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Exposée aux pesticides pendant sa grossesse, une fleuriste se bat pour la mémoire de sa fille décédée

« Cette construction est un projet que nous avons lancé à cinq. Mais quand nous avons emménagé, nous n’étions que quatre. Cela fait presque un an que Laure et François Marivain ont emménagé dans leur nouvelle maison de la région nantaise, avec leur fils Evan, dix-huit ans, et leur petite-fille, Perle, neuf ans. Une nouvelle histoire qui s’écrit avec un vide au milieu, puisque la sœur d’Evan et Perle, Emmy, n’aura jamais pu profiter de la pièce dont elle avait choisi le papier peint. Floral.

Emmy est décédée en mars 2022, avant de pouvoir fêter son douzième anniversaire. La fin d’un long combat contre la maladie pour elle, le début d’un autre pour ses parents. Car avant de mourir, Emmy a fait promettre à sa mère de se battre pour que «tout le monde connaît la vérité ». Un instant »hors du temps» pour Laura. « Elle m’a dit : ‘Maman, tu dois te battre, parce qu’on n’a pas le droit de faire ça aux enfants. Nous n’avons pas le droit de les empoisonner. Je lui ai donc promis que je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour prouver le lien entre sa maladie et mon métier de fleuriste.

Une complicité que la jeune femme, passionnée depuis longtemps par son métier, a mis des années à nouer. Lorsqu’elle tombe enceinte d’Emmy fin 2009, Laure Marivain travaille comme représentante en fleurs chez un grossiste, après plusieurs années en boutique, chez un artisan fleuriste. Elle réceptionne les chariots de fleurs et feuillages, installe les bacs dans les entrepôts, charge tous les plants dans des camions pour les livrer aux détaillants. Elle s’estime chanceuse de travailler au contact des fleurs. Mais dès le début de sa grossesse, « Les choses se compliquent. Je prenais très peu de poids, mon bébé aussi. » La jeune femme a été étroitement surveillée et rapidement placée en arrêt maladie. L’accouchement est également difficile.

Placenta tout noir

« Quand Emmy est née, elle ne pleurait pas. Elle était toute violette. L’anesthésiste nous a dit qu’il y avait un problème avec le placenta, qu’il était carbonisé, tout noir. Et puis ses tests n’étaient pas bons. Une sage-femme même m’a demandé si j’avais pris des drogues pendant ma grossesse.« Mais Laure ne prenait pas de drogue. Elle n’a jamais fumé, et ne buvait pas d’alcool. Les seuls produits toxiques avec lesquels elle a été en contact pendant sa grossesse se trouvaient sur les plantes qu’elle manipulait tout au long de la journée, sans savoir qu’ils pouvaient présenter un risque. » pour sa santé et celle de l’enfant qu’elle portait.

A la maternité, Emmy finit par prendre du poids, et ils la laissent rentrer chez elle. Il croît, tout en restant sur une courbe basse. « C’était une petite fille dynamique, elle faisait toujours la girouettecontinue Laure. Mais à trois ans, elle est allée à l’école pour la première fois et elle a commencé à se plaindre de douleurs, d’abord au coccyx, puis aux genoux. » Des douleurs osseuses qui la réveillent la nuit. La prof raconte aux parents qu’Emmy s’endort en classe, qu’elle est très fatiguée. « Notre petite fille, qui était si vivante, était en train de mourir. »

En janvier 2015, Emmy est examinée aux urgences du CHU de Nantes : scintigraphie osseuse et radiographies. A cette époque, Laure était déjà enceinte de Perle. En fin d’après-midi, elle se repose dans un box lorsque son mari accompagne Emmy pour un examen final. « Quand il est revenu, il m’a dit : ‘C’est bizarre, j’ai vu arriver plusieurs médecins.’ Et puis nous avons commencé à penser, wow, ça tourne au vinaigre.

