« Faire un film érotique en 2024, c’est plus une question de mots que de corps »
Elle sortait de L’événement (2021), selon Annie Ernault, lorsqu’on lui a demandé d’adapter Emmanuelled’Emmanuelle Arsan, pour la première fois au cinéma depuis 1974. Audrey Diwan nous explique pourquoi elle a relevé le défi. Et quels sont, à ses yeux, les ressorts d’un film érotique en 2024.
Qu’est-ce qui vous donne envie de vous attaquer Emmanuelle ?
Audrey Diwan : Ce sont mes producteurs qui m’ont suggéré cette idée quand je partais L’événement . Cela ne m’a pas parlé spontanément, ne serait-ce que parce que j’avoue n’avoir jamais vu le film de Just Jaeckin dans son intégralité. Mais je me suis vite plongée dans le livre d’Emmanuelle Arsan pour voir s’il pouvait m’inspirer. Sans pression car sinon, je serais passée à autre chose. Et il se trouve que dans le livre, une centaine de pages traversées par des questions sur l’érotisme ont joué un rôle déclencheur. Elles m’ont poussée à me poser des questions sur la manière dont on peut créer un récit érotique en 2024. Et comment faire du personnage d’Emmanuelle, cette jeune femme en quête d’un plaisir perdu, le vaisseau de ce voyage forcément différent de celui proposé par Just Jaeckin dans les années 1970. J’ai donc entendu proposer de faire table rase du passé car un film érotique ne peut plus s’appuyer sur les mêmes ressorts. Ne peut plus s’appuyer uniquement sur des scènes sexuelles. Cela se fait autant, sinon plus, par les mots que par les corps.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de confier ce personnage à Noémie Merlant ?
De toute évidence, son talent et l’immense gamme de jeux dans lesquels elle évolue avec la même aisance, Portrait de la jeune fille en feu a L’Innocent. Mais c’est en la rencontrant que mon intuition s’est confirmée. Lorsque, dans notre discussion sur ce personnage et la manière dont j’aimerais la filmer, elle m’a spontanément dit : « Si Emmanuelle était moi, je m’épuiserais à chercher mon plaisir ». Cette phrase résonnait totalement avec le voyage que je souhaitais proposer aux spectateurs. Je savais que nous avions déjà le même film en tête.
Comment construisez-vous les scènes intimes du film avec elle ?
En intégrant au processus une coach gestuelle, Stéphanie Chêne, avec qui Noémie travaille depuis Les Jeux Olympiques et en restant fidèle à la ligne de conduite que je m’étais fixée d’emblée : me concentrer sur ce que ressent Emmanuelle et non sur les regards qui lui sont adressés. Le processus était donc simple. Travailler avec Stéphanie permettrait à Noémie de ressentir des choses et me permettrait de construire une chorégraphie de corps réunissant ceux qui allaient partager ces scènes. Avec cette idée centrale que ce n’était pas à Noémie de venir s’offrir à la caméra mais à la caméra d’évoluer en embrassant ses ressentis.
Pour ce film à la première personne du singulier féminin, c’est Laurent Tangy, votre chef op’ de L’événement Qui est en charge de la photographie ? Le fait qu’il soit un homme aurait pu vous faire hésiter à faire appel à lui ?
Pas une seconde ! Précisément parce que dans ma recherche d’un autre « regard », il n’y a pas de geste purement militant. C’est l’artistique qui est aux commandes et le reste en découle. Maintenant, avoir avec vous quelqu’un d’aussi délicat et inventif que Laurent dans des registres aussi divers que L’événement Ou Bac Nord constitue un atout inestimable. Il a également épousé ce que j’avais l’intention de faire avec Emmanuelle : expérimentation, recherche. C’est aussi en suivant cette logique que le film a continué à se réécrire au montage, en fonction par exemple de là où Noémie avait emmené son personnage à travers son interprétation. Plus que dans mes deux films précédents, j’ai dû faire confiance à mon ressenti et ne pas chercher à plaire à tout le monde. Mais je l’assume pleinement.
Emmanuelle. Par Audrey Diwan. Avec Noémie Merlant, Naomi Watts, Will Sharpe… Durée : 1h46