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face à l’extrême droite, une jeunesse dispersée

Lorsqu’elle a appris les résultats des élections européennes dimanche 9 juin, Élise a fondu en larmes. Tristesse face à la montée du Rassemblement national, mais surtout culpabilité. Comme 62,5% des 18-34 ans, elle n’est pas allée voter. « La vérité est que j’ai découvert trop tard qu’il y avait des élections. Je ne pouvais plus m’inscrire sur les listes près de chez moi, et, par paresse et manque d’intérêt, je n’ai pas fait de procuration… », admet-elle, penaude.

Sur une terrasse sur les pentes de la Croix-Rousse, à Lyon, la jeune fille au carré blond, 25 ans, revient devant ses amis sur son « surprise » politique. Ils se sont retrouvés ce lundi 17 juin pour voir la France disputer son premier match de l’Euro de football.

« Je m’en veux car j’ai l’impression d’avoir participé à un parti dont je déteste accéder aux responsabilités. En 2022, j’ai glissé à contrecœur un bulletin « utile » au second tour pour m’opposer au RN », poursuit-elle. Élise était pourtant très politisée lorsqu’elle était lycéenne. Ses études d’ingénieur et son quotidien l’en éloignent. « Cela me choque de penser que j’ai changé et pas dans le bon sens. »

Les jeunes (18-34 ans) sont ceux qui se sont le moins mobilisés lors des élections européennes. Ceux que l’on croise dans les rues de Lyon ne dérogent pas à la règle, mais nombreux sont ceux qui s’en mordent les doigts. Devant l’école d’informatique Epitech, Émilie, 22 ans, avoue avoir  » oublier  » aller voter. Depuis, elle s’est réinscrite sur les listes électorales. Le 30 juin, au premier tour des élections législatives, elle votera pour le Nouveau Front populaire.

Un vote polarisé aux extrêmes

Malgré les nombreux sondages plaçant le RN en tête, de nombreux jeunes n’avaient pas « Je ne l’ai pas vu venir » une telle montée. C’est le cas de Romain . En 2022, il avait promis de voter « contre » une dernière fois. Le 30 juin, il reviendra cependant sur sa promesse et envisage de voter

» pour le parti de Macron. C’est le seul, pour moi, qui puisse vraiment faire obstacle.

Son choix diffère des tendances de sa génération. Selon une note de la Fondation Jean-Jaurès, les jeunes semblent polarisés aux extrémités de l’échiquier politique. Le 9 juin, 33 % d’entre eux affichaient un bulletin LFI, 25 % pour le RN, et seulement 8 % pour la liste Renaissance. Les jeunes que nous rencontrons rejettent largement la politique d’Emmanuel Macron, au pouvoir depuis sept ans, la grande majorité de sa vie d’électeur. Léonard, assis à côté d’Élise, n’a pas de mots assez forts pour critiquer le président, qu’il « détester ». « Je trouve qu’il mène une politique brutale. Tout se fait par la répression, il gouverne contre le peuple »

résume ce doctorant en physique de 24 ans, féru de politique. En conséquence, il a toujours voté

» pour le candidat qui avait le plus grand pouvoir de nuire vis-à-vis de Macron. Aux législatives, je ne m’empêche pas de voter RN.» Dans les rues de Lyon, les conversations en terrasse sont cependant loin d’être toutes tournées vers la politique, qui passe souvent au second plan derrière les relations amoureuses, les notes aux examens ou les vacances d’été. Certains en parlent pourtant, rarement de manière positive. Paul, étudiant en école de commerce, regrette l’extrême polarisation du débat. « J’aimerais voter, mais je ne me sens plus du tout représenté. Le PS et l’UMP me manquent. » Son ami Louis n’en a plus l’envie.

« Ce n’est pas en allant voter que les choses vont changer pour moi. »

Dégoût de la politique du spectacleOn retrouve cette tendance au désengagement un peu partout dans les villes et villages du Rhône. A Pusignan, village rural où le RN a remporté 47% des voix aux élections européennes, trouver des jeunes en semaine n’est pas une mince affaire . « Je ne suis pas un vrai Pusignánais »,

prévient Benjamin, 18 ans. Il vient de terminer son année d’hypokhâgne à Lyon. Le 9 juin, il vote pour la première fois. « Je savais que je voulais voter contre le RN, mais je voulais surtout soutenir des idées plutôt que des orateurs. » Même s’il vient tout juste d’obtenir le droit de vote, on sent déjà chez lui une forme d’amertume.

