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Etranglé par la concurrence de Tarbes, l’aéroport de Pau-Pyrénées est-il condamné ?

On est loin de l’effervescence habituellement associée à un aéroport ce jeudi matin à l’aéroport de Pau-Pyrénées. Aucun taxi en vue, une seule sandwicherie ouverte et un silence de cathédrale. Depuis la crise sanitaire, la plateforme béarnaise apprend à vivre, ou plutôt à survivre, avec seulement huit allers-retours par jour, dont la plupart ne sont pas pleins aux deux tiers : trois vols vers Lyon avec l’avion de 19 places du Twin Jet. compagnie, quatre vers Paris-CDG avec Air France et un seul vol vers Orly, opéré le soir par la low-cost Transavia.

La circulation fond comme neige au soleil

De quoi faire fondre le trafic palois aussi vite que les glaciers pyrénéens : avec seulement 345 000 passagers l’an dernier, l’aéroport n’a récupéré que 57 % de son trafic 2019, alors que la tendance enregistrée au niveau national est proche de 95 %. Et l’année 2024 s’annonce encore pire, Pau souffrant particulièrement de la montée en puissance de la visioconférence chez sa clientèle professionnelle. « Il est impossible d’atteindre l’équilibre avec moins de 500 000 passagers annuels. L’aéroport de Pau est donc en danger s’il n’y a pas d’argent public à l’avenir ! « , alerte le consultant Alain Falque, ancien cadre de Aéroport de Paris qui a travaillé sur la feuille de route de l’aéroport de Nouvelle-Aquitaine. Et ce qui agace encore plus les élus béarnais, c’est la santé insolente de l’aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées, à seulement 50 km, qui affiche un trafic record de 590 000 voyageurs.

Et pour cause : Tarbes, qui dessert notamment les stations de ski des Hautes-Pyrénées et le sanctuaire de Lourdes, bénéficie d’une obligation de service public (OSP) depuis 2004. À partir de 2022, la contribution publique au titre de cette OSP devrait être fixée à 4,5 millions d’euros. d’euros par an par les communautés occitanes (3 millions) et l’État (1,5 million). De quoi permettre à la low-cost Volotea de proposer des prix et des horaires imbattables vers Orly. Le parking gratuit est un autre plus pour les voyageurs à seulement 35 minutes de l’aéroport de Pau.

L’aviation légère rêve de dessertes régionales et d’électrification

Mais cette OSP est-elle bien justifiée ? L’année dernière, trois rapports coup sur coup des chambres régionales des comptes d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine et de la Cour des comptes estimaient déjà que cette ligne, « juridiquement fragile »ne remplit plus le « conditions réglementaires propres aux axes d’aménagement du territoire ». Des magistrats financiers évoquant même un risque de  » cannibalegare des deux quais au-delà de la ligne vers Orly « . Ce que réfute l’aéroport de Tarbes : «  l’un des critères d’attribution de l’OSP est l’isolement. Pour notre territoire, ce cadre est indispensable car nous sommes à 5h30 de train de Paris »fait valoir Philippe Baubay, président de Pyrénia, gestionnaire de l’aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées.

Soit seulement 45 minutes de plus que le trajet en train entre Pau et la capitale… De quoi agacer Des élus béarnais. Ils dénoncent une concurrence faussée liée à l’attachement d’Emmanuel Macron aux Hautes-Pyrénées qui prime évidemment sur son amitié avec François Bayrou. Probablement gêné par moments, le maire médiatique de Pau reste étrangement silencieux sur ce sujet pourtant stratégique pour son territoire. « Maintenir une liaison Pau-Orly est extrêmement important pour 97 % des entreprises » selon la CCI Pau Béarn, qui a interrogé ses adhérents en décembre. Pour Didier Laporte, qui préside à la fois la CCI et le délégataire Air’Py, qui gère l’aéroport, « La cannibalisation du trafic existe, il est difficile de la nier même si elle est sans doute plus forte pour les déplacements touristiques. »

Un recours devant le tribunal administratif

A tel point qu’au Syndicat mixte aéroportuaire Pau Pyrénées (SMAPP), qui regroupe des élus locaux, on se plaint ouvertement de cette distorsion de concurrence avec Tarbes et de l’injection massive d’argent public via cette OSP. Pour plusieurs observateurs, il paraît désormais évident que la ligne Tarbes-Orly dépasse le plafond de 100 000 passagers annuels fixé pour ce type de soutien public. A tel point que l’association BAP (Béarn Adour Pyrénées) vient de déposer un recours devant le tribunal administratif de Paris.

 » L’Etat est clairement interrogé à ce sujet par le juge financier mais ne répond pas. Nous l’avons également interrogé en vain. Notre recours n’est pas dirigé contre Tarbes, il demande simplement à l’Etat de reconsidérer cette OSP au regard des critères prévus par le règlement européen de 2008. et qu’il doit respecter», explique à La Tribune Grégory Casadebaig, le président de cette association qui se bat depuis vingt ans pour le désenclavement du Béarn aux côtés de la CCI Pau Béarn.

 » Cet appel n’est absolument pas contrôlé par les élus, nous sommes indépendants, y compris financièrement. », précise-t-il, espérant que l’État fera enfin connaître sa position. Sachant que le système sera de toute façon réexaminé en 2026 mais qu’il pourrait finalement s’agir d’un jeu perdant-perdant : si Tarbes venait à perdre son OSP, Pau ne le récupérerait pas.

