Face aux Etats-Unis, le risque de déclassement de l’Europe inquiète les économistes
L’écart entre l’Europe et les États-Unis ne cesse de se creuser. Au début des années 2000, le PIB par habitant dans la zone euro était de 33 500 euros contre 43 700 euros aux États-Unis. Vingt ans plus tard, le revenu par habitant sur le Vieux continent atteint à peine 39 600 euros contre 54 800 euros outre-Atlantique. Comment expliquer un tel décrochage ? La croissance économique plus faible de la zone euro peut certainement expliquer une partie de l’écart avec la première puissance économique mondiale.
Mais cet indicateur ne prend pas en compte les effets dévastateurs à long terme des différents chocs sur l’économie des deux dernières décennies. Ce que les économistes appellent des « effets d’hystérésis ». La crise financière de 2008, la crise de la dette souveraine de 2012, la pandémie et le choc énergétique ont profondément marqué le tissu productif de la zone euro. Aux États-Unis, ces différentes crises ont également laissé des cicatrices sur l’économie. Mais les politiques budgétaires et monétaires menées outre-Atlantique ont permis aux différents moteurs de l’économie de redémarrer plus rapidement.
En Europe, la baisse inquiétante des gains de productivité
A ces facteurs s’ajoutent des gains de productivité plus faibles dans la zone euro qui pourraient contribuer significativement à creuser l’écart avec les Etats-Unis, selon une note très détaillée de l’OFCE dévoilée le 16 mai. De l’autre côté de l’Atlantique, la croissance de la productivité s’accélère. de 1,5% par an contre seulement 0,8% dans la zone euro entre 2000 et 2019.
« Pour combler cet écart, il est nécessaire que les pays de la zone euro stimulent leurs gains de productivité horaire en adoptant une politique plus ambitieuse d’innovation, de concurrence, de flexicurité et de formation professionnelle. Ces politiques sont d’autant plus cruciales qu’elles sont nécessaires pour réussir la transition technologique (automatisation, digitalisation, IA) et écologique de nos économies. »explique à La galerie, Sébastien Bock, économiste à l’OFCE.
Europe : un déficit d’investissement flagrant
En Europe, la baisse de productivité s’explique par un manque flagrant d’investissements dans la recherche et le développement, les logiciels et les technologies de l’information et de la communication (TIC). En matière de TIC par exemple, l’économie américaine fait deux fois plus d’efforts en pourcentage de valeur ajoutée que la zone euro en matière d’équipements informatiques et de communication.
Dans leur note, les économistes calculent que le montant investi par emploi dans les TIC était de 500 à 700 euros par an dans la zone euro contre 2 500 euros aux Etats-Unis. Sur la question des TIC, les économistes sont particulièrement inquiets. » A À l’heure où tous les observateurs et experts envisagent une croissance économique future fondée sur un recours accru aux technologies numériques, notamment à travers le développement de l’intelligence artificielle et des ordinateurs quantiques, il faut se demander si le retard européen n’atteint pas des niveaux très handicapants pour croissance future », expliquent les chercheurs.
Concernant la recherche et le développement, il faut dire que les mastodontes de la Tech aux Etats-Unis investissent des sommes colossales. En 2022, Alphabet a investi autant (25 milliards de dollars) que toutes les entreprises privées en France. Sur le Vieux Continent, leL’absence d’une entreprise leader dans le domaine des services numériques limite les investissements en R&D et en équipements numériques, soulignent les économistes.
Un déficit de 630 milliards d’euros d’investissements privés dans la zone euro
Réduire l’écart avec les États-Unis représente un défi colossal pour les États de la zone euro. Selon les calculs des économistes, l’Europe aurait besoin d’investir une enveloppe de 630 milliards d’euros (soit 5% du PIB) chaque année en TIC, recherche et développement et logiciels pour rattraper son retard.
Pour la France, cela signifie que le secteur privé devrait investir 61 milliards d’euros supplémentaires. Quant à l’Allemagne, les entreprises devraient injecter 57 milliards d’euros par an. Face au risque de « déclassement technologique », la zone euro devra intensifier ses efforts, préviennent les économistes.
En France, les débats sur l’efficacité des leviers budgétaires censés booster l’innovation refont régulièrement surface. « Il est essentiel d’accroître l’efficacité des dépenses en ciblant mieux les programmes d’incitation à l’innovation. » recommande Sébastien Bock.
« La France a par exemple mis en place le crédit d’impôt recherche (CIR), l’un des dispositifs de soutien à l’innovation les plus généreux de la zone OCDE. Son efficacité est cependant limitée car ses critères d’accès ne tiennent pas compte de la taille des entreprises, favorisant ainsi les grandes entreprises qui auraient investi même sans ce système.
Reste à savoir si le gouvernement français osera s’attaquer à ce totem lors des prochains débats budgétaires à l’automne.
Dans la zone euro, une croissance trois fois plus lente qu’aux Etats-Unis en 2024
Bruxelles table sur une hausse du PIB de 0,8% cette année puis de 1,4% l’an prochain dans la zone euro dans ses dernières prévisions dévoilées cette semaine. Là Commission table sur une croissance de 1% en 2024 puis de 1,6% en 2025 pour l’ensemble de l’UE, globalement conforme à ses attentes précédentes. Mais l’Allemagne continue de tirer l’Europe vers le bas. Sa croissance serait encore quasi nulle cette année (+0,1%) alors que Bruxelles tablait sur 0,3% en février.
Il devrait enregistrer un rebond l’année prochaine avec une croissance du PIB attendue à 1%, mais encore une fois inférieure au chiffre de 1,2% prévu jusqu’à présent. La France va mieux mais sa croissance serait aussi moins forte que prévu à 0,7% en 2024, comme en 2023, au lieu de 0,9% annoncé en février, et de 1,3% (chiffre inchangé) en 2025 Aux Etats-Unis, la croissance du PIB devrait s’accélérer à 2,4%, selon la Commission européenne, un taux trois fois plus rapide que dans la zone euro.