Sortie en 2019 sur nos écrans, la série Les garçons avait pour objectif de botter les fesses des dents immaculées des super-héros de notre enfance. En adaptant les bandes dessinées trash de Garth Ennis pour Prime Video, Eric Kripke s’est attaqué à l’inattaquableosant se moquer de la Justice League et des Avengers. Entre les mains du showrunner, le « supé » (pour les surhumains) sont des connards comme les autres. L’alter-ego de Superman devient un psychopathe mégalomaneun homme avide de pouvoir, l’homme invisible un pervers cynique et l’homme-poisson un violeur notoire, avec un esprit ravagé par une santé mentale fragile et des fantasmes zoophiles.
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La recette est trash, mais elle fonctionne. Après seulement une semaine de diffusion sur la plateforme américaine, la première saison de Les garçons se rassemble déjà 6 millions de téléspectateurs. La série a été rapidement renouvelée pour une saison supplémentaire, puis deux, puis quatre. Dans la foulée, une anthologie animée est née avec Diabolique, suivie en 2023 d’un premier spin-off consacré aux jeunes super-héros de l’université de Godolkin. La série produite par Prime Video prend ses distances avec les comics. En seulement cinq ans, Les garçons s’est imposé comme un figure de proue du paysage télévisuelet a révolutionné le monde des super-héros.
Les déchets comme recette gagnante
Le succès de Les garçons repose sur un mécanisme bien huilé : en présentant super-héros racistes, misogynes et criminelsEric Kripke s’adonne à une liberté jamais vue auparavant chez DC et Marvel. La violence et le sexe sont omniprésents, explicites et sans filtre. Lorsque des personnages se battent avec des godes surdimensionnés, ou qu’une héroïne lilliputienne est utilisée comme un jouet sexuel pour assouvir les fantasmes sordides de ses partenaires, La licence use et abuse de l’humour noirpessimisme et politiquement incorrect.
Cette surenchère trash fait également partie intégrante de la communication autour de la série. Chaque saison, les acteurs ainsi que les équipes techniques s’amusent à avoir poussé le curseur un peu plus loin. Ce fut notamment le cas en 2022, alors que le public attendait avec impatience la troisième saison des aventures de Hughie, Butcher et la bande. La salve d’épisodes avait le luxe de combiner non seulement l’arc Herogasm, une orgie superhéroïque considérée comme l’une des scènes les plus insupportables des bandes dessinées papier, mais aussi une violence exacerbée, conduisant à l’utilisation de plus de 15 litres de faux sang, dans les deux premiers épisodes seulement.
Pourtant, derrière son image d’élément perturbateur, La série n’arrive pas à la cheville de son homologue papier sur la question des déchets. Publiée entre octobre 2006 et novembre 2012, la série de romans graphiques créée par Garth Ennis est une référence de la bande dessinée américaine pour adultes. Si l’adaptation sur Prime Video en reprend les codes et les grandes lignes, elle doit inévitablement s’aligner sur les règles inhérentes au streaming.
Prime Video a peut-être laissé beaucoup de liberté à Eric Kripke, mais les épisodes régulièrement déconseillés aux moins de 18 ans n’échappent pas à une certaine forme autocensure. Des seins, des pénis – et même un gros plan sur un anus – sont parfois représentés, mais les scènes de sexe sont esquissées plutôt que montrées de face, évitant soigneusement les situations trop explicites. La pédophilie, l’urophilie ou encore l’inceste (bien que très présents dans les comics) sont atténués ou passés sous silence, par parti pris scénaristique ou envie d’adoucir un peu le discours.
Le résultat est loin d’être pour tout le monde, et Les garçons est considérée comme l’une des séries les plus sanglantes de sa génération. Cependant, il est clair que les comics originaux se sont aventurés là où la série n’ira jamais.
Pas une caricature, mais presque.
En racontant les premiers pas de Hughie dans la bande de Butcher, Garth Ennis livre une critique acerbe de la société américaine et des modèles héroïques qui ont façonné notre imaginaire d’enfant. Les super-héros intrépides et irréprochables de Marvel et DC, métaphore à peine voilée des figures bibliques virginales, prennent cette fois un véritable coup dans les dents.
Dans Les garçonsLes super-héros sont violents, avides, mégalomanes, obsédés, faillibles et surtout, résolument plus humains que les doubles dont ils se moquent. La série fait honneur à cet héritage, en livrant une palette de personnages complexes, ambivalents et torturés. Avec des nuances plus ou moins affirmées, Homelander nous surprend par livrer une partie de son humanitéquand Butcher est sacré roi des goujats (soyons polis) quand il s’agit de son fils adoptif. Les méchants ne sont jamais totalement méchants, et les gentils ont surtout le mérite d’être du bon côté de leur histoire.
Il n’en demeure pas moins que là où Garth Ennis utilisait des clichés pour déconstruire avec humour le discours habituel des comics américains, la série peine parfois à être subtile. Starlight, c’est le cliché de la jeune Américaine naïve et innocente, élevée dans une Amérique catholique traditionnelle. Dans la saison 2, Stormfront déclenche à elle seule un point Godwin en remettant au premier plan les nazis et leur quête d’une race pure. Le ton se veut critique, mais il faut admettre que les comics étaient meilleurs dans ce genre d’exercice. Ce que Garth Ennis a dépeint avec ironie manque parfois de second degré sur le petit écran, quitte à perdre un peu de substance. Il faut s’adapter aux services de streaming.
Les sirènes du multivers ont encore frappé
Sortie plus de dix ans après la bande dessinée originale, la série d’Eric Kripke évolue avec son temps. Si elle oublie de se moquer de la figure de Stan Lee, elle ne se retient pas de s’en prendre au MCUses univers sans cesse étendus, autant que sur les sphères conspirationnistes d’une Amérique de plus en plus intolérante. Dans la série, l’image publique des super-héros est aussi important que leurs exploits contre les super-vilains. Vought America n’hésite pas à réécrire l’histoire, et à transformer ses héros en influenceurs chargés de véhiculer les messages publicitaires ou politiques de l’entreprise. Un service de divertissement, sobrement nommé Vought+, se charge également de narrer les aventures des super-vilains sur grand écran.
Excepté, Il est difficile de se moquer d’un système quand on semble prêt à s’y plonger.. Si Eric Kripke réussit brillamment à adapter la bande dessinée originale, en se détachant habilement du matériau source pour proposer une approche plus actuelle, il flirte aussi avec certains défauts de la maison des idées. Alors que Marvel est joyeusement critiqué pour avoir usé et abusé du multivers et de ses facilités d’écriture de scénario, la série à succès de Prime Video s’est lancée dans une univers étendu qui ne veut que grandir.
Après l’anthologie animée Diabolique diffusé en 2022, la diffusion du premier spin-off confirme que le projet d’étendre l’univers de Garth Ennis est prévu depuis longtemps. Il faut admettre que Génération V est une très bonne surprise. Le spin-off est un succès critique et commercial, ce qui s’affranchit des comics ainsi que des codes adolescentsd’interroger une super-jeunesse en quête d’identité, et de baliser le terrain pour l’arrivée de la saison 4 diffusée quelques mois plus tard.
Il n’en demeure pas moins qu’après ce premier succès, on craint désormais que les séries dérivées se multiplient, au point de se transformer Les garçons dans ce que la saga originale a toujours dénoncé : une exploitation excessive d’une licence gagnanteAlors que la saison 5 de la série pourrait être la dernière, un deuxième spin-off au Mexique a été officialisé par Prime Video. Gén V, de son côté, aura droit à une saison 2.
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