FIGAROVOX/TRIBUNE – Donald Trump a revendiqué le contrôle du Groenland au nom de la sécurité américaine et n’a pas exclu le recours à la force. Sa rhétorique pourrait éloigner certains de ses alliés de Washington, estime Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de l’Institut Thomas More.
Jean-Sylvestre Mongrenier est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Il a notamment publié Le monde vu de Moscou. Géopolitique de la Russie post-soviétique et de l’Eurasie (PUF, 2020).
Avec sa brutalité habituelle, Donald Trump a réaffirmé son intérêt pour le Groenland, territoire autonome placé sous la souveraineté du Danemark. Même s’il ne faut pas toujours prendre le discours du président américain au pied de la lettre, nous savons qu’il doit être pris au sérieux. Le Groenland recouvre en effet de nombreux enjeux géopolitiques et suscite l’intérêt de la Chine qui, avec son allié russe, n’ignore pas l’Arctique et les nouvelles routes polaires.
D’une superficie de 2,166 millions de km², le Groenland (le « Terre verte ») est un territoire quatre fois grand comme la France, recouvert de glace sur 85 % de sa superficie. La capitale du Groenland est située à Nuuk. La population locale se limite à 57 000 habitants, ce qui fait de ce territoire l’un des moins densément peuplés au monde. Depuis 1921, le Groenland fait partie du Danemark, ce qui constitue un lien avec l’Union européenne, sans que ce territoire en fasse partie intégrante. Géologiquement, elle se situe même en Amérique du Nord.
Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que le Danemark était occupé par les troupes allemandes, les États-Unis prirent en charge l’avenir du Groenland, dont la position géostratégique fut cruciale dans la bataille de l’Atlantique. Son importance était telle que le président américain Harry Truman, au début de la guerre froide, envisageait (déjà) d’acheter le Groenland. Pourtant, les États-Unis ont obtenu du Danemark, membre de l’Otan, le droit d’installer des bases militaires sur l’île, dont la base de Thulé (qui permet le déploiement de bombardiers stratégiques) et une station de radio. surveillance d’éventuels lancements de missiles stratégiques soviétiques (ICBM). Le système américain a été remanié après la guerre froide et, par la suite, la base de Thulé a été rebaptisée « Pituffik » (2023) ; elle relève de la branche spatiale des forces armées américaines. En réalité, cette base constitue un élément essentiel de la défense antimissile des États-Unis.
À la demande de Washington, le gouvernement danois a déjà contrecarré le désir de la Chine d’y contrôler les ports et les aérodromes, mais on craint qu’un Groenland indépendant puisse un jour céder aux offres de Pékin.
Jean-Sylvestre Mongrenier
Entre-temps, la revendication d’autonomie du Groenland a pris de l’ampleur. Depuis le référendum consultatif relatif à l’autonomie (75% des « Oui »), le 25 novembre 2008, les autorités groenlandaises bénéficient d’une grande latitude d’action, avec des conséquences importantes en termes d’exploitation des ressources naturelles (quasi-souveraineté). Soulignons que le Groenland, outre les hydrocarbures – le Commission géologique des États-Unis a pu avancer le ratio de 10% des réserves mondiales -, dispose d’importants gisements de terres rares, minéraux essentiels au numérique et à la fameuse transition énergétique.
La loi sur l’autonomie du Groenland est en vigueur depuis mai 2009. Les pouvoirs souverains (diplomatie et défense) sont toujours exercés depuis Copenhague mais l’évolution de ce territoire vers l’indépendance est présentée comme inéluctable. Largement financée par l’État danois, l’économie du Groenland repose sur les ressources naturelles et la pêche (95 % des exportations). Les perspectives minières du Groenland attirent l’attention des grands investisseurs, notamment chinois. Vu de Pékin, l’implantation au Groenland, à travers des accords avec le gouvernement autonome et des investissements, serait un prépositionnement à la course aux ressources arctiques et à l’exploitation de nouvelles routes polaires (les passages du nord-ouest et du nord-est). Rappelons que le territoire du Groenland est membre à part entière du Conseil nordique. Par l’intermédiaire du Danemark, elle participe au Conseil des États de la mer Arctique, une structure en sommeil en raison de la nouvelle guerre froide entre la Russie et l’Occident.
A l’épreuve des faits, l’hypothèse d’un Groenland indépendant donne lieu à d’importantes rivalités, un temps silencieuses, aujourd’hui ouvertes. À la demande de Washington, le gouvernement danois a déjà contrecarré la volonté de la Chine de contrôler les ports et les aérodromes de la grande île, mais on craint qu’un Groenland indépendant puisse un jour céder aux offres de Pékin. D’autant que l’alliance sino-russe et la coopération qu’elle induit s’étendent jusqu’à l’océan Arctique. Outre les ressources du Groenland, il faut garder à l’esprit son importance géostratégique, tant pour le contrôle des nouvelles routes maritimes polaires que pour la surveillance du passage des sous-marins russes dans l’Atlantique Nord.
Si une partie du mouvement MAGA cédaitorgueil et au mirage de l’hyperpuissance solitaire, plusieurs territoires pourraient préférer les séductions de l’argent chinois à la brutalité de Washington.
Jean-Sylvestre Mongrenier
L’évocation par Donald Trump, lors de son premier mandat présidentiel, d’un éventuel rachat du Groenland par les États-Unis (2019) était déjà le signe de tensions croissantes autour de cette question, mais l’affaire paraissait folle. Le renouvellement de cette offre le 7 janvier 2025, accompagné d’une menace de conflit commercial avec le Danemark, donne plus de corps et d’urgence à la question.
Par ailleurs, il n’est pas sûr que les manières de Donald Trump et le caractère sommaire de la solution proposée soient les plus adaptées à la situation : la géopolitique ne se réduit pas aux méthodes des promoteurs immobiliers, et un tel discours pourrait avoir des effets de retour sur le puissance et influence des États-Unis dans le monde, y compris dans le cercle de leurs principaux alliés. Si fait partie du mouvement MAGA (Rendre sa grandeur à l’Amérique) a cédé auorgueil et au mirage de l’hyperpuissance solitaire, cela aurait probablement de graves conséquences, même dans la zone Indo-Pacifique où plusieurs micro-territoires pourraient préférer les séductions de l’argent chinois à la brutalité du locataire de la Maison Blanche.
En revanche, on peut penser que la rupture de Copenhague avec le « décolonialisme » et une vision hors sol du droit des peuples à l’autodétermination, et donc la réaffirmation claire de la souveraineté danoise sur le Groenland, en bon accord avec les États-Unis et leurs alliés européens, serait la voie la plus sûre pour sauver le grand Arctique. île de la convoitise sino-russe. Bref, un retour à la situation politico-institutionnelle qui prévalait avant le discours indépendantiste a affolé les esprits, avec toutefois les nécessaires adaptations des plans stratégiques et géoéconomiques. Pas un souverainisme mécanique mais une vision claire des enjeux, des alliances et de la coopération nécessaires dans un monde de titans.
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