C’est une nouvelle épidémie qui a frappé la Chine à la fin du printemps. Au cours des six derniers mois, le nombre de banques chinoises liquidées a été quatre fois plus élevé que sur l’ensemble de l’année 2023, selon Agence de presse financière mondiale Yicai. Plus spectaculaire encore, en une semaine, 40 banques chinoises ont fermé boutique fin juin. Les victimes de cette purge financière sont pour la plupart de petites banques rurales en difficulté. Aussi, pour éradiquer leurs créances douteuses, le gouvernement central a ordonné une série de fusions avec les principales banques du pays.
À Pékin, l’heure est bel et bien au grand ménage. Empêtrée dans la crise immobilière depuis deux ans avec son géant Evergrande, la deuxième économie mondiale fait face à un ralentissement sans précédent de sa croissance. Le gouvernement communiste tente donc de reprendre le contrôle d’une économie qui peine à tourner à plein régime.
Car la faillite du promoteur Evergrande a de multiples ramifications dans son économie, voire dans le budget de l’Etat. Pendant des décennies, d’autres promoteurs chinois ont allègrement financé leurs nouveaux chantiers à crédit, le secteur immobilier représentant même, à son apogée, jusqu’à la moitié de la dette chinoise. Mais, à partir de 2020, les répercussions de la crise du Covid et le resserrement de l’accès au crédit par Pékin qui a suivi ont grippé sa machine, stoppant des millions de chantiers.
Les banques rurales endettées
Alors aujourd’hui, à partir de De nombreuses banques chinoises locales qui avaient prêté de l’argent au secteur immobilier se retrouvent endettées. Dans une note publiée le 29 juillet, Pictet évoque même une « crise bancaire silencieuse » Selon le groupe suisse, citant des informations de L’économistece sont donc » plus de 3 800 petites banques » qui sont aujourd’hui en difficulté, représentant au total 13% des actifs bancaires chinois. Sur les 40 banques qui ont fermé en juin, 36 se trouvaient dans la province du Liaoning, au nord-est du pays, à la frontière avec la Corée du Nord.
Une région atypique, connue pour son secteur industriel et son histoire communiste, « Aujourd’hui, le niveau technologique s’est grandement amélioré élève « , explique Mary-François Renard, économiste spécialiste de la Chine et auteur de China in the World Economy. Les 36 banques ont été sommées par le régulateur financier chinois de fusionner au sein de laune banque commerciale rurale du Liaoning, spécialement créée en septembre 2023.
« La disparition soudaine de ces petites banques est la conséquence de la La politique de croissance chinoise basée sur la dette (…) Certaines banques ont même admis avoir accordé jusqu’à 40% de prêts à risque. « , dont certains, liés au secteur immobilier, n’ont finalement pas été remboursés, explique l’économiste à La Tribune.
Dépendance aux entreprises
Assez pour provoquer « Des sueurs froides pour les investisseurs du monde entier « , selon Pictet. Ces petites banques, qui prêtaient principalement aux ménages, aux TPE et aux PME, sont fragilisées par l’endettement croissant des entreprises chinoises, qui continue de faire peser le risque de défauts de paiement. 62% des entreprises chinoises ont signalé des retards de paiement en 2023contre 40% en 2022, selon Coface.
Les gestionnaires provinciaux ne s’en sortent pas beaucoup mieux. En raison de la crise immobilière, ces administrations publiques perdent l’une de leurs principales sources de revenus : les revenus issus des ventes de terrains. Ainsi, les dettes privées et publiques chinoises suivent une trajectoire assez similaire.
En accordant des prêts risqués à des très petites et moyennes entreprises (PME) souvent déjà endettées, les banques locales chinoises inquiètent Pékin qui craint un effet bombe à retardement. Ces dernières années, les gouvernements locaux comme le gouvernement national ont tenté de renflouer les caisses de ces petites banques, que Mary-Françoise Renard qualifie de « fragile « En 2023, les provinces ont levé 152,3 milliards de yuans (21,05 milliards de dollars) par le biais d’obligations pour reconstituer le capital des petites et moyennes banques, selon les données du marché électronique des obligations des gouvernements locaux de Chine.
» « Ces banques auraient dû être en faillite depuis longtemps. » souffle l’économiste français.
Les deux leviers de Pékin pour assainir les comptes
Si Pékin s’empare lentement du sujet depuis près d’une décennie, le problème a des origines plus anciennes selon Emmanuel Véron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine :
» AAvec le boom économique des années 1980, il y a eu une énorme circulation d’argent liquide et de nombreuses petites banques ont été créées. Mais ces banques étaient malpropres, malsaines, mal gérées et corrompues. »
La crise immobilière de 2022, symbolisée par la dette de 300 milliards de dollars d’Evergrande, a donc été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres des dettes des petites banques.
La fusion de petites banques chinoises locales avec de plus grandes banques est une forme de sauvetage. Pour le professeur-chercheur, « Cela répond à une logique d’assainissement. C’est un phénomène structurel, ce n’est pas la première fermeture de banques locales en Chine ces dernières années, même si cette série est plus spectaculaire. » Dans sa note du 29 juillet, le groupe Pictet n’interdit pas « de laisser faire faillite les petites banques dont la disparition ne cause pas de graves problèmes économiques et financiers. « Mais il faut assainir les comptes et les pratiques de ces petites banques », Pékin peut compter sur deux autres leviers » explique Mary-Françoise Renard. Outre les fusions, Pékin pourrait réglementer les pratiques bancaires. mauvais pour la santé » en province. Une option à privilégier selon Mary-Françoise Renard :
» La fusion n’est pas une solution à long terme. Pékin ne peut pas laisser les petites banques faire faillite, sinon cela créerait la panique au sein de la population.. Il faut surtout beaucoup plus de régulation »
Le système bancaire parallèle
Le besoin d’assainissement est d’autant plus grand que certaines de ces banques n’hésitent pas à transférer une partie de leurs risques vers un secteur beaucoup plus opaque : le ombre bancaire. Un ensemble d’entités – très peu régulées – qui jouent un rôle très proche de celui des banques (crédits, gestion de liquidité, etc.) sans en avoir le statut… ni les contraintes. Ces entités vont de la spéculation de certains haie fonds au prêteur sur gage. Interviewée par France Culture, l’économiste Jézabel Coupey-Soubeyran a expliqué qu’il s’agissait « d’un déversoir pour les berges. »
En Chine – l’un des principaux pays où cette finance parallèle est concentrée selon BSI Economics – les actifs de ombre bancaire représentent plus de 10% du total des actifs bancaires chinois. Ils contribuent ainsi à cet endettement caché des provinces que le Fonds monétaire international estime – en incluant la partie visible – à 12 600 milliards d’euros. Ce système très opaque offre » «Méconnaissance de la dette», explique Mary-Françoise Renard, et son assainissement prend du temps. Si le poids de ce secteur a diminué en dix ans grâce à la réglementation, le gouvernement « Il est impossible de tout réguler d’un seul coup. En raison de la corruption endémique de ces institutions, il existe des problèmes de pouvoir au sein du Parti communiste chinois qui ne permettent pas à ces petites banques de faire faillite ou de réduire le shadow banking. » conclut Emmanuel Véron.