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le 21 avril 2002, ils ont manifesté contre Jean-Marie Le Pen, ils soutiennent aujourd’hui le RN

NARRATIF – Il y a vingt-deux ans, la peur s’emparait de la grande majorité des électeurs face à l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour. Toutefois, certains manifestants de l’époque ont depuis rejoint les rangs du Rassemblement national.

« Quand j’ai vu son visage apparaître à la télévision à 20 heures, j’ai tout de suite eu les larmes aux yeux. Quand j’y pense aujourd’hui, j’entends encore les paroles de la chanson que Saez a écrite pour décrire ce que nous avons vécu : ‘20% pour l’horreur’… Je n’oublierai jamais ce moment. ». C’était il y a 22 ans : le 21 avril 2002, contre presque tous les sondages, l’impensable se produisait : Jean-Marie Le Pen devenait finaliste de l’élection présidentielle. Les mots d’Aleksandar Nikolic pour décrire les émotions ressenties ce soir-là pourraient être ceux de bien d’autres : la majeure partie du pays a partagé cette soirée, et dans les jours qui ont suivi, avec une inquiétude et une ferveur qui donneront lieu à de multiples et impressionnantes manifestations pour « bloquer la haine ».

Contrairement probablement à beaucoup d’autres manifestants qui scandaient avec lui ces jours-là, « F pour fasciste, N pour nazi »Le parcours politique d’Aleksandar Nikolic a encore une spécificité… L’homme de 37 ans est aujourd’hui président du groupe RN au conseil régional Centre-Val de Loire.

Un basculement spectaculaire, et certes insolite… mais loin d’être isolé malgré tout. Dans La France après. Table politique (Seuil, 2023), Jérôme Fourquet consacre un sous-chapitre à l’évolution du vote FN/RN au sein des cohortes générationnelles. Titré « La jeunesse de 2002 ne dérange plus le Front National », la manifestation est implacable : seuls 7 % des 18-24 ans ont voté pour Jean-Marie Le Pen au second tour de 2002 – c’était la tranche d’âge la plus réticente à voter FN. Vingt ans plus tard, 47 % des électeurs de cette génération (aujourd’hui âgée de 38 à 44 ans) ont voté pour Marine Le Pen au second tour de 2022.

Tableau montrant l’évolution du vote RN, extrait de « La France d’après ».
Jérôme Fourquet, éditions du Seuil

Certes, Aleksandar Nikolic n’a pas voté en 2002 : à 15 ans, il était encore lycéen. Il se souvient cependant de l’ambiance qui régnait dans les salles de classe à l’époque : « Il n’était plus possible de continuer à enseigner dans ces conditions. Aux professeurs qui voulaient quand même qu’on aille au lycée, j’ai dit : vous êtes des fascistes ! L’élu régional, né d’un père serbe et d’une mère portugaise arrivés tous deux en France dans les années 1960, est un fils d’immigrés. Ses parents travaillent dans des entreprises de nettoyage, le père est engagé dans l’extrême gauche, ils ont même été un temps sans papiers… « On pensait que si Jean-Marie Le Pen était élu, on serait obligé de quitter la France », se souvient Aleksandar Nikolic. Avec les lycéens de sa petite ville des Yvelines, il organise les premières manifestations ; lorsque la ferveur grandit dans le pays, il rejoint les grands cortèges parisiens.

2005, 2015, les années charnières

Alors, qu’est-ce qui a changé en vingt ans ? « L’année 2005 a été charnière »dit l’élu RN. « Le FN et l’extrême gauche se sont en quelque sorte unis pour le non au référendum. Pour moi, c’était un premier changement, car nous étions des alliés indirects. Et puis, il y a eu les émeutes : pour moi, c’était un choc électrique, je ne me reconnaissais pas dans cette France immigrée qui a tout brûlé. ». L’année suivante, alors qu’il manifeste contre le CPE aux côtés de jeunes de gauche des quartiers huppés, des bandes d’adolescents de Seine-Saint-Denis viennent attaquer et extorquer les manifestants. « J’ai aussi vu ce genre de chose sur la ligne Transilien qui va de Paris à Mantes-la-Jolie »il ajoute.

S’ensuit une chaîne de phénomènes distincts, qu’il finit par relier entre eux. Au sein du PCF, il s’insurge contre la montée d’un « racisme »s’oppose à ceux qui prônent la discrimination positive. « En 2007, le FN faisait campagne pour l’assimilation, sur les affiches on lisait ‘ils ont tout cassé’, c’était de plus en plus ce que je pensais ». Il lit Jean Sévillia ; en 2012, Marine Le Pen succède à son père ; et dans les années qui ont suivi, il a fini par voter pour le FN, adhérer, s’impliquer, faire campagne, se faire élire.