« J’ai l’impression que la politique est de plus en plus une affaire de spectacle, de divertissement. Nous devrions voter pour notre idée de la justice, pas pour quelqu’un parce qu’il parle bien. »A part Benjamin, les jeunes croisés de Pusignan ne semblent pas s’intéresser à la politique . Pour Tristan, 24 ans, serveur au restaurant du village, le vote du 9 juin s’est surtout limité à une chose : bloquer le RN.

« Je n'y connais pas grand chose, mais je sais que ce n'est pas dans mes valeurs, de ce que je pense que la France est, un pays où peu importe votre orientation sexuelle ou votre origine, vous êtes le bienvenu.  Sans main d’œuvre étrangère, nous serions en difficulté dans les usines et sur les chantiers !  »

France, Pusignan, 17/06/2024. Portrait de Tristan, 24 ans sur la commune de Pusignan. Photographie d’Antoine Merlet. / Antoine Merlet / pour La Croix

Banalisation du RN sur les réseaux Pauline, 19 ans, a aussi « peur des extrêmes ».Stage à l’agence immobilière du village, elle ne peut que constater à quel point ces derniers sont valorisés sur les réseaux . « C’est devenu une tendance de mode de voter pour le RN, Bardella est tendance partout sur TikTok »,

» se lamente la jeune fille pendant sa pause cigarette.

France, Pusignan, 17/06/2024. Portrait de Pauline, 19 ans sur la commune de Pusignan. Photographie d’Antoine Merlet. / Antoine Merlet / Pour La Croix Parmi ses amis, beaucoup ont voté RN.

« Les jeunes ne lisent plus les programmes, ils regardent des vidéos de Bardella. Avant, ils se cachaient pour voter RN, désormais c’est devenu une fierté. » D’autres sont complètement désillusionnés. Abdel, qui profite de l’après-midi ensoleillé pour promener son chien, en fait partie. Le jeune homme de 23 ans a trouvé un emploi de peintre en rénovation en Suisse, et ne revient dans son Rhône natal que pour les vacances. Mais surtout pas pour voter. « Je n’y crois plus, c’est de la fumée et des miroirs

. Mes parents ont voté toute leur vie, ça n’a rien changé. » S’il devait glisser un bulletin dans l’urne, cet enfant d’immigrés voterait pour un programme qui « bénéficierait aux Français »,

avec des mesures comme le Frexit, la préférence nationale et les restrictions à l’immigration. Jordan Bardella?

« Il n’a pas plus de diplôme que moi ! Mais Marine Le Pen a de bonnes idées. De toute façon, je m’en fiche, je ne veux pas rester en France. »

« J’ai voté et revoté, ça n’a rien changé » A quelques arrêts de tramway, à Vaulx-en-Velin, le paysage change mais la résignation est la même. Dans cette banlieue lyonnaise où les moins de 25 ans représentent 40% de la population, la participation aux élections européennes a été de 34%, l’une des plus faibles de France. Dans ce groupe d’amis adossés à une boulangerie, certains s’étaient laissés tenter ces dernières années par La France insoumise, mais la plupart venaient alimenter les rangs de l’abstention.« Je suis sur le point de voter Le Pen aux législatives, car Macron nous promet la carotte depuis sept ans mais ici rien ne bouge », » déclare Mehdi*, 29 ans, qui s’est abstenu aux élections européennes. Pour lui et ses amis, tous fils d’immigrés nés en France, le pouvoir d’achat est l’une des principales préoccupations. « Mon père, dans les années 2000, gagnait 1 500 € par mois et nourrissait ses huit enfants,

il explique . Aujourd’hui, ma mère gagne 2 300 € avec quatre enfants à charge et elle n’arrive pas à s’en sortir. Ce n’est plus possible. » Teinté de complotisme, le discours est pessimiste, et le « retour au pays » fantasmé.

« J’ai voté et voté encore, ça n’a rien changé, ça a juste accéléré mon départ pour rentrer au Maroc »,résume Sélim*, 29 ans.

