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Expérience perçue des inondations : impact sur le risque, l’adaptation et la protection


La fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les fortes pluies, les sécheresses et les tempêtes, augmentent à l’échelle mondiale, mettant en danger les sociétés et les infrastructures du monde entier (1). Ces évolutions exigent des mesures d’adaptation efficaces et des moyens de renforcer la résilience sociétale. Par conséquent, il est nécessaire de comprendre comment les gens perçoivent et réagissent aux catastrophes naturelles. Sachant que la fréquence de tels événements est susceptible de changer à l’avenir, il est évident qu’il est également nécessaire de mieux comprendre comment ce changement de fréquence, le comportement de protection et la résilience sociétale sont liés.

Pour introduire ce qui précède, notre étude établit un lien entre l’expérience fréquente des inondations et la perception du risque d’inondation, l’évaluation de l’adaptation ressentie et le comportement protecteur. De plus, nous avons ajouté au modèle une mesure affective de l’expérience des inondations : le sentiment d’impuissance ressenti lors de la dernière inondation, défini comme une expérience de perte de contrôle (voir Fig. 1, 2).

Expérience perçue des inondations : impact sur le risque, l’adaptation et la protection

Fig.1 – Version simplifiée du modèle permettant d’analyser les relations entre les inondations fréquentes et l’expérience de perte de contrôle, la perception du risque d’inondation, l’évaluation des moyens d’adaptation et le comportement protecteur.

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Fig. 2 – Description des variables et des construits qui font partie du modèle.

Les mesures de protection que nous avons examinées consistent à mettre en œuvre une adaptation au niveau du bâtiment pour empêcher l’eau de pénétrer dans la maison, à stocker les biens importants en toute sécurité pour les protéger contre les dommages et à souscrire une assurance pour être protégé financièrement.

Les données utilisées ont été collectées dans le cadre d’un projet du Centre Helmholtz de recherche environnementale (UFZ, Leipzig) en 2020 et 2021 (3). Avec l’aide de nombreux étudiants et assistants de recherche, des questionnaires ont été distribués aux ménages privés et collectés quelques semaines plus tard. Grâce à cet effort, l’équipe a collecté des données auprès de plus de 2 200 habitants du Land de Saxe (Allemagne, voir fig. 3).

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Fig. 3 – L’État fédéral de Saxe, les districts étudiés, les principaux fleuves et les plaines inondables désignées ; créé avec ArcGIS, sources des couches : districts de Saxe (4), grands fleuves (5), plaines inondables désignées (6).

Les multiples significations de l’expérience : de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les expériences fréquentes d’inondation et de perte de contrôle ?

Au cours de l’élaboration de l’étude et de l’examen de la littérature existante, nous avons découvert un large éventail de définitions utilisées par les chercheurs pour décrire l’expérience des inondations. Certains l’ont définie comme le fait d’être touché au moins une fois ou jamais, de faire face à des pertes financières, d’être indirectement touché par la couverture médiatique ou les membres de la famille, de subir des perturbations des infrastructures publiques ou de rencontrer un niveau d’eau spécifique dans la maison. Seules quelques études ont examiné le nombre d’inondations que les gens ont subies, tenant ainsi compte de l’exposition chronique.

C’est ici que notre étude entre en jeu. Nous définissons l’expérience comme le nombre perçu d’inondations qu’une personne a subies. De plus, nous avons introduit une mesure psychologique – l’expérience de perte de contrôle – qui capture le sentiment d’impuissance des individus lors de leur dernière inondation. Nous avons émis l’hypothèse que l’impact de la fréquence vécue sur la perception du risque, l’évaluation de l’adaptation et la motivation à la protection pourrait être influencé par la réponse émotionnelle. En d’autres termes, si une personne a vécu et géré trois inondations avec succès, elle pourrait percevoir le risque d’inondation comme moins grave qu’une personne qui a vécu le même nombre d’inondations mais s’est sentie dépassée par la gestion de ces inondations.

