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Face au « grignotage très lent » des Russes, Zelensky joue-t-il la carte diplomatique ?

S’agit-il d’un tournant dans la guerre en Ukraine ? Une phrase de Volodymyr Zelensky est passée presque inaperçue dans le tumulte de l’actualité nationale et internationale, mais elle pourrait être un marqueur décisif dans le conflit lancé il y a plus de deux ans par la Russie. « Je pense que des représentants russes devraient participer à ce deuxième sommet », a déclaré le président ukrainien, en référence au deuxième sommet de la paix qui sera organisé autour de novembre. Une position en totale opposition à un décret paru en octobre 2022 interdisant toute négociation avec Vladimir Poutine. Un coup diplomatique qui pourrait traduire une perte de vitesse sur le front.

Un geste stratégique et diplomatique

Depuis le début, « l’idée qu’on ne peut pas résoudre le conflit et mettre fin à la guerre sans la participation de la Russie a existé », souligne Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/NEI à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle rappelle qu’en avril 2022, une discussion entre les deux pays belligérants avait déjà eu lieu à Istanbul avant d’être brutalement interrompue par les massacres de Boutcha. Par ailleurs, la Russie avait également été invitée à participer au premier sommet de la paix organisé en Suisse en juin mais avait refusé d’y assister.

En rouvrant la porte aux discussions, Volodymyr Zelensky pose des pions stratégiques sur l’échiquier mondial autour de la guerre. Le chef de l’État ukrainien « tente de montrer au reste du monde, pas seulement aux alliés, qu’il veut toujours la paix, qu’il est prêt à discuter, que ce n’est pas lui qui ferme la porte et qu’il est prêt à s’engager dans des tentatives diplomatiques », explique Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales, maître de conférences à Sciences Po et auteur de Notre guerre (L’observatoire). Il veut surtout mettre la Russie au pied du mur. » D’ailleurs, Moscou semble gêné par cette main tendue et affirme, dans la presse russe, n’avoir reçu aucune invitation officielle.

Des négociations encore illusoires

Une question cruciale demeure : la Russie et l’Ukraine sont-elles prêtes à faire des concessions ? Car derrière le coup d’État politique et diplomatique, la réalité est bien plus floue. Chacun des deux camps campe sur des positions inacceptables pour l’autre. L’Ukraine insiste sur son intégrité territoriale et sa souveraineté, tandis que la Russie ne veut pas abandonner les quatre régions ukrainiennes qu’elle contrôle, ainsi que la Crimée.

« Tout cela est inacceptable non seulement pour Kiev mais aussi simplement du point de vue du droit international, celui des frontières, et du droit humanitaire », accuse Nicolas Tenzer en rappelant les « tortures, les exécutions, les déportations d’enfants… » Ces avancées certaines ne signifient pas pour autant que l’on commence à voir la lumière au bout du tunnel et la fin de la guerre. « Nous en sommes à dix mille kilomètres », tranche Tatiana Kastouéva-Jean.

Anticipation d’un renversement du soutien américain

La date fixée à début novembre, alors que le monde attendra les résultats de l’élection présidentielle américaine, n’est pas anodine. Même si Volodymyr Zelensky a assuré être confiant quant aux possibilités de travailler avec Donald Trump, il est probable qu’il se prépare à une éventuelle coupe dans l’aide occidentale. Le candidat républicain, bien placé dans la course à la Maison Blanche, a désigné comme colistier un fervent opposant à l’aide à l’Ukraine. Son élection serait donc « le pire scénario pour l’Ukraine, sachant que l’Europe n’a pas basculé dans une économie de guerre et n’a pas les moyens de remplacer les États-Unis », prévient Nicolas Tenzer.

Alors derrière cette déclaration, il y a peut-être la possibilité de vouloir faire la paix avant que la situation ne s’aggrave. En revanche, si Joe Biden remporte l’élection, l’Ukraine pourra continuer à compter sur l’aide occidentale et poursuivre la guerre. « Volodymyr Zelensky essaie de se placer politiquement dans la meilleure position possible face aux différentes bifurcations possibles, se préparer à accepter la paix ou continuer la guerre et essayer d’obtenir une meilleure paix plus tard », analyse Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien, stratège et auteur de L’ours et le renard (Perrin).

Des difficultés sur le front

L’ouverture de Volodymyr Zelensky traduit-elle aussi un enlisement de son armée sur le front ? L’Ukraine fait face à une pression permanente sur le front aérien et à des attaques quotidiennes de missiles et de drones qui causent de lourds dégâts humains et énergétiques. Dans le même temps, la Russie revendique régulièrement de petites victoires sur le terrain et grignote des parcelles de territoire. « Les Russes continuent d’appliquer leur stratégie de pression permanente avec un effort particulier sur le Donbass, même si d’un point de vue géographique, c’est un grignotage extrêmement lent », rapporte Michel Goya. De fait, l’armée russe n’a conquis que 600 km2 depuis février, « c’est minuscule, la ligne de front n’a quasiment pas bougé », ajoute le spécialiste.

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

Une question demeure cependant : quel prix paient les Ukrainiens dans ces batailles ? Car les pertes ukrainiennes restent un grand mystère et leur nombre pourrait modifier la perception du rapport de force. « Si elles sont équivalentes voire supérieures aux pertes russes, la pression sera intenable, alors que si elles sont bien inférieures aux pertes russes, les Ukrainiens sont vainqueurs même s’ils reculent », explique Michel Goya. D’autant que Kiev continue de renforcer son armée et que l’aide occidentale est à nouveau conséquente. Reste que pour l’instant, les Ukrainiens n’ont que les moyens de se défendre et n’ont pas la capacité humaine ou matérielle de lancer une offensive pour reprendre des territoires conquis. Et si « à la fin du match on sait qui a gagné, pour l’instant les Russes mènent au score même s’il ne s’agit pas d’une domination écrasante », illustre l’ancien colonel.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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