Pour d’autres, 2015 est l’année charnière. Comme cet avocat rennais à la retraite, qui préfère garder l’anonymat. Née dans une famille radical-socialiste, elle « bouffée du curé tous les dimanches » depuis son enfance et considère encore aujourd’hui que la laïcité est l’un des combats les plus importants à mener. Sa mère, très active au PS, l’initie à la vie civique et l’emmène assister au décompte des voix. Le jour de l’élection de Mitterrand, mère et fille se rendent à la mairie de Laval pour célébrer la victoire… et rebroussent vite chemin lorsqu’elles entendent chanter « L’international » : c’était leur ligne rouge.

En 2002, cette dame a voté Chevènement dès le premier tour. L’affiche du second tour l’a choqué : « mes parents ont vécu la Seconde Guerre mondiale, cela a réactivé cette idée dans nos esprits ». Elle manifeste contre le FN, vote Chirac à contrecœur.

Hollande et Sarkozy déçus

Elle a toujours été impliquée dans les quartiers populaires, prenant même des cours d’arabe. Mais dans les années qui suivirent, elle considéra que « la gauche abandonne peu à peu les prolos, sous l’influence de la ligne Terra Nova ». L’électrochoc, ce seront les attentats de 2015, Charlie, Hyper Kosher, le Bataclan. « La montée de l’islamisme, et la faiblesse de Hollande qui n’a rien fait… » Pas encore assez pour qu’elle vote Marine Le Pen en 2017, mais assez pour qu’elle ne vote pas Macron. En 2022, elle franchit le pas. « Marcel Gauchet disait que Marine Le Pen aujourd’hui, c’était le programme RPR des années 1990… Cela m’a complètement convaincu ». Mais son engagement contre l’extrême droite ? « Ce n’est plus l’extrême droite… Aujourd’hui, le RN n’est qu’une ligne dure, très dure, mais pas extrême. Et puis, l’islamisme me fait plus peur aujourd’hui que le FN.»

En revanche, elle n’aurait jamais voté pour Jean-Marie Le Pen. « Son homophobie et son antisémitisme m’ont mis en colère. Marine Le Pen, au moins, ne remet pas en question la Shoah.» Elle reste gênée par l’héritage familial, préférerait que Marine Le Pen «être inéligible en 2027»de ne plus avoir à glisser un bulletin de vote au nom d’un membre de la famille Le Pen.

Si elle ne s’engage pas au sein du RN, d’autres encore qui ont manifesté en 2002 le sont, et jusqu’aux plus hautes sphères du parti. Entre les deux tours de 2002, les manifestations anti-FN incluaient le sénateur RN Christopher Szczurek, ou encore la députée RN Mathilde Paris.

On demande à cette dernière si elle regrette d’avoir participé aux cortèges. « J’ai marché contre le fascisme et le nazisme… Je n’ai pas renoncé à cet engagement politique ! » Lycéenne, elle-même, à l’époque, elle restait fermement hostile aux propos « révisionnistes » de Jean-Marie Le Pen, et est l’un des rares élus RN à dénoncer l’antisémitisme du fondateur du parti. Convaincu par le « nettoyage » opéré par « Marine Le Pen »elle prétend avoir «Je voulais voir à quoi ça ressemblait à l’intérieur» suivant « la déception des cinq années Sarko »pour qui elle a voté en 2007. « Si j’avais entendu les moindres propos racistes ou antisémites au sein du FN lors de mon arrivée en 2011, je n’aurais pas choisi d’être candidat sous la bannière du parti !

Une mobilisation « trop peu politique »

Si elles restent individuelles, chacune à leur manière ces trajectoires décrivent au moins un fait collectif : la désintégration de la génération du 21 avril 2002, l’échec de cette mobilisation colossale (un million de personnes dans les rues le 1er mai 2002) pour donner naissance à un véritable mouvement politique.

« C’était une mobilisation morale, et donc trop peu politique » analyse Jean-Yves Camus, membre de la Fondation Jean Jaurès et spécialiste de l’extrême droite. « Nous n’avions pas pensé à l’époque à répondre à la montée du vote FN, qui avait pourtant été continue et progressive depuis la création du parti. On voulait seulement crier au danger, en répétant qu’il était aux portes du pouvoir, ce qui était profondément faux : arithmétiquement, Jean-Marie Le Pen n’avait aucune chance d’être élu. Dès qu’il a été battu au second tour, nous nous sommes démobilisés immédiatement, car le mouvement n’avait pas prévu de se poursuivre dans le temps… Et les causes qui ont provoqué la montée du FN, elles, n’ont pas disparu ».

Et pour enfoncer le clou : « Nous ne faisons pas de politique avec des épouvantails. F pour fasciste, N pour nazi… C’était le degré zéro de la pensée politique !

Cammile Bussière

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