Vous sortez de votre sommeil et vous vous dirigez vers la salle de bain. La lumière s’allume. Une grosse araignée entre dans votre champ de vision. Si vous aviez participé à une expérience en laboratoire, les scientifiques auraient remarqué une activité électrique intense dans une région de votre cerveau appelée la substance grise périaqueducale (PAG). Ce schéma est également observé chez d’autres animaux. La conclusion logique ? Le PAG contrôle la réaction de combat ou de fuite chez les mammifères face à des situations menaçantes.
Il s’agit pourtant d’une idée fausse. Le cerveau ne possède pas de circuits neuronaux dédiés au choix entre la fuite et le combat. Des études récentes, dont celle de Lisa Feldman Barrett, professeure à l’université Northeastern de Boston (États-Unis), démontrent que notre rapport à la vie ne repose pas uniquement sur la détection et la réaction aux menaces. En fait, le cerveau se préoccupe davantage de prévention que de réaction. Sa mission première : réduire l’incertitude dans un monde en constante évolution.
Cette représentation des circuits neuronaux impliqués dans la réaction de combat ou de fuite est appelée la « théorie du cerveau trinitaire » et remonte à Platon. Le philosophe grec expliquait que le cerveau humain évoluait en trois couches. La première vient des reptiles et contrôle les besoins instinctifs ; la deuxième vient des mammifères anciens et traite des émotions ; et la troisième, propre à l’homme, limite rationnellement notre bête intérieure.
Or, Platon a vécu deux millénaires avant Darwin, et cela se voit. Tout d’abord, les reptiles ne sont pas les ancêtres des mammifères. Surtout, les cerveaux humains ont une formation similaire à ceux des animaux. Les scientifiques ont en effet découvert, grâce aux progrès de la génétique moléculaire, que les mammifères possèdent les mêmes types de neurones que les humains, y compris dans la « couche de rationalité ». Pour couronner le tout, on sait depuis longtemps qu’il n’existe pas de système exclusivement dédié aux émotions. Ni à la raison.
Le cerveau planifie en apprenant
Alors, que reste-t-il de notre réponse combat-fuite ? Trois axes de recherche scientifique nous apportent de véritables réponses. Le premier est issu d’une imagerie cérébrale de plus en plus avancée. Le laboratoire de Lisa Feldman Barrett a récemment montré que le PAG connaît un pic d’activité, même dans des moments qui ne sont pas du tout stressants et complètement banals. Une étude anatomique montre que ce PAG coordonne les activités du cœur et des poumons avec d’autres systèmes du cerveau. Il ne s’active pas seulement face à des menaces, mais tout le temps. Il travaille simplement plus fort sous l’effet du stress.
La deuxième preuve scientifique provient de l’étude des souris. Lorsqu’elle est exposée à une menace, comme un objet inconnu ou l’odeur d’un prédateur, une souris n’a pas de réaction binaire de combat ou de fuite. Le plus souvent, elle recule avant de revenir prudemment, et répète ce mouvement de va-et-vient à l’infini. Les enfants humains se comportent de la même manière lorsqu’ils sont confrontés à des animaux ou aux vagues sur la plage. En fait, il s’agit d’une collecte minutieuse d’informations visant à réduire l’incertitude de l’environnement immédiat.
Enfin, une troisième réponse scientifique vient des vingt dernières années de recherche sur la capacité du cerveau à prédire. Dans la vie de tous les jours, vous sursautez lorsque vous voyez une voiture arriver vers vous. Vous souriez lorsque vous recevez un texto d’un proche. En termes plus scientifiques, vous répondez à un stimulus. Sauf que votre cerveau ne réagit pas, il prédit à l’avance comment agir et quelles sensations ressentir dans l’immédiat. Tout cela grâce à toutes ses expériences passées. C’est ce qu’on appelle « l’apprentissage ».
Réduire l’incertitude n’est pas neutre en termes de dépense énergétique. Plus le cerveau doit soutenir ou renforcer son effort (par exemple en cas d’instabilité politique, économique, climatique ou personnelle), plus la charge métabolique peut être importante. C’est du stress. Mais cela en vaut la peine : nous consommons toujours moins d’énergie que si nous devions faire face à l’incertitude. La réduire améliore, d’un point de vue évolutif, les chances de survie, de bonne santé et de reproduction.
Ces explications scientifiques sont peut-être moins sexy. Elles ne cèdent pas au bras de fer intense entre raison et émotion qui transformerait l’humain en âne de Buridan. Ni au mythe des trois couches du cerveau, dont une reptilienne, qui gérerait la réaction de combat ou de fuite. Elles illustrent simplement que le cerveau anticipe le besoin de dépenser de l’énergie et se prépare en conséquence. Et c’est presque un superpouvoir en soi.