Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, des violences quotidiennes opposent l’armée israélienne au Hezbollah, qui est intervenu pour soutenir son allié palestinien, à la frontière entre l’Etat hébreu et le Liban. Cette semaine, un pas a été franchi avec des frappes israéliennes plus profondes en territoire libanais et une augmentation du nombre de victimes. Face à cette escalade, le parti de Hassan Nasrallah reste « avec retenue », notent les analystes interrogés par France 24. En coulisses, les deux forces en présence se préparent à un affrontement plus intense.
Une nouvelle étape a été franchie ces derniers jours dans l’intensification des violences entre le Hezbollah libanais et l’armée israélienne, au point de faire craindre une guerre ouverte entre l’État hébreu et le mouvement politico-militaire chiite.
Depuis le début en octobre de la guerre entre Israël et le Hamas, allié palestinien du Hezbollah, les deux ennemis échangent quotidiennement des tirs à la frontière israélo-libanaise. Au moins 346 personnes ont été tuées au Liban – en majorité des combattants du Hezbollah, mais aussi au moins 68 civils – dans ces affrontements, selon un comptage réalisé par l’AFP le 27 mars. Côté israélien, selon l’armée, dix soldats et huit des civils ont été tués par des projectiles envoyés depuis le territoire libanais.
Outre le lourd bilan humain, ces violences ont également déplacé des milliers d’habitants au sud du Liban, mais aussi au nord d’Israël. « La situation est très tendue », commente sur France 24 le chercheur et politologue franco-libanais Ziad Majed, professeur et directeur du programme d’études sur le Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris. « Quelque 100 000 Libanais sont déplacés internes. Parfois, ils viennent ils reviennent, puis ils doivent repartir. »
Du côté israélien, les populations des localités voisines de la frontière ont également été mises à l’abri. « Le nord de la Galilée (région du nord d’Israël située à la frontière avec le Liban, ndlr) est devenu une sorte de ‘no-go zone’ pour les citoyens israéliens », explique Didier Leroy, spécialiste du Hezbollah libanais et chercheur. à l’Institut Royal de Défense de Belgique et à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
La « retenue stratégique » du Hezbollah
En réaction aux tirs du Hezbollah, qui ciblent principalement les positions militaires israéliennes et les localités proches de la frontière, Israël bombarde de plus en plus profondément le territoire libanais, comme le 24 mars à Baalbek, une ville de l’est du Liban, distante de près de 100 kilomètres de la frontière israélienne. .
L’État hébreu multiplie également les attaques ciblées contre des responsables du Hezbollah et du Hamas, comme celle survenue vendredi dans la région de Bazouriyé, au sud du Liban, où l’armée israélienne a annoncé avoir tué un officier supérieur de l’armée. du parti chiite. Le mouvement pro-iranien n’a pas immédiatement commenté cette attaque mais a indiqué avoir tiré dans la matinée sur des positions militaires israéliennes à la frontière entre les deux pays.
Si plusieurs responsables du Hezbollah ont affirmé que leurs combattants répondraient avec « plus d’intensité » et « de manière décisive à chaque attaque israélienne », pour l’instant, sur le terrain, la réponse du parti de Hassan Nasrallah reste mesurée.
« Les opérations menées par le Hezbollah sont marquées par une certaine retenue stratégique, respectant autant que possible les fameuses règles d’engagement – qui sont des règles tacites – de la ligne bleue (tracée par l’ONU entre le Liban et Israël, NDLR). depuis la fin de la guerre des 33 jours en 2006″, constate Didier Leroy. Le spécialiste note « beaucoup plus d’audace » de la part des Israéliens, qui « osent franchir les lignes rouges » avec des « frappes en profondeur ».
Pour le chercheur, l’escalade est principalement israélienne et le Hezbollah répond « toujours en dessous du seuil des lignes rouges à ne pas franchir, en restant avant tout dans une perspective qui consiste à cibler les infrastructures militaires au nord de la Galilée ».
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Les experts expliquent la relative modération des actions du « parti de Dieu » par la situation de crise économique, politique et sociale dans laquelle est plongé le Liban. « Il semble qu’il n’y ait aucun intérêt (pour le Hezbollah, ndlr) à entrer en guerre car cela ne ferait qu’aggraver la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays. Ce qui ne serait pas souhaitable pour le Hezbollah », a argué Olivier Passot, chercheur général et associé à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), début mars sur France 24.
« Les Israéliens ont la perception ou la conviction que le Hezbollah ne veut pas l’escalade. Et c’est sans doute cette perception qui leur donne une certaine confiance pour frapper au-delà de la zone frontalière, pour aller plus loin et s’engager dans une stratégie d’usure. Ils ont ont décidé de s’attaquer à des objectifs qu’ils avaient développés depuis des années, mais qu’ils s’étaient abstenus de frapper jusqu’alors », commente le général Olivier Passot.
Un probable réseau de grands tunnels
Mais si le Hezbollah continue de faire la sourde oreille aux menaces de son ennemi déclaré, se contentant de répondre a minima, dans l’ombre, le puissant allié de Téhéran cherche sans doute à « gagner du temps », prévient Didier Leroy. En coulisses, le mouvement politico-militaire « accélère le renforcement de ses infrastructures, y compris souterraines, et continue d’affiner toute sa logistique en vue d’une guerre ouverte ».