Rendre le danger visible et réaliste : la relation entre l’expérience des inondations, la perception du risque et le comportement protecteur

Nous avons constaté que les personnes qui ont déclaré avoir vécu des inondations plus fréquemment sont plus susceptibles de percevoir les inondations comme une menace, de craindre de futures inondations et de s’attendre à ce qu’elles soient graves. Il en va de même pour les personnes qui ont déclaré avoir perdu le contrôle de leur situation lors de la dernière inondation.

« (…) les expériences passées sont étiquetées avec l’affect et (…) les gens se souviennent automatiquement de ces associations affectives et s’appuient sur elles pour juger un risque futur (…) »

– Demuth et al. (2016)

Que nous apprennent ces résultats sur le lien entre l’évolution de la fréquence des inondations et le comportement de protection des populations ?

Nous avons constaté que les personnes ayant déclaré avoir été victimes d’inondations sont plus susceptibles de prendre des mesures de protection. Cela pourrait s’expliquer en partie par la perception accrue du risque chez les personnes plus expérimentées.

Le lien entre l’expérience de perte de contrôle et le comportement protecteur ne suit pas un schéma aussi clair. Apparemment, pour certains répondants, ce sentiment se traduit par des actions plus protectrices, alors que pour d’autres, c’est l’inverse. Comprendre comment, pourquoi et pour qui les affects sont liés au comportement est une question de recherche que nous souhaitons étudier.

Apprentissage, désignation ou acquisition des meilleures pratiques : la relation entre l’expérience des inondations, l’évaluation de l’adaptation et le comportement protecteur

Nous avons constaté que les personnes ayant connu plus d’inondations et un degré plus élevé de perte de contrôle lors de la dernière inondation associent l’adoption de mesures de protection à un plus grand effort. De plus, l’expérience de perte de contrôle est liée à une perception plus faible de l’efficacité personnelle face aux inondations futures. Étonnamment, elle est également associée à une plus grande croyance dans l’efficacité des mesures de protection.

Encore une fois, que nous apprennent ces résultats sur le lien entre l’évolution de la fréquence des inondations et le comportement de protection des populations ?

Les personnes qui associent un effort plus important à la mise en œuvre de mesures de protection et qui ont une perception d’efficacité personnelle plus faible sont moins susceptibles de les mettre en œuvre. Par conséquent, les inondations fréquentes et la perte de contrôle peuvent nuire à l’adoption de mesures de protection. L’évolution de la fréquence des inondations aggrave encore ces effets, car les personnes qui ont connu plus d’inondations ont également signalé des niveaux plus élevés de perte de contrôle perçue. Étant donné que des études ont montré que l’évaluation de l’adaptation est un moteur essentiel du comportement protecteur, ces résultats ont des implications importantes pour la réduction des risques de catastrophe.

« Vivre une nouvelle expérience pourrait ainsi être défini comme une prise de conscience de l’expérience, à partir de laquelle nos capacités à comprendre et à agir dans le monde peuvent se développer. »

-Jantzen (2013)

Ajout d’une perspective opportune : développement des relations entre la perception du risque, l’évaluation de l’adaptation et la motivation de protection au fil du temps

Les études existantes montrent que la perception du risque diminue avec le temps après un événement dangereux. Dans notre étude, nous nous sommes intéressés à la façon dont le temps qui passe modifie la relation entre l’expérience personnelle de l’inondation, la perception du risque, l’évaluation de l’adaptation et le comportement de protection.

Nous ne trouvons qu’un seul indice de l’existence d’une influence du temps. Le lien le plus fort entre la perte de contrôle perçue et la perception du risque existe pour les personnes dont la dernière expérience d’inondation est la plus récente. En d’autres termes, les personnes dont la dernière inondation a eu lieu au cours des deux dernières années sont plus susceptibles de traduire des niveaux élevés de perte de contrôle perçus en une perception de risque plus élevée que les personnes dont la dernière expérience d’inondation est plus éloignée mais qui ont signalé des niveaux de perte de contrôle similaires.

Ne l’ignorez pas : il est utile d’examiner les relations qui se sont révélées non significatives.

