Faute de concurrence, la dette française attire plus que jamais les investisseurs
Alors que la crainte d’une dégradation de la note de la dette française par les agences Fitch et Moody’s vendredi demeure, les investisseurs continuent de manifester un appétit insatiable pour la dette française.
Bercy compte, en effet, lever 285 milliards d’euros de dette sur les marchés financiers en 2024. Un montant record qui dépasse les 270 milliards d’euros levés en 2023. Et les acheteurs de dette sont au rendez-vous. Le 27 février, l’Agence France Trésor (AFT) a émis 8 milliards d’euros d’obligations du Trésor (OAT) à 30 ans, contre 5 milliards initialement prévus, tant la demande était forte. Du jamais vu pour cette maturité. » Le carnet de commandes a dépassé les 75 milliards d’euros », s’est même félicité Antoine Deruennes, directeur général de l’AFT.
Un appétit de demande qui a des conséquences positives pour l’État français. Son taux d’endettement à dix ans reste toujours inférieur à 3% (à 2,98%), soit proche de celui de l’Allemagne à 2,49%, même si son déficit public a dérapé en 2023 pour s’établir à 5,5% et que la dette française culmine à 112% du PIB. . Cependant, si les acheteurs étaient réticents à acheter des obligations françaises, l’État serait contraint de proposer un taux d’intérêt beaucoup plus élevé pour les convaincre, ce qui rendrait le paiement des échéances beaucoup plus coûteux pour le pays.
Les investisseurs à la recherche d’une dette sûre
La dette française se négocie toujours bien… faute d’actifs plus attractifs. » Les investisseurs internationaux recherchent des actifs relativement sûrs. (…) Les obligations françaises font alors partie des choix possibles, ce qui explique leur succès », explique Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of management, dans une note.
En effet, parmi nos voisins répondant à la demande des investisseurs se trouve l’Italie, qui devrait lever 310 milliards d’euros sur les marchés en 2024 et 340 milliards en 2025. Un montant encore plus important que celui de la France, mais bien moins intéressant du point de vue de l’économie. investisseurs. Avec une dette équivalente à 137% de son PIB, Rome est le pays le plus endetté en valeur relative de la zone euro, derrière la Grèce. Par dessus tout, » ce pays a une dette de qualité « moyenne inférieure » notée 11/20 par les agences de notation et pourrait passer dans la catégorie « spéculative » si sa note était dégradée »souligne Eric Heyer, directeur du service d’analyse et de prospective de l’OFCE, interrogé par La galerie. Inversement, « La France dispose d’une dette qualifiée de « haute qualité » notée 18/20 et resterait dans cette catégorie, même si elle était dégradée une fois. », ajoute l’économiste.
Malgré la série de mauvaises nouvelles concernant ses finances publiques, la France reste un bon élève sur le banc de la dette européenne… voire très bon.
» Paris a une bonne histoire et est considérée comme sûre car elle n’a jamais fait défaut. De plus, sa dette est très liquide (qui se négocie très bien sur les marchés financiers, NDLR) », analyse John Plassard, directeur à la banque Mirabaud. La France a avant tout des fondements économiques bien valorisé par les investisseurs.
» La France est connue pour sa capacité rassurante à augmenter les impôts, mais surtout, nous ne sommes pas entrés en récession contrairement à d’autres pays européens et notre taux d’épargne très élevé de 18% rassure sur notre potentiel de croissance puisque les consommateurs pourraient désépargner à l’avenir pour consommer et redémarrer. croissance », explique également à La galerie, Anne-Sophie Alsif, chef économiste de BDO France.
Les pays européens émettent peu
Mais Paris bénéficie aussi de la frugalité des bons étudiants européens en matière d’endettement.
« Les pays bien notés du nord de l’Europe n’émettent pas beaucoup de dette, donc pour acheter de la dette « de haute qualité », les investisseurs ne disposent que d’obligations françaises », note Eric Heyer.
L’Allemagne, par exemple, la référence européenne en matière de dette sécurisée, emprunte peu par fidélité à sa politique de rigueur budgétaire historique. Pour 2024, le programme d’émissions de l’Allemagne ne s’élève qu’à 76 milliards d’euros, soit près de quatre fois moins que celui de la France. La dynamique est aussi la même dans certains pays moins bien notés comme l’Espagne, qui ne devrait lever que 55 milliards d’euros cette année, soit une réduction de 10 milliards par rapport à 2023.
Même si nos voisins concurrencent la dette française avec des volumes plus importants, Anne-Sophie Alsif estime que les investisseurs continueraient à faire confiance à Paris puisque « Contrairement à nous, les pays nordiques les mieux notés ont un potentiel de croissance intérieure moindre et dépendent fortement des exportations, considérées comme plus risquées par les investisseurs. « , elle dit.
L’euro permet à la France d’attirer les investisseurs
L’un des seuls pays capables de rivaliser avec la France sur le marché international de la dette est les États-Unis. Le pays de l’Oncle Sam affiche dans le même temps une dette de » haute qualité », et un flux massif de titres obligataires. En novembre dernier, le Trésor américain a annoncé qu’il émettrait 1 592 milliards de dollars entre le quatrième trimestre 2023 et les trois premiers mois de 2024. Un montant pharaonique qui a de quoi étancher la soif des investisseurs toujours très confiants dans l’économie américaine et le dollar. .
Mais la France attire également bon nombre de financiers à la recherche de titres obligataires grâce à sa monnaie. » Même s’ils ont encore beaucoup confiance dans le dollar, les investisseurs affirment que celui-ci pourrait encore baisser suite à l’augmentation des dépenses budgétaires de Washington pour soutenir son économie, mais aussi pour financer les guerres (à l’image des 63 milliards de dollars que le gouvernement enverra au dollar). Ukraine, ndlr) », prévient Anne-Sophie Alsif.
Ces derniers » souhaitent donc se couvrir et se diversifier en s’exposant à d’autres devises comme l’euro, en achetant des dettes européennes… et donc françaises », conclut l’économiste de BDO France.
Autant d’arguments qui suggèrent qu’une éventuelle dégradation de la note française ce vendredi n’aurait finalement pas de conséquences significatives sur les taux d’emprunt de l’Etat.