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Félicien Faury, sociologue : « Xénophobie et islamophobie fédèrent l’ensemble de l’électorat RN »

Le RN progresse partout. Dimanche 9 juin, lors des élections européennes, 93 % des communes plaçaient Jordan Bardella en tête, ainsi que toutes les catégories socioprofessionnelles et les plus de 34 ans… Comment expliquer cette explosion ? Félicien Faury, auteur du livre Électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite (Seuil, 2024), est allé à la rencontre des électeurs RN dans le sud-est de la France entre 2016 et 2022. Il tire des enseignements sur les motivations qui, dimanche 9 juin, ont poussé 7,7 millions de Français à voter pour l’extrême droite, et des clés pour lutte.

Les barrières mentales semblent céder, notamment parmi l’électorat de droite. Le souhait d’Eric Ciotti d’une alliance avec le RN pourrait-il pousser les citoyens qui ont refusé de voter pour l’extrême droite à franchir le pas ?

Au sein de l’électorat de droite, les barrages éclatent. Éric Zemmour a eu un rôle important en ce sens. Lors des élections de 2022, de nombreuses couches électorales résistantes au RN ont commencé à voter pour Éric Zemmour. Ils se sont en effet habitués à voter pour l’extrême droite. Notamment les classes supérieures et une partie des catholiques pratiquants.

Aujourd’hui, le RN commence à grignoter l’électorat de droite et à attirer les cadres LR. On assiste donc à un début de vote bourgeois pour le RN, même si la structure de son électorat reste majoritairement populaire. C’est symboliquement très important pour le RN, qui n’est plus mis au ban.

L’initiative d’Eric Ciotti semble personnelle, mais elle peut avoir une importance pour l’électorat de droite. Le message, c’est qu’il est possible, quand on est à droite, de voter pour le RN, qui serait un parti de droite comme les autres.

Tu es en train de parler de «normalisation par le bas». Cela signifie-t-il que le vote RN non seulement n’est plus tabou, mais est même parfois valorisé ?

Dans certains territoires et cercles sociaux, il n’est plus du tout un vote honteux et peut-être au contraire, une fierté, la revendication d’une identité. C’est en tout cas devenu dans de nombreux territoires une option politique normale, qui ne choque pas, qui ne subit plus la désapprobation d’un voisin, d’un ami.

La standardisation des RN se joue aussi là, dans ces petites interactions du quotidien. La politique se construit sur des consensus de bon sens créés au sein de groupes sociaux concrets.

Pour la gauche, cela doit poser la question de sa présence dans certains territoires, pour qu’un contre-discours circule aussi et contredise les imaginaires propagés par l’extrême droite.

Selon l’Ifop, les cinq principaux « déterminants du vote » pour les électeurs de Jordan Bardella, dimanche 9 juin, sont, dans l’ordre, l’immigration, la sécurité, le terrorisme, les frontières européennes et l’éducation. Cela remet-il en question la rhétorique des « en colère, pas des fascistes » ?

Si cette expression veut dire que le vote RN est avant tout un vote de colère sans qu’il y ait d’affinités idéologiques avec l’extrême droite, ce serait une erreur. Cela ne veut pas dire que c’est irréversible, qu’on ne peut pas politiser d’autres aspects, mais il ne faut pas oublier que les thèmes de l’immigration, de l’insécurité et de l’Islam sont ceux qui comptent. le plus pour ces électeurs.

Dans votre livre, vous soulignez l’importance du racisme comme déterminant du vote RN. Votre enquête étant centrée sur le Sud-Est, ces conclusions s’appliquent-elles à l’ensemble du territoire ?

Il existe des spécificités de l’électorat du Sud-Est, mais il ne faut pas les exagérer. Sur l’immigration et l’islam, aucune enquête auprès de l’ensemble de l’électorat ne montre que cela soit spécifique au Sud-Est.

La dimension xénophobe et islamophobe fédère l’ensemble de l’électorat RN : elle est le ciment entre les différentes classes sociales et les différents territoires. Des études montrent que, si vous n’avez aucune hostilité à l’égard de l’immigration, vos chances de voter pour le RN sont quasiment nulles.

La question sociale et le rejet du macronisme ne sont-ils pas également des moteurs importants ?

Il est vrai que cette dimension de détachement existe, principalement dans les classes populaires, mais c’est une explication incomplète. S’il y a un vote anti-Macron, il se conjugue toujours avec une articulation entre immigration et incertitude sociale.

L’immigration, pour les électeurs RN, est un enjeu socio-économique car, selon eux, s’il y a trop d’immigration, leurs impôts, qui financent l’aide sociale, vont augmenter. Et s’il y a trop d’immigrés, c’est un risque pour leur emploi.

Dénoncer l’imposture sociale du RN ne servirait donc à rien pour réduire le vote RN ?

Non, cela peut être très utile. Sur la question des salaires et des retraites, il existe un ensemble d’incompréhensions, voire de naïveté, parmi les électeurs RN. Démontrer cette tromperie peut donc être efficace. Mais cela ne suffit pas : nous devons affronter la question du racisme et de la xénophobie. Rien ne détermine ces classes populaires, blanches, à être condamnées à voter RN. La gauche ne doit pas perdre de vue cette ambition de les convaincre aussi.

En tant que tels, les arguments sont utiles, mais parfois rien ne vaut leur mise en pratique. La lutte syndicale et les mouvements sociaux sont très importants pour montrer une certaine unité des classes populaires qui, en fin de compte, se traduit souvent par une réorientation vers la gauche.

Fondamentalement, le RN bénéficie de deux éléments. D’un côté, de fortes inégalités sociales, avec l’impression que les ressources communes – aides sociales, services publics – se raréfient et qu’il y aura compétition entre groupes sociaux pour en bénéficier. De l’autre un raidissement raciste plus général, qui lui profite. Il faut répondre à ces deux aspects.

Si l’antiracisme n’est pas aligné sur la lutte des classes, il peut être perçu comme moralisateur et donc inefficace. En revanche, si la lutte anticapitaliste laisse de côté la lutte contre le racisme, cela ne permet pas de lutter contre ce qui alimente le vote RN au quotidien.

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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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