Esdras et Ismaël

. Elections législatives 2024 : face à l’extrême droite, une jeunesse dispersée France, Vaux en Velin, 18/06/2024. Portrait d’un jeune homme prénommé Ismael sur la commune de Vaux en Velin. Photographie d’Antoine Merlet. / Antoine Merlet / pour La Croix «J’aime Louis Boyard (député LFI du Val-de-Marne, NDLR),

il défend les jeunes qui peinent à trouver un logement ou un emploi. Il a ouvert les yeux de beaucoup d’entre nous. »

Esdras explique. Ismaël apprécie Jean-Luc Mélenchon, qu’il suit sur les réseaux. Si elles situent clairement certaines personnalités, la notion de parti est plus floue.

« Attendez, c’est quoi déjà le Rassemblement National ? Ah mais c’est Bardella ! Oh non, il est mort, c’est l’extrême droite. » Un quart de jeunes pour le Rassemblement National Le Rassemblement national est cependant en hausse chez les 18-24 ans, passant de 15% aux élections européennes de 2019 à 25% en 2024. A seulement 18 ans, Djany fait partie de ce quart d’électeurs : il avait hâte, pour sa première voter, glisser un bulletin de vote RN. Le jeune homme tatoué travaille dans le restaurant familial de Montluel, dans l’Ain, où il a grandi. Malgré le TER direct pour se rendre au centre de Lyon, il ne s’y rend quasiment jamais. « J’ai voté pour Bardella, comme tous mes amis, normal », dit-il fièrement. Le cuisinier avoue ne pas maîtriser le programme de la fête, mais reste sûr de lui.

« L’insécurité, l’économie… La France va à la dérive. Je veux voir du changement. » Lequel par exemple ?« Qu’il n’y ait plus de casseurs dans les manifestations, et moins de délinquance. »

Loan a observé sur le terrain cette hausse du vote RN chez les jeunes. Derrière le lot d’insultes qu’il reçoit sur les réseaux et lorsqu’il distribue des tracts, ce jeune militant RN ressent un intérêt certain. Déjà mobilisé lors de la campagne européenne, il s’engage désormais pleinement pour les élections législatives.

 » Parfois, quand on va au marché, je reste trois heures mais je ne distribue qu’une dizaine de tracts, parce que les gens veulent parler et comprendre. » La secousse du 9 juin

Parler et comprendre, Loan, 20 ans, aime ça, lui qui est passionné de politique depuis tout petit. « Et plus on s’intéresse, plus on se forge des convictions. » En 2023, cet étudiant en école de commerce passe sa carte RN, convaincu par les idées du parti en matière de sécurité, d’intégration des étrangers et de politique sociale, notamment en matière de pouvoir d’achat. Le RN, tout à droite ? « Les gens ont été traumatisés par Jean-Marie Le Pen, dont les propos ont stérilisé pendant quarante ans le débat sur l’insécurité et l’immigration, concède le jeune homme qui se dit en colère contre le fondateur du FN pour ses déclarations polémiques et ses provocations.

Mais je pense qu’il était visionnaire sur des sujets comme l’économie ou l’Europe fédérale. » L’emprunt n’est jamais contre le débat. « Tant qu’il y a des arguments. » Depuis le 9 juin, Élise parcourt les événements, lit toutes les émissions et récupère le plus d’informations possible. Avec un objectif précis.

« J’avais envie de crier ma colère aux électeurs RN, mais j’ai décidé de me former pour avoir la légitimité pour contrer leurs arguments. »

Pour elle, il y aura un avant et un après le 9 juin 2024.

«Je ne me suis jamais senti aussi engagé. »

Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

——Le pouvoir d’achat, premier déterminant du vote des jeunes Malgré un intérêt pour les thématiques environnementales et sociales,

les jeunes, comme l’ensemble des Français, placent le pouvoir d’achat comme la principale motivation de leur vote aux élections européennes (47% chez les 18-24 ans). Viennent ensuite la protection de l’environnement (43% parmi les jeunes, contre 27% dans la population générale) et l’immigration (34%, contre 43%). Dans les quatrième et sixième raisons,

« le niveau des inégalités sociales » (27 %) et la situation à Gaza (22 %) sont bien plus évoqués par les jeunes que par l’ensemble des Français (17 % et 6 %). Source : Enquête Ipsos « Comprendre le vote des Français » », 9 juin 2024.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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