« Depuis 2006, il n’y a pas eu de conflit ouvert avec le Tsahal (l’armée israélienne, ndlr). Pour autant, le Hezbollah n’est pas resté les bras croisés. Son arsenal n’a cessé de s’étoffer et de devenir plus sophistiqué », indique Didier Leroy. S’il est compliqué d’avoir une idée précise de sa force de frappe, les estimations les plus crédibles, en recoupant les sources, font état de chars russes, de milliers de drones iraniens, de systèmes anti-aériens mobiles et de plus de 130 000 projectiles – roquettes et des missiles – à des distances plus ou moins longues, a déclaré en février Omri Brinner, spécialiste du Moyen-Orient à l’Equipe internationale pour l’étude de la sécurité (ITSS) de Vérone, à France 24, un collectif international d’experts sur les questions de sécurité internationale.
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L’armée israélienne estime que « 50 % des projectiles du Hezbollah ont une portée inférieure à 15 kilomètres (soit des roquettes et des obus, NDLR), 40 % peuvent toucher des cibles jusqu’à 30 kilomètres et seulement 5 à 10 % seraient à longue portée ». missiles », selon Omri Brinner. De quoi, en théorie, toucher n’importe quelle cible civile ou militaire depuis le Liban jusqu’à Eilat, station balnéaire du sud d’Israël. Autant de données qui inquiètent l’État hébreu.
« Et vu l’ampleur de ce qui a été découvert dans la bande de Gaza, on peut soupçonner qu’il existe aussi une véritable ville souterraine qui s’est formée sous le territoire libanais avec un réseau de grands tunnels », prévient Didier Leroy. Les experts craignent un réseau souterrain à l’échelle du Liban avec des tunnels traversant tout le pays jusqu’en aval de la Galilée, reliant également le Sud-Liban à la banlieue sud de Beyrouth, et probablement certaines localités de la plaine de la Bekaa jusqu’à trouver une sortie du côté syrien de la Bekaa. Frontière syro-libanaise.
Un front israélo-libanais « inévitable » ?
L’ONU et sa force au Liban – la FINUL, créée en 1978 – sont préoccupées par l’escalade de ces derniers jours et les attaques contre la ligne bleue. Ils ont appelé à une désescalade immédiate à la frontière entre le Liban et Israël.
De son côté, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, cité par L’Orient-Le Jour après les opérations militaires de mercredi qui ont fait 16 morts Libanais dans des échanges de tirs à la frontière, a prévenu que « les profonds territoires libanais se transformeraient en un « Lorsque l’armée (israélienne) recevra des instructions des autorités politiques pour mener une opération militaire au Liban, elle les respectera », a-t-il ajouté.
Pour les experts interrogés par France 24, tout porte à croire qu’un affrontement entre l’armée israélienne et le Hezbollah est « inévitable », comme l’estime Didier Leroy. La perspective israélienne ne consiste pas à multiplier les fronts, mais elle craint qu’une fois la campagne israélienne terminée suite à l’invasion de Rafah, le front nord, à la frontière libanaise, devienne la priorité de l’état-major. Israélien. « Et là, nous aurons une guerre d’une dimension bien plus grande compte tenu de la robustesse du Hezbollah par rapport à ce que peut être aujourd’hui la composante armée du Hamas », prévient le spécialiste.
« Les envoyés internationaux au Liban – français et américains – disent au gouvernement libanais actuel qu’Israël pourrait préparer une attaque majeure contre le Liban si les négociations (indirectes via l’ONU sur la frontière libano-israélienne, ndlr) n’avancent pas », prévient Ziad Majed. Le chercheur fait référence aux propos tenus par le chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné lors de sa visite à Beyrouth début février. « Il nous a prévenus que les Israéliens pourraient déclencher une guerre (…) pour ramener chez eux » les dizaines de milliers d’habitants évacués des zones proches de la frontière avec le Liban, a déclaré le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, à l’issue de cette rencontre. .
Pendant ce temps, des deux côtés, les forces en présence testent leurs armes, notamment le dispositif d’interception israélien Iron Dome, que le Hezbollah tente de saper en tirant des roquettes en salves. « Le Dôme de Fer coûte très cher et son système de détection de projectiles risque d’être noyé par des tirs simultanés. Le Hezbollah tente d’utiliser ces incendies comme laboratoire temporaire pour voir comment il réagit en fonction des conditions climatiques, du terrain… En revanche, à chaque attaque, Tsahal identifie des rampes de lancement du Hezbollah », explique Didier Leroy.
Israël tente également d’accélérer le déploiement d’un nouveau système de défense antiaérienne, le « Iron Beam », qui tirera des faisceaux laser d’une portée de dix kilomètres et d’une puissance de 100 kW capables de pulvériser les missiles adverses. Une technologie sur laquelle travaille le ministère israélien de la Défense et un système bien moins coûteux que les missiles intercepteurs Iron Dome, dont chaque unité coûte plusieurs dizaines de milliers de dollars.