Des fleurs pas si inoffensives

Laure et François sont vus par un médecin oncologue pédiatrique. « Nous ne savions même pas ce que signifiait l’oncologie. Mais on l’a compris très vite. On nous a dit qu’il fallait s’attendre à un cancer majeur. Ma première réaction a été de demander aux médecins : comment est-il possible d’avoir un cancer à quatre ans ? On nous a juste dit : c’est comme ça, c’est la faute de la malchance. Mais aujourd’hui, je sais que cela n’a rien à voir avec la malchance. »

Quelques jours plus tard, le diagnostic était confirmé. Emmy souffre de leucémie lymphoblastique aiguë B. Une longue bataille commence. Emmy est régulièrement hospitalisée. Chimiothérapie, opérations, greffes. Emmy perd ses cheveux. Pendant sept ans, elle s’est battue contre la maladie et contre la douleur qui ne l’a jamais vraiment quittée.

Les périodes de rémission sont de courte durée. Chaque fois qu’elle arrêtait le traitement, Emmy rechutait. En 2018. 2019. 2021. « Au moment de sa troisième rechute, j’ai commencé à me renseigner, à creuser, parce que je sentais que ce n’était pas normal, et j’ai découvert que mon métier avait pu provoquer le cancer d’Emmy.« Laure mène sa propre enquête, pour tenter de comprendre. Elle découvre que les roses qu’elle a semées, les bouquets de freesias dans lesquels elle aimait plonger son nez, les fleurs exotiques qu’elle manipulait après avoir mangé son pain au chocolat du matin, toutes ces fleurs qu’elle aimait tant, n’étaient peut-être pas si inoffensifs.

43 pesticides différents

« J’ai commencé à chercher des informations sur les fleurs, d’où elles venaient, comment elles avaient été traitéesLa mère d’Emmy témoigne en outre. Et j’ai découvert une situation consternante. J’ai réalisé que sur un bouquet, il pouvait y avoir 43 pesticides différents. J’ai compris que les fleurs étaient des tueuses invisibles.

Pour la jeune femme, c’est un choc. « Personne ne m’a jamais dit que les fleurs avec lesquelles je travaillais avaient été traitées avec des produits toxiques, notamment avec des pesticides interdits qui peuvent nuire à la santé. Comment aurais-je pu imaginer une chose pareille ? Personne ne m’a jamais dit de me laver les mains lorsque je mangeais, que je me grattais le visage ou que je me mouchais. Pour moi, quand quelque chose est dangereux, on prévient, on informe !

Laure entre alors en contact avec l’association Phytovictimesdécouvert grâce à ses recherches sur Internet. Cette association, qui vient en aide aux personnes souffrant de maladies liées aux pesticides, leur conseille de s’adresser à la Caisse d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP), créée en 2020 par la loi de financement de la sécurité sociale, afin qu’elle soit reconnue. le lien entre la maladie d’Emmy et son exposition prénatale aux pesticides. En février 2022, après avoir rassemblé tous les documents nécessaires, Laure dépose le dossier au Fonds, alors que l’état de santé de la petite fille se dégrade considérablement. Emmy est hospitalisée en détresse respiratoire. Elle est décédée le 12 mars 2022, à l’âge de onze ans.

Légende : Emmy est décédée à 11 ans des suites d'une exposition prénatale à des pesticides.
Légende : Emmy est décédée à 11 ans des suites d’une exposition prénatale à des pesticides. © Radio-France
Marie DUPIN

En juillet 2023, un gestionnaire du Fonds téléphone à Laure pour lui dire que la commission chargée d’examiner le dossier d’Emmy, composée de chercheurs et de médecins, a pris sa décision. « Il m’a dit qu’ils avaient unanimement reconnu le lien de causalité entre la mort d’Emmy et mon métier de fleuriste. Ce jour-là, la culpabilité était énorme. Je me suis dit : comment ai-je pu être si naïve ! C’est moi qui ai empoisonné mon « 

Plus de risques pour les fleuristes que pour les agriculteurs

C’est cette négligence que les parents d’Emmy veulent dénoncer aujourd’hui, à travers leur témoignage. Car le problème des résidus de pesticides sur les fleurs coupées est déjà bien documenté. Une étude scientifique belge a ainsi pu démontrer le risque encouru par les fleuristes. Cette étude montre que les fleuristes se retrouvent exposés à des niveaux de pesticides bien supérieurs aux niveaux considérés comme sans danger pour les travailleurs. Pour le prouver, des scientifiques belges ont prélevé au total 42 échantillons d’urine auprès de professionnels et ont constitué un groupe témoin.

