Face aux dépenses militaires et sociales, le Kremlin augmente les impôts
Les contribuables russes sont prévenus. Ces dernières semaines, en pleine période de paiement de l’impôt sur le revenu 2023, des affiches les accueillent à l’entrée de leurs centres fiscaux. Sous la photo de militaires en treillis kaki sur fond de ciel bleu, le message en grosses lettres blanches est clair : « Notre métier – défendre la patrie ».
« L’armée recrute ! » Et nous payons… », ironise Anna, portrait typique de la nouvelle classe moyenne moscovite qui, aux aspirations libérales, est dépassée par les réalités géopolitiques. Opposée au Kremlin et, depuis plus de deux ans, à son « opération militaire spéciale » en Ukraine, la jeune femme n’a pas d’autre choix : « Restez en Russie et payez mes impôts. Pour écoles et routes. Mais aussi pour cette guerre ce qui n’est pas le nôtre… »
La classe moyenne ciblée
Anna, cadre dans une entreprise privée, fait partie des Russes visés par la prochaine hausse d’impôts. En février dernier, dans son discours à la nation à la veille de l’élection présidentielle, Vladimir Poutine déclarait qu’il avait décidé : le chef du Kremlin promettait alors « une répartition plus équitable de la charge fiscale en faveur des personnes ayant des revenus personnels et professionnels plus élevés ».
Traduction : augmentations d’impôts pour les classes moyennes et supérieures. Trois mois plus tard, le ministère des Finances vient de donner les détails de la réforme qui, de facto, sera adoptée sans véritable débat par un Parlement réduit au rôle de simple chambre d’enregistrement des décisions du Kremlin : la Russie rompt franchement avec le système unique taux d’imposition introduit après l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000.
Un seuil trois fois supérieur au salaire moyen
Le taux actuel de 13 % ne sera maintenu que pour des revenus annuels allant jusqu’à 2,4 millions de roubles (soit environ 24 000 €) ; au-delà, des taux d’imposition progressivement plus élevés s’appliqueront, jusqu’à 22 % pour les revenus annuels supérieurs à 50 millions de roubles (505 000 €).
« Le barème progressif proposé ne devrait pas concerner l’écrasante majorité de la population », a rassuré le ministre des Finances Anton Silouanov, ajoutant que ces augmentations ne concerneraient que 3,2% de la population active. Une priorité pour Vladimir Poutine alors que la pauvreté touche encore plus de 9 % de la population. Le nouveau seuil de 2,4 millions de roubles est en effet trois fois supérieur au salaire moyen national. Et le gouvernement a prévenu : les revenus des participants à « l’opération militaire spéciale » en Ukraine seront exonérés de ces augmentations.
Défense, 30% des dépenses fédérales
Toutes les modifications proposées au code des impôts, qui devraient entrer en vigueur à partir de 2025, apporteront quelque 2 600 milliards de roubles supplémentaires aux recettes budgétaires, soit plus de 26 milliards d’euros. De quoi couvrir les promesses électorales de Vladimir Poutine, réélu le 17 mars pour un nouveau mandat de six ans. Des nouvelles aides aux familles aux grands projets de transports, de la lutte contre la pauvreté aux subventions aux PME.
Tout cela aura un coût qui, avec le conflit en Ukraine, viendra s’ajouter aux dépenses de défense. L’année dernière, ils représentaient déjà 30 % des dépenses fédérales et 6 % du PIB. Une première dans l’histoire moderne de la Russie. Pour les seuls soldats et volontaires combattant en Ukraine, l’État a distribué pas moins de 2 000 milliards de roubles (20,5 milliards d’euros), selon les estimations de l’économiste Vladislav Inozemtsev, fondateur et directeur du Centre d’études sur la société postindustrielle de Moscou.
L’État donne et reprend
Le budget global de la défense et de la sécurité s’élèvera cette année à « environ 8,7% » du PIB – soit environ 165 milliards d’euros –, a révélé mercredi Vladimir Poutine, alors que les dépenses totales de l’État ont déjà explosé de 20 % sur un an. Pour couvrir tout cela, le gouvernement compte désormais principalement sur les impôts des classes moyennes et supérieures.
« La majorité des Russes ne sont pas concernés par la réforme mais sont au contraire favorables à ce que le gouvernement cible les plus riches. » ironise Denis Volkov, le sociologue à la tête de l’institut de sondage indépendant Levada. « Ils n’ont pas d’autre choix car ils dépendent de l’État pour leurs affaires. Alors il le leur donne et… le reprend ! »