« Face à l’infiltration religieuse dans les universités, il faut étendre les pouvoirs du Conseil des sages de la laïcité »
FIGAROVOX/TRIBUNE – Si le Conseil des sages de la laïcité, créé en 2018 par Jean-Michel Blanquer, accompagne efficacement les personnels enseignants du premier et du second degré, il est urgent d’étendre ses compétences à l’enseignement supérieur, estime Samuel Mayol.
Samuel Mayol est maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord et ancien directeur de l’IUT de Saint-Denis. Il a reçu le Prix national de la laïcité en 2015 et est l’auteur de La laïcité, la République jusqu’au bout (L’Harmattan, 2023), et Fraternités fracturées, récit d’un voyage à Jérusalem entre violences et espoirs (L’Harmattan, 2024).
Le Conseil des Sages de la Laïcité joue un rôle essentiel dans la promotion et la défense du principe de laïcité dans l’Éducation nationale. Les missions de ce conseil sont claires et salutaires : « Le Conseil des Sages de la laïcité et des valeurs de la République est à la fois un organe consultatif et d’orientation de la politique éducative en faveur de la laïcité et des principes républicains, un organe d’élaboration et de production de ressources, et un lieu de conception et de conduite d’actions de formation. Le Conseil des Sages de la laïcité et des valeurs de la République a pour vocation de clarifier la position de l’établissement d’enseignement en matière de laïcité et d’enseignement laïc des faits religieux. « .
Depuis sa création le 8 janvier 2018, ce conseil est très actif et permet à l’institution scolaire d’avoir des réponses aux questions quotidiennes qui se posent aux enseignants, directeurs et personnels administratifs. Mais ce conseil, qui est directement rattaché au ministre de l’Éducation nationale, n’a dans son champ d’action que l’enseignement primaire et secondaire. L’université n’est malheureusement pas dans son champ de compétence.
Il est cependant clair que la laïcité fait face à de nombreux défis dans l’enseignement supérieur. Les obstacles à la laïcité et, plus largement, les questions relatives à la laïcité sont aujourd’hui nombreux au sein des universités.
Aujourd’hui, il est nécessaire d’en appeler à une laïcité combative et obstinée, sûre de sa force et de ses valeurs, une laïcité dans laquelle la science est l’arme la meilleure et la plus fiable pour affronter les mystifications et les fanatismes religieux de toutes sortes.
Samuel Mayol
Nous assistons en effet aujourd’hui à une résurgence de phénomènes religieux au sein des universités françaises et à la montée de tendances communautaristes. Les tentatives de faire de l’université un lieu de culte ou du moins un lieu adapté au culte sont régulières : contestation de certains enseignements présentant des théories jugées contraires à certaines religions, refus de participer à des enseignements spécifiques (comme la pratique du sport obligatoire dans certains cours), demandes spécifiques de prise en compte des contraintes religieuses dans les emplois du temps, demandes d’ouverture de salles de prière, détournement de locaux attribués aux associations étudiantes pour les transformer en lieux de prière, refus exprimés par les étudiantes que les oraux soient menés par des examinatrices mais réclament des examinatrices femmes, etc.
Dans la plupart des cas, les collègues confrontés à de telles situations se retrouvent bien seuls. Le faible soutien apporté à la communauté universitaire montre à quel point, à tous les niveaux de l’État et du monde académique, cette question, pourtant sensible, n’est en réalité pas abordée avec l’importance qu’elle mérite et le courage qu’elle requiert. Tout semble faire croire que l’ampleur de la situation n’a pas été mesurée ou qu’il n’y a aucune volonté de l’évaluer.
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Il est essentiel de comprendre, à mon sens, que l’enjeu de ce qui se passe actuellement au sein des universités est clairement celui de lutter contre l’infiltration religieuse qui n’est pas nouvelle. Toutes les religions ont compris l’importance pour elles d’investir l’université de diverses manières afin de diffuser leurs idéaux. Il convient donc de rester attentif à la montée de l’obscurantisme religieux qui menace actuellement la société en la fragmentant et en la divisant.
Aujourd’hui, il est nécessaire d’en appeler à une laïcité combative et obstinée, sûre de sa force et de ses valeurs, une laïcité dans laquelle la science est l’arme la meilleure et la plus fiable pour affronter les mystifications et les fanatismes religieux de toutes sortes.
Et l’université devrait être à l’avant-garde de cette logique scientifique et académique car son rôle est justement de promouvoir la recherche et seulement la recherche. Tout l’enseignement dispensé s’appuie sur des recherches académiques reconnues en leur temps par d’autres universitaires. Renoncer à cet idéal, c’est prendre un risque mortel pour la cohésion nationale. C’est dans l’enseignement supérieur que se joue en grande partie l’avenir de la société et de l’économie. L’université est, ou doit être de plus en plus, une opportunité pour le développement des connaissances fondamentales, pour la recherche, pour notre rayonnement international, pour notre développement économique.
Le conseil élargi des sages pourrait comprendre toutes les situations complexes et apporter des réponses adaptées tout en respectant le cadre juridique et les valeurs républicaines.
Samuel Mayol
Nos universités et nos grandes écoles ont longtemps été des lieux où et par lesquels s’opérait la mobilité sociale. Elles ont largement contribué au rayonnement scientifique de notre pays.
Alors que nous parlons de l’émergence d’une « société de la connaissance », nos universités, plus que toute autre institution, doivent être le vecteur de cette cohésion républicaine, car elle s’adresse précisément aux adultes. Comme l’a déclaré Nelson Mandela, «L’éducation est l’arme la plus puissante que vous puissiez utiliser pour changer le monde.« .
C’est pourquoi ces questions spécifiques doivent recevoir toute l’attention du gouvernement. Le contexte universitaire nécessite soit la création d’un conseil des sages de la laïcité pour l’enseignement supérieur, soit l’extension des missions du conseil des sages existant aux questions de l’enseignement supérieur. Cette deuxième proposition aurait l’avantage d’assurer une cohérence à la politique éducative de notre pays sur ce sujet essentiel.
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Le conseil élargi des sages pourrait appréhender toutes les situations complexes et apporter des réponses adaptées dans le respect du cadre légal et des valeurs républicaines. Universitaires, présidents, vice-présidents, chargés de mission, enseignants, chercheurs, enseignants-chercheurs, mais aussi personnels administratifs et techniques pourraient ainsi être accompagnés dans la gestion des situations complexes liées à la laïcité.
Au-delà de ces bénéfices spécifiques, l’extension des missions du Conseil des sages de la laïcité à l’enseignement supérieur permettrait d’assurer une application cohérente et effective du principe de laïcité dans l’ensemble du système éducatif français, de l’école primaire à l’université. Cela contribuerait à renforcer la protection de ce principe fondamental de notre République, garant de la liberté de conscience et de l’égalité de traitement de tous les citoyens.
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