« Ce n’est pas un risque potentiel. C’est un risque avéré», explique le professeur Bruno Schiffers, professeur honoraire à l’Université de Liège, qui a dirigé cette étude. « Nous avons pu prouver que les pesticides traversaient la barrière cutanée et pénétraient dans l’organisme. Le risque pour les fleuristes est encore plus grand que celui encouru par les agriculteurs, car ils sont exposés à un cocktail de nombreux pesticides, avec un nombre très élevé de substances sur chaque bouquet, dont des substances interdites en Europe. Cependant, ils ne sont pas informés. Ils ne portent pas d’équipement de protection. Ils boivent et mangent pendant qu’ils travaillent, sans se rendre compte qu’ils manipulent des produits toxiques en grande quantité et à forte concentration. Et contrairement aux agriculteurs, ils sont exposés six jours par semaine, toute la journée, toute l’année !conclut le scientifique.

Un manque de réglementation en Europe

Contrairement aux fruits et légumes, il n’existe pas de réglementation européenne pour les fleurs fixant des limites maximales de résidus. Il n’y a d’ailleurs aucun contrôle sur ces résidus, notamment dans les fleurs importées, qui peuvent pourtant contenir des pesticides dont l’usage est interdit en Europe, et en grande quantité. 85 % des fleurs vendues en France sont produites à l’étranger, notamment en Afrique de l’Est et en Colombie. « Ces fleurs sont des tueuses potentielles, et personne ne prévient ni les consommateurs ni les fleuristes, qui sont les premiers exposés »se désole Laure.

Le problème est pourtant parfaitement connu des autorités françaises, comme le montre une réponse écrite de novembre 2022, du ministère français de l’Agriculture, à la question d’un sénateur concernant la « toxicité des roses vendues en France ». Le ministère de l’Agriculture admet ainsi que « depuis plusieurs années, des études montrent la présence régulière, sur les plantes ornementales, de résidus de substances, dont certaines ne sont pas autorisées dans l’UE, à des niveaux parfois élevés.». Une situation qui « entraîne des risques pour la sécurité des professionnels manipulant des végétaux ».

Un risque avéré pour les travailleurs, mais aucune réglementation pour les protéger. Comme nous l’a confirmé Pan-Europe, un réseau d’ONG européennes qui promeut l’adoption de solutions alternatives à l’usage des pesticides, et qui a contacté la Commission européenne à ce sujet. « Dans sa lettre de réponse, datée d’avril 2022, la Commission nous explique avoir lancé une étude pour faire le point sur la situation en Europe.explique le réseau d’ONG. Elle nous confirme qu’aucune disposition d’étiquetage, ni aucune mesure particulière d’atténuation des risques n’est actuellement en place dans les États membres concernant les résidus de pesticides dans les fleurs, et elle précise qu’aucun État n’a demandé d’élaborer une législation à ce sujet.

Défier les dirigeants politiques

Un tabou qui doit cesser pour Laure Marivain : « C’est simple. Tout le monde le sait, mais personne ne fait rien. Et pendant ce temps, il y a des familles qui sont condamnées à perpétuité. Parce que personne ne nous rendra jamais notre fille. Je ne travaille plus au contact des fleurs, mais je suis toujours en contact avec les artisans. Je ne veux surtout pas les pointer du doigt, mais au contraire les protéger.»

Avec son mari, Laure a saisi la cour d’appel de Rennes pour contester la proposition d’indemnisation de la FIVP. Car selon l’avocat de la famille, Maître François Lafforgue, «Le Fonds a conservé le lien entre le décès d’Emmy et sa mère, mais son offre d’indemnisation se limite aux parents. Cette enfant a beaucoup souffert, mais on nie le préjudice qu’elle a subi, car elle est décédée.» L’association Phytovictimes appelle à manifester devant le tribunal ce mercredi 9 octobre 2024 «pour soutenir la famille dans son combat»et pour « interpeller les dirigeants politiques et le grand public sur cette question largement ignorée ».

Contactés, le ministère de l’Agriculture et la fédération des fleuristes n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

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Cammile Bussière

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