoulos dans Greek, par exemple. Ou Elio Petri, quand il le fait jouer dans L’Assassinou dans l’étonnant En toutoù il joue le rôle d’un prêtre jésuite aux convictions presque diaboliques. Il s’est presque fait un nom en incarnant un homosexuel par exemple, à l’opposé de ce qu’on pourrait lui coller comme image ou un vieil homme avec de grosses lunettes épaisses car il est complètement myope.

France Info Culture : Que reste-t-il fondamentalement de Mastroïanni aujourd’hui, alors qu’il aurait eu 100 ans ?

Il a accompagné les grandes années du cinéma italien, et voici ce qui reste de lui. La Dolce Vita Et Huit et demic’est un mythe par rapport à Fellini, mais aussi grâce à Mastroïanni. Personnellement, ce que je retiens de lui pour avoir travaillé avec lui à plusieurs reprises, c’est que c’était quelqu’un d’un grand naturel, qui gardait néanmoins une grande distance quand il était sur un plateau, ce qui était le signe d’un très très grand professionnalisme. Soit on considère que tout ce qu’il faisait s’appuie sur sa propre expérience, soit au contraire rien, et j’aurais tendance à dire « rien » : c’était un immense acteur qui était capable de tout jouer.

Rétrospective Marcello Mastroïanni, Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris (du 11 au 29 septembre 2024).

Grb2

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