D’autres vents contraires soufflent sur Pau

« La situation de l’OSP à Tarbes est anormale et fausse le jeu mais ce n’est pas la seule cause du malheur de Pau ! « , » met Alain Falque en perspective. « Il y a d’abord Air France qui a délibérément choisi de se désengager de Pau en remplaçant ses six rotations quotidiennes vers Orly par un seul aller-retour avec Transavia. Et puis l’autre problème de Pau, c’est son délégué Air’Py, plus gestionnaire que développeur, et qui manque selon moi de développement commercial. observe le consultant.

En effet, hormis trois liaisons estivales opérées par Chalair vers Brest, Ajaccio et l’Irlande, aucune nouvelle ligne régulière n’a été lancée récemment par Air’Py, filiale de la CCI Pau Béarn et Egis. Dans le même temps, Twin Jet prend le relais de Hop sur Pau-Lyon, entraînant un effondrement de la fréquentation de 80 000 à 10 000 passagers par an !  » Bien sûr nous démarchons et prospectons les compagnies aériennes mais ce sont elles qui choisissent d’ouvrir une ligne à condition d’identifier des perspectives de rentabilité ou à défaut d’obtenir des financements auprès des collectivités locales ce qui est alors une question de choix politique. », répond Jérôme Le Bris, le directeur général d’Air Py.

Cour des Comptes Pau, Tarbes

Cliquez sur le graphique pour l’agrandir. Evolution du trafic low-cost sur les aéroports de Pau et Tarbes (CRC Occitanie, données UAF).

Premiers concernés, les élus palois sont en effet moins stricts puisqu’ils admettent ne pas vouloir développer une stratégie low-cost à Pau. Ils restent durablement brûlés par la malheureuse expérience qui a vu Ryanair sommé en 2006 de rembourser les aides publiques reçues pour la ligne Pau-Londres.  » Air’Py n’a objectivement pas été dans les meilleures conditions pour développer une nouvelle offre, nous ne sommes pas à un niveau d’insatisfaction qui remettrait en cause la délégation », juge Mathieu Bergé, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine siégeant au Syndicat Paritaire de l’aéroport Pau Pyrénées. Le président du syndicat Nicolas Patriarche, également maire de Lons, est plus ferme : « On est loin des objectifs affichés à l’époque (…) Il faudra en tirer toutes les conséquences lors du renouvellement de la délégation de service public en 2028… »

Les contrats de commercialisation des aéroports de Tarbes, Carcassonne et Perpignan pointés du doigt

Quoi qu’il en soit, tout le monde le sait bien : l’aéroport de Pau est en rouge vif. Pour l’instant, les autorités locales assurent qu’elles seront là : « Nous ne nous désengagerons pas de l’aéroport de Pau mais il est plus que nécessaire de réunir tout le monde autour de la table », réagit Mathieu Bergé pour la Région Nouvelle-Aquitaine. Un dialogue qui serait également pertinent du point de vue de l’efficacité de l’action publique comme le souligne l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, Acnusa, qui rappelle que La France compte autant d’aéroports et d’aérodromes que tous les autres pays de l’Union européenne.

 » La loi impose aux Régions d’établir des plans régionaux d’aéroports. La démarche n’a été engagée que par trois Régions, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. Il s’agit de donner du sens et une vocation aux aéroports et aérodromes décentralisés », poursuit l’Autorité. Et de juger qu’en l’absence de stratégie nationale, « La France est devenue l’eldorado des compagnies low-cost qui mettent les territoires en concurrence. »

Vers une société commune pour les deux aéroports ?

Appels entendus par Nicolas Patriarche qui veut rester optimiste : « Le ministre des Transports vient de demander officiellement aux deux préfets de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie de travailler ensemble sur ce sujet de complémentarité des deux aéroports. J’espère que cela entamera enfin une dynamique de dialogue ! »

Plusieurs pistes ont été mises sur la table par les chambres régionales des comptes pour réconcilier, voire rapprocher les deux plateformes.  » Celui-ci pourrait prendre la forme d’une société unique à capital social qui exploiterait les deux plateformes permettant de fusionner les équipes, d’alterner les services et de consolider le trafic, les pertes et les bénéfices afin de retrouver un équilibre global. », esquisse Alain Falque. Un outil similaire existe déjà en Occitanie où le conseil régional a créé en 2022 la Splar (entreprise publique locale aéroportuaire régionale) qui regroupe les aéroports de Carcassonne, Perpignan, et… Tarbes ! Mais une telle société entre deux régions différentes n’est pas évidente, d’autant que, comme le souligne Alain Falque, « compte tenu de sa faiblesse actuelle, Pau n’est pas du tout en mesure de négocier avec Tarbes. »

Le modèle économique des aéroports français menacé par la perspective d’une faible croissance du trafic

A plus long terme, l’option reste bel et bien envisagée.  » Réfléchir à une OSP commune à partir de 2026 pourrait avoir du sens »concède Tarbais Philippe Baubay tandis qu’à Pau Didier Laporte reconnaît que « Des concessions doivent être faites des deux côtés, y compris la nôtre. Le partage de services pourrait répondre aux besoins des économies de nos deux territoires et garantir un avenir à nos deux aéroports. »

L’aéroport de Pau tourne donc le dos en misant sur des jours meilleurs à partir de 2026 avec un éventuel arrêt de l’OSP dont bénéficie Tarbes, comme ce fut le cas pour Quimper en novembre dernier. Avant le choix d’un nouveau délégué, éventuellement plus dynamique, suite au nouvel appel d’offres prévu pour 2028. » Il faut se donner les moyens de revenir à 500 000 passagers d’ici six ans grâce à une véritable stratégie de conquête commerciale. », insiste Alain Falque. Mais, dans l’immédiat, Nicolas Patriarche ne s’en cache pas : l’année 2024 sera très difficile et le trafic à l’aéroport de Pau va encore diminuer avec un atterrissage prévu de 300 000 passagers. La moitié de son trafic d’avant Covid.