Explosion des chiffres du cancer du pancréas : « Il y a toujours de l’espoir » pour Fabienne Portales, oncologue à l’ICM-Val d’Aurelle
En progression vertigineuse, + 300%, avec 16 000 nouveaux cas diagnostiqués en 2023, le cancer du pancréas, comme de nombreuses pathologies, connaît sa journée mondiale de sensibilisation, le 18 novembre. Les chiffres font peur mais il y a aussi des raisons d’espérer et Dr Fabienne Portales, oncologue digestif à l’ICM Val-d’Aurelle à Montpellier, explique comment les patients sont pris en charge, sans céder au sort.
Fabienne Portales, oncologue digestif, spécialiste du cancer du pancréas, vient d’être élue présidente de la Commission médicale de l’établissement de l’ICM, elle est la représentante des médecins. Après des études de pharmacie, elle s’est orientée vers la médecine parce que« il y avait un manque d’humanité ».
Les chiffres du cancer du pancréas s’envolent, 16 000 nouveaux cas en 2023, que signifient-ils ?
En effet, les chiffres sont là, + 300% des cas, et je vais parler d’adénocarcinome, car c’est le cancer le plus fréquent, dans 90% des cas (les tumeurs endocrines du pancréas sont très différentes, avec un bien meilleur pronostic) . L’incidence est en nette augmentation, les patients sont de plus en plus jeunes, les femmes sont en première ligne, avec une augmentation de + 3,3 % par an, contre + 2,3 % pour les hommes.
Il s’agit d’un problème de santé publique très préoccupant.
Une grande partie de cette augmentation s’explique par le vieillissement de la population, une autre par l’augmentation de la population, mais on ne peut pas atteindre + 300%, il reste + 130% de cas sans causes explicables. Il faut mieux comprendre les facteurs de risque et nous n’avons pas attendu le plan cancer pour faire de la lutte contre le cancer du pancréas notre priorité.
Quel est le facteur de risque majeur ?
Le seul qui prédomine vraiment est le tabac. Mais il y a aussi d’autres problèmes, comme la pancréatite calcifiante chronique. L’obésité et le diabète sont également évoqués, mais on ne sait pas s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence. Les patients atteints d’un cancer deviennent souvent diabétiques. Et nous ne savons pas ce qu’il advient de la consommation de viande.
Enfin, 10 % des patients présentent une mutation génétique qui augmente le risque. Nous envoyons consulter en conseil génétique toutes les personnes de moins de 60 ans atteintes d’un cancer du pancréas et qui ont, dans leurs ancêtres, soit un cancer du sein, un cancer de l’estomac ou un mélanome.
C’est un cancer qui a encore un mauvais pronostic…
La survie à cinq ans, tous stades confondus, est de 7 % en moyenne. Mais si le cancer est opérable, la survie à cinq ans est de 20 %, soit une personne sur cinq. Il y a toujours de l’espoir, il ne faut pas désespérer. Cette année, une publication scientifique présentée au sommet mondial contre le cancer, Asco, à Chicago, a montré l’intérêt de la séquence complète chirurgie + chimiothérapie avec Folfirinox pendant six mois. Et j’insiste sur cette durée de six mois. La survie médiane est passée de 22 mois à 54,5 mois.
« Avec Folfirinox, le taux de réponse au traitement est passé de 8 % à 30 % »
Est-ce la première fois que nous obtenons ce type de résultats ?
Oui. Si on regarde en arrière, depuis 1985, on n’avait que le Gemzar, avec la gemcitabine comme molécule, en chimiothérapie. Nous avions une durée médiane de survie de 6,5 mois pour les cancers métastatiques. Il faudra attendre 2011 pour que le Folfirinox, qui associe trois molécules, l’oxaliplatine, l’irinotécan et le 5-FU (fluorouracile), redonne espoir : le taux de réponse au traitement passe de 8 % à 30 %. %. La particularité du cancer du pancréas est qu’il existe une chimio-résistance importante, une « armure » empêchant l’accès des médicaments à la tumeur. La radiothérapie ciblée a également fait de nombreux progrès.
Ce qui est difficile avec le cancer du pancréas, c’est son atteinte multiviscérale, et le fait qu’il soit souvent détecté tardivement car les symptômes, perte de poids, douleurs, maux de dos, peuvent faire penser à d’autres pathologies, lumbago, pathologies psychosomatiques… Malheureusement, il y a encore souvent des erreurs de diagnostic. Avant d’avoir éliminé toutes les causes d’une plainte dans une situation de lombalgie très douloureuse, rien ne nous empêche de faire un scanner qui éliminera la possibilité d’un cancer. Outre les tests génétiques, des analyses de sang, actuellement à l’étude, devraient permettre une détection plus précoce.
L’immunothérapie ne fonctionne pas pour le cancer du pancréas ?
Non.
« Je leur dis qu’ils doivent oublier tout ce qu’ils voient sur internet »
Pour vous, la prise en charge, et la réussite du traitement, ne dépendent pas uniquement de la chimie…
Il est important pour moi d’être dans une structure qui, en plus de son activité de recherche, prend en charge de manière globale le patient. Travailler en équipe est la clé de tout. C’est important dans un contexte où le système de santé se dégrade. Nous avons remarqué, par exemple, que nous avons plus de morbidité lorsque nous avons un patient qui n’est pas soutenu nutritionnellement. Des études scientifiques sont également en cours sur la pertinence d’adapter les doses de chimiothérapie à la masse maigre du patient ; les premiers résultats montrent que l’on gagne en efficacité, avec moins de toxicité.
Si nous accompagnons la détérioration physique et mentale du patient, nous sommes plus efficaces. Et les soins palliatifs, caricaturés comme un accompagnement en fin de vie, permettent de donner plus de temps au patient et d’être plus réactif. Une étude ancienne montre que si on met en place des soins de support (NDLR : psychologue, nutritionniste, kinésithérapeute, sport adapté, etc.) on peut améliorer la survie du patient.
Dans vos consultations, vous dites que vous « déconstruisez » ce qu’ils imaginent sur le cancer du pancréas…
Je leur dis qu’il faut oublier tout ce qu’ils voient sur internet, et tout ce que peuvent leur dire les gens qui ne sont pas médecins, car ils ne sont pas un numéro mais un être humain, et qu’ensemble, nous combattrons cette maladie où nous avons fait progrès. Si je leur propose un traitement, j’y crois.
Et vous avez des histoires qui vous rendent optimiste.
Oui ! Cette semaine lors de ma consultation, j’ai vu un patient qui avait un cancer du pancréas avec métastases hépatiques, qui est toujours en vie trois ans plus tard, qui se porte bien. J’ai un patient de 87 ans qui a été opéré il y a deux ans. Je pense aussi à un patient inclus dans un essai thérapeutique, que nous continuons à soigner. Ce sont tous des résultats encourageants.
Les pourcentages sont utilisés pour adapter nos stratégies thérapeutiques. Au niveau individuel, cela ne veut rien dire.