Certaines des relations que nous avons examinées n’étaient pas statistiquement significatives, ce qui signifie que les effets variaient considérablement d’une personne à l’autre. Par exemple, les inondations fréquentes ont augmenté les capacités d’adaptation perçues pour certaines personnes, mais les ont diminuées pour d’autres. Nous pensons qu’il est essentiel de mieux comprendre pourquoi les inondations fréquentes sont un facteur positif d’évaluation de l’adaptation et pour qui elles ont l’effet inverse afin de relever les défis futurs à la lumière de l’évolution de la fréquence des inondations. Il en va de même pour la relation entre l’expérience de perte de contrôle et l’adoption de mesures de protection. Pour accroître notre capacité à comprendre et à mieux prédire le comportement des gens, nous devons mieux saisir la dynamique sous-jacente qui influence l’orientation de ces relations.

Aller de l’avant : comment améliorer nos connaissances sur le rôle joué par l’expérience personnelle des risques

Premièrement, nos résultats sur la relation entre les évaluations d’adaptation et l’expérience des inondations ouvrent de nouvelles questions. Les évaluations d’adaptation jouant un rôle fondamental dans le changement de comportement individuel, nous pensons qu’obtenir des informations plus approfondies à ce sujet contribuerait à la conception de stratégies efficaces de réduction des risques de catastrophe. Pour cela, nous proposons d’impliquer davantage de chercheurs en sciences sociales, en particulier des psychologues et des sociologues, dans le domaine de la recherche. L’expertise combinée des géographes, des psychologues et des sociologues pourrait révéler des relations qui restent cachées si l’on tente de répondre à ces questions sous un seul angle de recherche.

Deuxièmement, nous avons besoin de davantage d’études expérimentales pour mieux comprendre comment l’expérience façonne le comportement et pour faire des interprétations causales. Il en va de même pour la collecte de données longitudinales, en suivant les mêmes personnes sur des périodes prolongées. Cela nous permettrait de mieux distinguer les influences de plusieurs facteurs, de filtrer leur effet particulier et d’avoir une idée plus claire des conditions dans lesquelles nos hypothèses s’appliquent.

Troisièmement, sur une note personnelle, il pourrait être utile d’élargir le groupe de collaborateurs aux neuroscientifiques. Les questionnaires posent toujours le problème d’un niveau élevé de subjectivité, que nous avons appris à gérer et à interpréter en conséquence. Cependant, nous savons que l’évaluation de l’activité cérébrale peut nous aider à mieux comprendre les processus neurologiques et cognitifs qui sous-tendent le comportement des individus. Comprendre ce qui se passe dans le cerveau lorsque les gens sont confrontés à des catastrophes naturelles, par exemple, par le biais de jeux vidéo, pourrait nous donner plus d’idées sur les dynamiques qui peuvent exister et sur les questions de recherche qui doivent être soulevées.

Voir l’étude


Références

(1) GIEC. (2023). Rapport de synthèse. Rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Contribution des groupes de travail I, II et III au sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (équipe de rédaction principale, H. Lee et J. Romero (dir.))

(2) Rogers, RW (1975). Une théorie de la motivation de protection des appels à la peur et du changement d’attitude. The Journal of Psychology, 91(1), 93-114.

(3) Siedschlag, D., Kuhlicke, C., Köhler, S., Masson, T., Bamberg, S., Olfert, A., … & Barth, M. (2023). Risikokommunikation zur Stärkung privater Eigenvorsorge, Abschlussbericht des Vorhabens « Analyse und Anwendung innovante Instrumente der Steuerung und Kommunikation zur Anpassung an den Klimawandel », Umweltbundesamt, 1-225.

(4) GeoSN – Landesamt für Geobasisinformation Sachsen, Downloadbereich Ortsteile, 2024.

(5) Geofabrik, Saxe, 2024.

(6) LUIS – Landwirtschaft- und Umweltinformationsystem für Geodaten. (2024). Gewässernetz (Fließgewässer et Standgewässer).

(7) Demuth, JL, Morss, RE, Lazo, JK et Trumbo, C. (2016). Les effets des expériences passées d’ouragans sur les intentions d’évacuation par le biais de la perception du risque et des croyances en matière d’efficacité : une analyse de médiation. Météo, climat et société, 8(4), 327-344.

(8) Jantzen, C. (2013). Expérimentation et expériences : un cadre psychologique. Manuel sur l’économie de l’expérience, mai, 146-170.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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